La motivation des décisions de la cour d'assises
Par Michel Huyette
nb : Cet article a été mis en ligne le 31 mars 2009, puis complété et de nouveau publié le 20 mai 2009
Alors que la fureur autour du procès de Monsieur Colona n'est pas encore totalement retombée, l'une des questions qui se pose inéluctablement, une fois de plus, est celle de la motivation des décisions de la cour d'assises.
Quand une juridiction statue, de quelque nature qu'elle soit (civile, pénale, commerciale, prud'homale....), ce qui fait que la décision rendue pourra être admise et respectée, c'est la qualité de sa motivation qui, en elle-même, doit prouver l'existence, chez les juges, d'un raisonnement logique ayant sérieusement conduit à une conclusion indiscutable.
Par ailleurs, et cela est très important, toute personne qui sait qu'elle est autorisée à émettre un point de vue sans avoir à le motiver est naturellement tentée d'en profiter/abuser quand elle veut imposer une décision pourtant difficile à justifier. Permettre à une juridiction de rendre une décision non motivée c'est ouvrir la porte à l'arbitraire, ce qui est insupportable en matière de justice.
En tous cas, quand une décision est rendue mais n'est accompagnée d'aucune motivation exprimée, n'importe qui peut prêter aux juges des intentions peu nobles et des raisonnements aberrants, même si cela n'a pas été le cas. En présence d'une décision non motivée un prévenu peut facilement proclamer « je n'ai rien fait, le dossier est vide ». L'exercice est nettement plus délicat quand une décision comportant de nombreuses pages de motivation reprend un à un tous les éléments du dossier qui montrent, si tel est le cas, qu'il était impliqué jusqu'au cou dans l'infraction qui lui a été reprochée.
Le fait est que, s'agissant de la cour d'assises, nombreux sont les accusés et leurs avocats qui utilisent sans fin cette opportunité qui leur est offerte de critiquer une décision non motivée tout en sachant que même s'ils énoncent les plus invraisemblables des mensonges aucun des juges ou des jurés ne viendra à son tour expliquer devant les caméras tous les éléments qui ont été retenus au cours du délibéré. Une décision non motivée, c'est un boulevard ouvert à toutes les contre-vérités et les manipulations de l'opinion publique.
Mais même quand il ne s'agit pas de ces stratégies visant aussi délibérément que malhonnêtement à saper l'autorité d'une décision non motivée pour détourner l'attention du crime commis, il n'en reste pas moins que l'absence de motivation peut aisément être source de malaise et de malentendus. Pourquoi le meurtre a-t-il été retenu plutôt que l'assassinat (le meurtre plus la préméditation) ? Pourquoi la légitime défense n'a-t-elle pas été admise ? Pourquoi une telle différence de sanction entre des accusés poursuivis pour les mêmes faits ? Pourquoi un acquittement/une condamnation devant une première cour d'assises et l'inverse devant la seconde, à partir du même dossier ?
C'est pourquoi l'incompréhension d'une décision, à l'issue d'un procès criminel, peut être à l'origine d'une souffrance supplémentaire pour l'une ou l'autre des personnes qui y ont été impliquées, et parfois pour les proches.
Enfin, devant toutes les autres juridictions, c'est souvent après avoir lu la motivation de la décision de première instance que les parties apprécient l'opportunité de faire appel. En effet c'est à la lecture du texte des juges que va apparaître soit le peu de chance d'obtenir une autre décision, soit au contraire les faiblesses du raisonnement qu'il sera judicieux de faire valoir devant d'autres magistrats.
La logique voudrait donc que plus une décision est lourde de conséquences, plus elle doit être explicitée.
C'est ce qu'a jugé la Cour européenne des droits de l'homme dans un arrêt du 13 janvier 2009 (Taxquet c/ Belgique, non définitif car sur demande de la Belgique l'affaire sera soumise prochainement à la formation plénière de la Cedh).
