La motivation des décisions des cours d'assises, suite et presque fin
Nous avons plusieurs fois ici abordé la question, juridique d'abord, humaine ensuite et peut être surtout, de la (ou de l'absence de) motivation des décisions des cours d'assises (lire not. ici, ici, ici, ici, ici). Et nous avons à cette occasion analysé certaines des décisions de la cour de cassation, de la cour européenne des droits de l'homme (CEDH), et du Conseil constitutionnel.
La loi française a finalement été modifiée et la nouvelle règle est entrée en vigueur en janvier 2012. Le nouvel article 365-1 du code de procédure pénale (texte ici) prévoit la rédaction par le président d'une "feuille de motivation" qui, selon ce texte, et en cas de condamnation, présente "les principaux éléments à charge qui pour chacun des faits reprochés à l'accusé ont convaincu la cour d'assises".
Mais quand bien même le débat juridique français est clos depuis cette réforme, des affaires étaient encore en attente de décisions devant la CEDH. Celle-ci vient de rendre plusieurs arrêts le 10 janvier 2013, la problématique analysée étant à chaque fois l'absence de motivation (à l'époque des décisions rendues) des arrêts des cours d'assises.
Nous ne rentrerons pas ici dans le détail de ces décisions et nous renvoyons les visiteurs intéressés à la chronique de M. Hervieu (CREDOF) (1). Retenons simplement que la CEDH nous dit ceci, en substance et en simplifiant : Si dans certaines affaires très simples la décision de renvoi devant la cour d'assises, les débats et les questions posées peuvent suffire pour que la décision soit comprise des parties au procès au premier rang desquelles l'accusé, et donc pour que la motivation ne soit pas indispensable, à l'inverse il y a impérativement besoin d'une réelle motivation développée dès que l'affaire est complexe et/ou controversée, ceci pour que chacun, grâce à la motivation, connaisse le raisonnement de la cour d'assises qui a conduit à sa décision finale.
Ce qui peut surprendre, c'est qu'il y ait eu besoin d'autant de temps, de salive, d'encre, et de décisions judiciaires en tous genres pour en arriver au final à de telles évidences.
Comme nous l'avions écrit à plusieurs reprises, il est certain que quand un dossier est complexe, quand un accusé conteste sa culpabilité, quand il y a de réels éléments à charge et aussi de sérieux éléments à décharge, écrire sur la feuille de questions "oui" en face de la seule phrase "l'accusé est-il coupable d'avoir volontairement donné la mort à.." (en cas de meurtre), ou bien "l'accusé est-il coupable d'avoir commis un acte de pénétration sexuelle par violence, menace, contrainte ou surprise" (en cas de viol) n'explique en rien, c'est peut dire, pourquoi le oui a été préféré au non.
Pour le dire autrement, le seul mot "oui" ne renferme pas l'explication de ce "oui". Le seul "oui" n'explique pas pourquoi tel argument a été préféré à tel autre, ou ce que la cour a pensé de l'exposé discuté d'un expert ou de la déposition controversée d'un témoin important.
C'est pourquoi les présidents des cours d'assises ressentaient régulièrement le besoin très fort d'expliciter la décision rendue et de ce fait, même si la loi ne le prévoyait pas, décidaient de fournir quelques explications orales une fois lues les réponses aux questions. Intuitivement, les présidents avaient le sentiment qu'il était impossible de rester sur des réponses sèches, et de laisser repartir des parties fortement frustrées par une absence totale d'explication.
Bien sûr, comme l'indique la CEDH dans les derniers arrêts, dans certains dossiers la motivation est peu utile. Tel est le cas quand l'accusé reconnaît les crimes qui lui sont reprochés, ce qui contrairement à ce que l'on pense trop souvent à l'extérieur n'est pas rare. C'est aussi le cas quand les débats ont fait apparaître des éléments indiscutables et nombreux en faveur de la culpabilité et que ce n'est que très maladroitement, sans réels arguments, et parfois sans réelle conviction, que l'accusé conteste sa culpabilité.
Mais il était manifestement impossible d'insérer dans le code de procédure pénale une disposition telle que : "Le président de la cour d'assises rédigera une feuille de motivation dès que l'affaire apparaîtra relativement complexe".
C'est pourquoi, puisque au moins dans les dossiers délicats une motivation est absolument indispensable, il était inéluctable d'imposer une telle motivation dans tous les dossiers, le contenu de la feuille de motivation étant, bien sûr, adapté à la complexité de chaque affaire et à la position des accusés.
