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Publié par Parolesdejuges

 

 

Résumé des épisodes précédents

 

Depuis la nuit des temps, les juges des tribunaux correctionnels doivent motiver les peines qu'ils prononcent, et spécialement les peines de prison. Cette obligation est en permanence renforcée, et fait l'objet d'un contrôle très strict par la cour de cassation.

 

La situation à la cour d'assises est radicalement différente.

 

Pendant longtemps les décisions des cours d'assises n'ont fait l'objet d'aucune motivation. Après le délibéré, le président annonçait à la reprise de l'audience, quand tel était le cas, que l'accusé était déclaré coupable et indiquait sans aucun commentaire la peine choisie.

 

Cela a fait l'objet de nombreux débats (cf. not. ici, ici, ici) et finalement le code de procédure pénale a été modifié (cf. ici). Depuis janvier 2012 la cour d'assises a l'obligation de motiver sa décision concernant la culpabilité (ou non) de l'accusé, en application du nouvel article 365-1 (texte ici).

 

La motivation fait l'objet d'un contrôle, certes léger, par la cour de cassation. La CEDH a même été saisie de la problématique (cf. ici)

 

Mais cette motivation ne concerne que la culpabilité. L'article 365-1 précité ne mentionne rien sur la motivation de la peine. Il a donc été considéré, logiquement, que la cour d'assises n'avait pas l'obligation  de motiver la peine prononcée.

 

Certains présidents de cour d'assises, dans le cadre juridique d'alors, ont pourtant estimé que l'un des droits fondamentaux d'un accusé est de recevoir une explication sur le choix de la peine prononcée. Ils ont donc, allant au delà des exigences légales, pris l'initiative d'ajouter à la motivation de la culpabilité quelques lignes de motivation sur la peine. En étant convaincus que cela était dans l'intérêt de l'accusé et que rien ne pourrait donc leur être reproché.

 

Toutefois la cour de cassation a adopté un avis radicalement inverse. Dans des arrêts de février 2017,  la chambre criminelle non seulement a jugé que les cours d'assises n'ont pas l'obligation de motiver les peines, mais elle a jugé que cela était interdit. Et même décidé, ce qui a pu surprendre, que la motivation de la peine entraîne la cassation de la décision (cf. ici). Au cours des mois qui ont suivi, elle a rendu de nombreux arrêts dans le même sens, ou confirmant la régularité de l'absence de motivation.

 

La motivation est toujours la même dans les arrêts : 

 

"Attendu que le demandeur ne saurait reprocher à la cour d'assises de ne pas avoir motivé le choix de la peine prononcée contre lui, dès lors que, selon l'article 365-1 du code de procédure pénale, en cas de condamnation par cette juridiction, la motivation consiste dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui l'ont convaincue de la culpabilité de l'accusé, et qu'en l'absence d'autre disposition légale le prévoyant, la cour et le jury ne doivent pas motiver le choix de la peine qu'ils prononcent dans les conditions définies à l'article 362 du même code" (cf. not. ici)

 

Quoi qu'il en soit, la problématique de la motivation de la peine restait en suspens. Une telle motivation semblant être considérée comme un droit fondamental en matière délictuelle, est-il possible de maintenir longtemps une exception en matière criminelle ? La question continue à être régulièrement posée par des juristes.

 

Mais il vient de se produire un nouveau rebondissement.

 

La saisine du Conseil Constitutionnel

 

Dans un arrêt du 13 décembre 2017 (cf. ici), la chambre criminelle de la cour de cassation a décidé de transmettre une QPC (question prioritaire de constitutionnalité - cf.ici) au Conseil Constitutionnel.

 

L'arrêt est motivé de la façon suivante :

 

"Attendu que les questions prioritaires de constitutionnalité présentées par chacun des demandeurs sont ainsi rédigées : “Les dispositions de l’article 362 du code de procédure pénale, en ce qu’elles n’imposent pas à la cour et au jury de motiver la peine, portent-elles atteinte aux principes de nécessité, de légalité et d’individualisation de la peine, au droit à une procédure juste et équitable et aux droits de la défense, à l’égalité devant la loi et devant la justice, garantis par les articles 6, 7, 8 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que par l’article 34 de la Constitution ?” "Les dispositions de l’article 365-1 du code de procédure pénale, en ce qu’elles n’imposent pas à la cour et au jury de motiver la peine, et, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, interdiraient même une motivation à peine de cassation, portent-elles atteinte aux principes de nécessité, de légalité et d’individualisation de la peine, au droit à une procédure juste et équitable et aux droits de la défense, à l’égalité devant la loi et devant la justice, garantis par les articles 6, 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que par l’article 34 de la Constitution ?” Attendu que les articles 362 et 365-1 du code de procédure pénale sont applicables à la procédure et, en ce qu’ils ne prévoient pas l’obligation pour les cours d’assises de motiver les peines qu’elles prononcent, n’ont pas déjà été déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ; Attendu que les questions, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas eu l’occasion de faire application, ne sont pas nouvelles ; Mais attendu que les questions posées présentent un caractère sérieux en ce que, d’une part, il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision 2011-635 DC du 4 août 2011) qu’il appartient au législateur, dans l’exercice de sa compétence, de fixer les règles de droit pénal et de procédure pénale de nature à exclure l’arbitraire dans le jugement des personnes poursuivies et que l’obligation de motiver les jugements et arrêts de condamnation constitue une garantie légale de cette exigence constitutionnelle, d’autre part, l’obligation pour les juridictions correctionnelles de motiver toute peine, en particulier les peines d’emprisonnement, est susceptible de créer, entre les prévenus et les accusés, une différence de traitement contraire à la Constitution ; D’où il suit qu’il y a lieu de les renvoyer au Conseil constitutionnel ;"