Dans cette décision, la Cour européenne rappelle quelques principes fondamentaux qui semblent difficilement contestables. Elle écrit notamment (parag. 40 à 50) :
"(..) les décisions judiciaires doivent indiquer de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent. (..) L'exigence de motivation doit aussi s'accommoder de particularités de la procédure, notamment devant les cours d'assises où les jurés ne doivent pas motiver leur intime conviction. (..) La Cour relève que l'arrêt de la cour d'assises repose sur trente-deux questions posées au jury dans le cadre du procès litigieux. (..) Le requérant est visé par quatre d'entre elles (..) .Le jury a répondu par l'affirmative à toutes les questions. (..) Or, en l'espèce, la formulation des questions posées au jury était telle que le requérant était fondé à se plaindre qu'il ignorait les motifs pour lesquels il avait été répondu positivement à chacune de celles-ci, alors qu'il niait toute implication personnelle dans les faits reprochés.
La Cour estime que ces réponses laconiques à des questions formulées de manière vague et générale ont pu donner au requérant l'impression d'une justice arbitraire et peu transparente. Sans au moins un résumé des principales raisons pour lesquelles la cour d'assises s'est déclarée convaincue de la culpabilité du requérant, celui n'était pas à même de comprendre – et donc d'accepter – la décision de la juridiction.
Cela revêt toute son importance en raison du fait que le jury ne tranche pas sur base du dossier mais sur base de ce qu'il a entendu à l'audience. Il est donc important, dans un souci d'expliquer le verdict à l'accusé mais aussi à l'opinion publique, au « peuple », au nom duquel la décision est rendue, de mettre en avant les considérations qui ont convaincu le jury de la culpabilité ou de l'innocence de l'accusé et d'indiquer les raisons concrètes pour lesquelles il a été répondu positivement ou négativement à chacune des questions. Dans ces conditions, la Cour de cassation n'a pas été en mesure d'exercer efficacement son contrôle et de déceler, par exemple, une insuffisance ou une contradiction des motifs.
La Cour conclut qu'il y a eu violation du droit à un procès équitable, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention."
Comment ne pas être d'accord avec cela ?
Oui mais voilà, si ce principe est difficilement contestable, comment le mettre en oeuvre à la cour d'assises ? C'est loin d'être simple, car les obstacles à la motivation des décisions sont de taille.
Un dossier criminel c'est parfois un homme qui a tiré sur un autre, qui le reconnaît, qui explique pourquoi il a agi ainsi à l'audience, et qui admet devoir être relativement sévèrement condamné pour le fait d'avoir tué. Dans une telle hypothèse il n'est sans doute pas bien difficile de rédiger quelques paragraphes reprenant le dossier dans ses très grandes lignes et d'expliciter la sanction.
Mais très souvent c'est autrement plus compliqué. Dans les procédures criminelles il y a parfois des infractions multiples, des accusés qui discutent chaque fait, chaque témoignage, des experts qui n'aboutissent pas à la même conclusion, des témoins qui se contredisent... Motiver, cela suppose alors, sauf s'il ne s'agit que d'une motivation de façade expédiée en quelques lignes, d'écrire sur chaque aspect important du dossier pourquoi tel argument est retenu et non tel autre. En correctionnelle (le jugement des délits) il faut dans certaines affaires plusieurs jours pour motiver un jugement.
Mais ce n'est pas la seule difficulté à laquelle il va falloir faire face s'il faut un jour motiver les décisions en matière criminelle.
Qui va les rédiger ? Le président sans doute car il ne peut pas vraiment y avoir plusieurs mains sur le même clavier ? Mais quand, et comment ?
Le président devra-t-il rédiger une décision à l'issue du délibéré et avant l'annonce de la décision ? On imagine difficilement le président assis devant son ordinateur et 11 personnes (14 en appel) le regardant faire en silence... surtout si la motivation demande plusieurs jours de travail.