L'historien de la justice ne s'intéressera sans doute pas longtemps à la problématique juridique. L'exigence de motivation des décisions judiciaires est présente dans tous nos codes depuis la nuit des temps, et il devenait incompréhensible et par voie de conséquence injustifiable que les décisions les plus graves restent les seules à ne pas être motivées. Au demeurant, dans quelques années, les nouveaux étudiants en droit, dont les enseignements juridiques auront en permanence en point de mire les droits fondamentaux, ne comprendront probablement pas pourquoi la polémique autour de cette problématique a été si importante.
Mais il est quand même possible d'aller un peu au-delà.
Cette modernisation du droit procédural de la cour d'assises devrait être l'occasion d'un toilettage plus vaste, et notamment de la mise au rebut de notion désuètes et qui sont encore trop souvent source de malentendus.
Il en va ainsi de la notion transmise dans les livres de génération en génération d'un jury "émanation de la souveraineté populaire", qui de ce fait serait "infaillible" et n'aurait de compte à personne.
Cette notion a commencé à perdre de sa force quand a été instauré un double degré de juridiction à la cour d'assises. L'appel ayant pour seul but de permettre à une partie au procès d'obtenir la seconde fois une décision différente de la première, instaurer un droit d'appel en matière criminelle mettait fin aussitôt à cette fiction d'un jury rendant des décisions indiscutables.
Il en va de même de la notion d'intime conviction qui se trouve encore dans notre code de procédure pénale. On a tout entendu et lu à propos de cette notion au contenu incertain. Surtout, en l'absence de motivation, le recours à la notion d'intime conviction permettait de juger de façon opaque.
Autrement dit, l'intime conviction, quand elle est entendue comme une vision intime et intuitive de l'affaire aboutissant à une décision non explicitée ouvre la porte à des décisions bancales. A l'inverse, l'exigence de motivation impose un effort intellectuel supplémentaire, et méthodologiquement, l'élaboration d'un raisonnement convaincant avant la décision finale. L'obligation de motiver, et donc de présenter par écrit son raisonnement, impose en amont de réfléchir encore plus, de prendre encore plus de précautions, et de s'assurer que son raisonnement est fiable et convaincant.
Au 21ème siècle, les références à la Révolution française ne sont plus nécessairement les plus opportunes. Les jurés appelés à siéger à la cour d'assises sont pendant quelques journées ou semaines des juges à part entière et ils doivent intervenir, raisonner et décider comme les juges professionnels. A trop regarder en arrière, on oublie d'avancer.
Aujourd'hui, pour éviter tout malentendu, il ne devrait donc plus être question d'intime conviction. Il ne devrait être fait état que de l'examen rigoureux d'un dossier et/ou des éléments apportés à l'audience, d'une analyse intellectuelle approfondie des éléments mis dans le débats, et de l'élaboration d'un raisonnement logique aboutissant à une décision motivée.
Si les dernières décisions de la CEDH terminent un chapitre de l'histoire de la cour d'assises, un autre vient de s'ouvrir qui reste à écrire.
En effet, la motivation d'une décision judiciaire peut être contestée. Habituellement, dans tous les domaines du droit, la cour de cassation exerce son contrôle, plus au moins important, sur la qualité de la motivation des décisions. Il n'y a donc pas de raison, a priori, pour que la chambre criminelle ne soit pas saisie de pourvois portant sur le contenu de la feuille de motivation et qu'elle exerce son contrôle.
Ce que l'on ne sait pas à ce jour, c'est ce que seront la nature et surtout l'ampleur de ce contrôle. D'autant plus que la feuille de motivation ne contiendra pas toujours uniquement des éléments factuels. Dans certains cas la cour d'assises doit dire quels sont les éléments qui lui ont permis de retenir une notion juridique particulière. Il en va ainsi, par exemple, de la préméditation, de l'autorité sur un mineur, de la surprise en matière de viol, de l'acte de torture ou de barbarie.
Une récente décision (décembre 2012) de la cour de cassation entame ce nouveau chapitre. La chambre criminelle a statué, après lecture de la feuille de motivation, sur la prise en compte (ou non) par la cour d'assises de propos tenus par un accusé en garde à vue hors la présence, aujourd'hui prévue, de son avocat (décision ici).
Les prochaines décisions seront à examiner avec attention.
Sans doute l'obligation de rédiger une feuille de motivation à la cour d'assises génère-t-elle de nouvelles difficultés. Il faut encore plus de temps en délibéré pour faire apparaître et relever les étapes essentielles de l'argumentation des uns et des autres, encore plus de temps de rédaction pour le président, et il va y avoir encore plus de possibilités de contestation des décisions par les parties.
Entre le confort de l'immobilisme peu regardant des droits fondamentaux et le progrès générateur de nouvelles difficultés, il fallait choisir. Mais avait-on vraiment le choix ?
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1.Nicolas Hervieu, « La motivation des arrêts d’assises en France sous les fourches caudines européennes » [PDF] in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 11 janvier 2013.