 

Nous aurons dans quelques semaines la réponse du Conseil Constitutionnel.

 

Le Conseil Constitutionnel avait adopté une position en retrait à propos de la motivation de la décision de la cour d'assises sur la culpabilité (cf. ici). La loi avait quand même été modifiée pour fixer le principe de cette motivation.

 

Quoi qu'il en soit, si le principe de motivation de la peine peut sembler un principe général important, il existe à la cour d'assises une forte spécificité qui est susceptible de rendre difficile l'application d'un tel principe et d'influencer la réflexion sur le sujet.


La spécificité du choix de la peine à la cour d'assises

 

S'agissant de la motivation de la peine, spécifiquement à la cour d'assises, un autre paramètre essentiel doit être pris en compte : la mécanique des votes (sur les modalités du vote cf. ici)

 

Prenons un exemple :

 

Le crime commis est puni de 20 ans de prison (viol aggravé, vol avec arme, violences mortelles aggravées..).  En première instance, les neuf votes sur la peine sont :  15 ans (1 vote), 14 ans (2 votes), 12 ans (1 vote), 10 ans (1 vote), 9 ans (2 votes), 8 ans (2 votes).

 

Du fait de la mécanique mentionnée plus haut, c'est au final la peine de 10 ans de prison qui va être prononcée, les quatre peines plus élevées votées étant l'une après l'autre éliminées jusqu'à ce que 5 bulletins mentionnent la même peine. Pourtant cette peine de 10 ans n'a été choisie que par un des neuf membres de la cour d'assises, quatre membres ayant souhaité une peine plus élevée et pour trois au moins d'entre eux une peine nettement plus élevée, et quatre ayant choisi une peine moins forte.

 

Alors de quoi s'agira-t-il en termes de motivation de la peine ?

 

Si la réponse est qu'il faut motiver 10 années de prison, il s'agira de motiver la peine choisie par un seul des neuf membres de la cour d'assises. Si le président écrit dans la feuille de motivation quelque chose comme "les faits, leur gravité relative, leurs circonstances, et la personnalité de l'accusé justifient une peine moyenne", cela ne correspondra pas au souhait de la grande majorité des membres de la cour d'assises mais à la vision d'un seul de ses membres.

 

Dans cette configuration, assez classique, la motivation ne rendra aucunement compte de la diversité effective des votes. Elle ne sera pas le compte-rendu objectif de la réalité des peines voulues initialement par chacun des neuf membres de la cour d'assises.

 

Dès lors, comment le président pourra-t-il faire autrement que rédiger seulement quelques généralités sur la motivation de la peine ? 

 

C'est pour cette raison principale, en dehors de toute autre considération, que, si tel est le cas dans le futur, imposer la motivation de la peine ne permettra jamais à un accusé condamné de savoir précisément pourquoi il est condamné à cette peine.

 

Pour reprendre notre exemple, un accusé peut être condamné à 10 ans de prison sur un seul vote, mais il peut l'être tout autant parce que 7 des neuf membres de la cour d'assises ont voté 10 ans. Mais comme les votes sont secrets, aucune précision ne peut lui être apportée. Et pourtant ces deux hypothèses n'ont rien en commun. Mais de la réalité l'accusé, comme la partie civile et le ministère publique, n'en sauront jamais rien.

 

La limite du principe de motivation de la peine à la cour d'assises est donc très visible.

 

Le Conseil Constitutionnel est donc face à un choix qui peut être résumé de la façon suivante :

 

- Il considère que la spécificité des modalités du vote sur la peine à la cour d'assises fait obstacle à une véritable motivation de la peine, en supposant que toute motivation doit être le reflet fidèle de la réalité des votes. Ce qui pour les raisons mentionnées plus haut est impossible à la cour d'assises. Et il admet une exception pour cette juridiction.

 

- Il juge, pour une raison de principe, que la cour d'assises comme toute autre juridiction pénale doit motiver la peine prononcée mais alors la motivation des décisions, chacun le saura, ne sera pas ou en tous cas ne sera que rarement le reflet fidèle des débats et des votes en cours de délibéré.

 

Nous reviendrons sur ce sujet une fois la décision du Conseil Constitutionnel connue.

 

 

 

 

 

 

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