Pourra-t-il motiver après la fin du procès ? Mais alors il ne pourra plus y avoir aucun échange avec les autres membres de la cour sur les éléments essentiels à reprendre dans la décision. Il s'agira alors de la motivation du seul président, non de la décision de la cour dans son ensemble. Une telle personnalisation n'est pas véritablement souhaitable.
Mais si l'on veut écarter cette difficulté, que doit-il reprendre ? Peut-on imaginer que le président demande aux deux autres magistrats et à chaque juré de lui indiquer quels éléments il ont essentiellement retenu pour, dans un deuxième temps, tenter d'en faire la synthèse et ainsi aboutir à une sorte de motivation collective ? Mais cela se heurterait aussitôt à un obstacle insurmontable : le secret des votes. En effet, aucun membre de la cour d'assises n'a l'obligation de s'exprimer pendant le délibéré, et régulièrement des jurés choisissent de rester silencieux, ce qui fait que personne ne connaît ni leur décision (on vote sur un bulletin de papier aussitôt plié en quatre pour que personne ne voit ce qui y est écrit) ni le raisonnement qui y a conduit. Il est donc exclu que le président impose aux autres membres de la cour de dire dans quel sens ils ont voté et pourquoi.
Il existe une autre difficulté de taille. A la cour d'assises, la décision n'est pas prise à partir du contenu du dossier écrit, que les assesseurs du président et les jurés ne connaissent jamais, mais uniquement à partir de ce qui est dit pendant les débats. Dès lors, il faudrait inéluctablement prévoir l'enregistrement de tout ce qui est dit, et la retranscription intégrale des propos tenus., pour que ceux-ci puissent servir de support à la motivation de la décision. En effet personne, et notamment pas le président, ne peut se souvenir de tout ce qui a été dit par les accusés, parties civiles, témoins, experts. D'autant plus que les sessions se déroulant sur deux ou trois semaines, parfois plus, le président ne commencera à rédiger la décision correspondant aux premières affaires que de nombreux jours ou semaines plus tard. Sans possibilité de se reporter à la retranscription des débats, aucune motivation de qualité ne sera possible.
Le fait que la Cedh fasse intentionnellement allusion à "un résumé des principales raisons pour lesquelles la cour d'assises s'est déclarée convaincue de la culpabilité du requérant", est-il un moyen pour elle d'éviter de rendre l'exercice trop difficile sinon impossible ? Il n'empêche qu'il ne pourrait pas s'agir d'un simulacre de motivation grâce à quelques remarques générales qui n'expliquent pas grand chose du raisonnement suivi et qui ne satisferont personne.
Il faut également avoir en tête que si les présidents doiventt motiver toutes les décisions, cela va nécessiter de très nombreuses journées supplémentaires de travail pour chacun d'eux, ce qui ne sera réalisable qu'en multipliant leur nombre.... ou en diminuant le nombre des affaires audiencées et en prenant de plus en plus de retard... avec à la clé de nouvelles condamnations de la Cedh pour des délais de jugement non raisonnables !
Enfin, il faut avoir en tête que c'est notamment à la lecture de la motivation de la décision qui le condamne que l'accusé apprécie l'opportunité de faire appel (avec le risque d'une peine alourdie en appel..). Si les décisions des cour d'assises sont motivées, comme pour les raisons précitées cette motivation ne pourra être rédigée que plusieurs jours ou semaines après le prononcé des sanctions, il faudra modifier ce délai d'appel qui est aujourd'hui de 10 jours. Et l'allonger sensiblement.
Finalement, la question apparaît redoutablement complexe. Ne pas permettre à tous ceux qui ont été concernés par un procès criminel de connaître la raison d'être de la décision prononcée est une inacceptable aberration au niveau du principe. Mais en même temps il est bien difficile de trouver un mécanisme de motivation compatible avec les règles spécifiques de fonctionnement de la cour d'assises.
nb : Cet article a été mis en ligne le 31 mars 2009, puis complété et de nouveau publié le 20 mai 2009
Alors que la fureur autour du procès de Monsieur Colona n'est pas encore totalement retombée, l'une des questions qui se pose inéluctablement, une fois de plus, est celle de la motivation des décisions de la cour d'assises.
Quand une juridiction statue, de quelque nature qu'elle soit (civile, pénale, commerciale, prud'homale....), ce qui fait que la décision rendue pourra être admise et respectée, c'est la qualité de sa motivation qui, en elle-même, doit prouver l'existence, chez les juges, d'un raisonnement logique ayant sérieusement conduit à une conclusion indiscutable.
Par ailleurs, et cela est très important, toute personne qui sait qu'elle est autorisée à émettre un point de vue sans avoir à le motiver est naturellement tentée d'en profiter/abuser quand elle veut imposer une décision pourtant difficile à justifier. Permettre à une juridiction de rendre une décision non motivée c'est ouvrir la porte à l'arbitraire, ce qui est insupportable en matière de justice.
En tous cas, quand une décision est rendue mais n'est accompagnée d'aucune motivation exprimée, n'importe qui peut prêter aux juges des intentions peu nobles et des raisonnements aberrants, même si cela n'a pas été le cas. En présence d'une décision non motivée un prévenu peut facilement proclamer « je n'ai rien fait, le dossier est vide ». L'exercice est nettement plus délicat quand une décision comportant de nombreuses pages de motivation reprend un à un tous les éléments du dossier qui montrent, si tel est le cas, qu'il était impliqué jusqu'au cou dans l'infraction qui lui a été reprochée.
Le fait est que, s'agissant de la cour d'assises, nombreux sont les accusés et leurs avocats qui utilisent sans fin cette opportunité qui leur est offerte de critiquer une décision non motivée tout en sachant que même s'ils énoncent les plus invraisemblables des mensonges aucun des juges ou des jurés ne viendra à son tour expliquer devant les caméras tous les éléments qui ont été retenus au cours du délibéré. Une décision non motivée, c'est un boulevard ouvert à toutes les contre-vérités et les manipulations de l'opinion publique.
Mais même quand il ne s'agit pas de ces stratégies visant aussi délibérément que malhonnêtement à saper l'autorité d'une décision non motivée pour détourner l'attention du crime commis, il n'en reste pas moins que l'absence de motivation peut aisément être source de malaise et de malentendus. Pourquoi le meurtre a-t-il été retenu plutôt que l'assassinat (le meurtre plus la préméditation) ? Pourquoi la légitime défense n'a-t-elle pas été admise ? Pourquoi une telle différence de sanction entre des accusés poursuivis pour les mêmes faits ? Pourquoi un acquittement/une condamnation devant une première cour d'assises et l'inverse devant la seconde, à partir du même dossier ?
C'est pourquoi l'incompréhension d'une décision, à l'issue d'un procès criminel, peut être à l'origine d'une souffrance supplémentaire pour l'une ou l'autre des personnes qui y ont été impliquées, et parfois pour les proches.
Enfin, devant toutes les autres juridictions, c'est souvent après avoir lu la motivation de la décision de première instance que les parties apprécient l'opportunité de faire appel. En effet c'est à la lecture du texte des juges que va apparaître soit le peu de chance d'obtenir une autre décision, soit au contraire les faiblesses du raisonnement qu'il sera judicieux de faire valoir devant d'autres magistrats.
La logique voudrait donc que plus une décision est lourde de conséquences, plus elle doit être explicitée.
C'est ce qu'a jugé la Cour européenne des droits de l'homme dans un arrêt du 13 janvier 2009 (Taxquet c/ Belgique, non définitif car sur demande de la Belgique l'affaire sera soumise prochainement à la formation plénière de la Cedh).
Dans cette décision, la Cour européenne rappelle quelques principes fondamentaux qui semblent difficilement contestables. Elle écrit notamment (parag. 40 à 50) :
"(..) les décisions judiciaires doivent indiquer de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent. (..) L'exigence de motivation doit aussi s'accommoder de particularités de la procédure, notamment devant les cours d'assises où les jurés ne doivent pas motiver leur intime conviction. (..) La Cour relève que l'arrêt de la cour d'assises repose sur trente-deux questions posées au jury dans le cadre du procès litigieux. (..) Le requérant est visé par quatre d'entre elles (..) .Le jury a répondu par l'affirmative à toutes les questions. (..) Or, en l'espèce, la formulation des questions posées au jury était telle que le requérant était fondé à se plaindre qu'il ignorait les motifs pour lesquels il avait été répondu positivement à chacune de celles-ci, alors qu'il niait toute implication personnelle dans les faits reprochés.
La Cour estime que ces réponses laconiques à des questions formulées de manière vague et générale ont pu donner au requérant l'impression d'une justice arbitraire et peu transparente. Sans au moins un résumé des principales raisons pour lesquelles la cour d'assises s'est déclarée convaincue de la culpabilité du requérant, celui n'était pas à même de comprendre – et donc d'accepter – la décision de la juridiction.
Cela revêt toute son importance en raison du fait que le jury ne tranche pas sur base du dossier mais sur base de ce qu'il a entendu à l'audience. Il est donc important, dans un souci d'expliquer le verdict à l'accusé mais aussi à l'opinion publique, au « peuple », au nom duquel la décision est rendue, de mettre en avant les considérations qui ont convaincu le jury de la culpabilité ou de l'innocence de l'accusé et d'indiquer les raisons concrètes pour lesquelles il a été répondu positivement ou négativement à chacune des questions. Dans ces conditions, la Cour de cassation n'a pas été en mesure d'exercer efficacement son contrôle et de déceler, par exemple, une insuffisance ou une contradiction des motifs.
La Cour conclut qu'il y a eu violation du droit à un procès équitable, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention."
Comment ne pas être d'accord avec cela ?
Oui mais voilà, si ce principe est difficilement contestable, comment le mettre en oeuvre à la cour d'assises ? C'est loin d'être simple, car les obstacles à la motivation des décisions sont de taille.
Un dossier criminel c'est parfois un homme qui a tiré sur un autre, qui le reconnaît, qui explique pourquoi il a agi ainsi à l'audience, et qui admet devoir être relativement sévèrement condamné pour le fait d'avoir tué. Dans une telle hypothèse il n'est sans doute pas bien difficile de rédiger quelques paragraphes reprenant le dossier dans ses très grandes lignes et d'expliciter la sanction.
Mais très souvent c'est autrement plus compliqué. Dans les procédures criminelles il y a parfois des infractions multiples, des accusés qui discutent chaque fait, chaque témoignage, des experts qui n'aboutissent pas à la même conclusion, des témoins qui se contredisent... Motiver, cela suppose alors, sauf s'il ne s'agit que d'une motivation de façade expédiée en quelques lignes, d'écrire sur chaque aspect important du dossier pourquoi tel argument est retenu et non tel autre. En correctionnelle (le jugement des délits) il faut dans certaines affaires plusieurs jours pour motiver un jugement.
Mais ce n'est pas la seule difficulté à laquelle il va falloir faire face s'il faut un jour motiver les décisions en matière criminelle.
Qui va les rédiger ? Le président sans doute car il ne peut pas vraiment y avoir plusieurs mains sur le même clavier ? Mais quand, et comment ?
Le président devra-t-il rédiger une décision à l'issue du délibéré et avant l'annonce de la décision ? On imagine difficilement le président assis devant son ordinateur et 11 personnes (14 en appel) le regardant faire en silence... surtout si la motivation demande plusieurs jours de travail.
Pourra-t-il motiver après la fin du procès ? Mais alors il ne pourra plus y avoir aucun échange avec les autres membres de la cour sur les éléments essentiels à reprendre dans la décision. Il s'agira alors de la motivation du seul président, non de la décision de la cour dans son ensemble. Une telle personnalisation n'est pas véritablement souhaitable.
Mais si l'on veut écarter cette difficulté, que doit-il reprendre ? Peut-on imaginer que le président demande aux deux autres magistrats et à chaque juré de lui indiquer quels éléments il ont essentiellement retenu pour, dans un deuxième temps, tenter d'en faire la synthèse et ainsi aboutir à une sorte de motivation collective ? Mais cela se heurterait aussitôt à un obstacle insurmontable : le secret des votes. En effet, aucun membre de la cour d'assises n'a l'obligation de s'exprimer pendant le délibéré, et régulièrement des jurés choisissent de rester silencieux, ce qui fait que personne ne connaît ni leur décision (on vote sur un bulletin de papier aussitôt plié en quatre pour que personne ne voit ce qui y est écrit) ni le raisonnement qui y a conduit. Il est donc exclu que le président impose aux autres membres de la cour de dire dans quel sens ils ont voté et pourquoi.
Il existe une autre difficulté de taille. A la cour d'assises, la décision n'est pas prise à partir du contenu du dossier écrit, que les assesseurs du président et les jurés ne connaissent jamais, mais uniquement à partir de ce qui est dit pendant les débats. Dès lors, il faudrait inéluctablement prévoir l'enregistrement de tout ce qui est dit, et la retranscription intégrale des propos tenus., pour que ceux-ci puissent servir de support à la motivation de la décision. En effet personne, et notamment pas le président, ne peut se souvenir de tout ce qui a été dit par les accusés, parties civiles, témoins, experts. D'autant plus que les sessions se déroulant sur deux ou trois semaines, parfois plus, le président ne commencera à rédiger la décision correspondant aux premières affaires que de nombreux jours ou semaines plus tard. Sans possibilité de se reporter à la retranscription des débats, aucune motivation de qualité ne sera possible.
Le fait que la Cedh fasse intentionnellement allusion à "un résumé des principales raisons pour lesquelles la cour d'assises s'est déclarée convaincue de la culpabilité du requérant", est-il un moyen pour elle d'éviter de rendre l'exercice trop difficile sinon impossible ? Il n'empêche qu'il ne pourrait pas s'agir d'un simulacre de motivation grâce à quelques remarques générales qui n'expliquent pas grand chose du raisonnement suivi et qui ne satisferont personne.
Il faut également avoir en tête que si les présidents doiventt motiver toutes les décisions, cela va nécessiter de très nombreuses journées supplémentaires de travail pour chacun d'eux, ce qui ne sera réalisable qu'en multipliant leur nombre.... ou en diminuant le nombre des affaires audiencées et en prenant de plus en plus de retard... avec à la clé de nouvelles condamnations de la Cedh pour des délais de jugement non raisonnables !
Enfin, il faut avoir en tête que c'est notamment à la lecture de la motivation de la décision qui le condamne que l'accusé apprécie l'opportunité de faire appel (avec le risque d'une peine alourdie en appel..). Si les décisions des cour d'assises sont motivées, comme pour les raisons précitées cette motivation ne pourra être rédigée que plusieurs jours ou semaines après le prononcé des sanctions, il faudra modifier ce délai d'appel qui est aujourd'hui de 10 jours. Et l'allonger sensiblement.
Finalement, la question apparaît redoutablement complexe. Ne pas permettre à tous ceux qui ont été concernés par un procès criminel de connaître la raison d'être de la décision prononcée est une inacceptable aberration au niveau du principe. Mais en même temps il est bien difficile de trouver un mécanisme de motivation compatible avec les règles spécifiques de fonctionnement de la cour d'assises.