La motivation des décisions de la cour d'assises : le projet gouvernemental
Par Michel Huyette
La problématique de la motivation des décisions de la cour d'assises a été plusieurs fois abordée ici, et je renvoie les visiteurs à la lecture des textes antérieurs pour éviter trop de répétitions (cf ici, ici, ici, ici, ici, ici et aussi ici). Rappelons seulement qu'à la cour d'assises il n'est indiqué aux parties aux procès que les réponses sous forme de "oui" ou de "non" aux questions de principe relatives à la culpabilité et, en cas de déclaration de culpabilité, la nature de la peine. Et que si le conseil constitutionnel vient tout juste d'avaliser notre système juridique, celui-ci pourrait bien être, de nouveau, jugé non conforme par la cour européenne des droits de l'homme.
Quoi qu'il en soit, le gouvernement a envisagé une modification de notre code de procédure pénale dans le sens d'une meilleure motivation des décisions criminelles.
Le projet prévoit en effet la création d'un nouvel article 365-1 rédigé ainsi :
" En cas de condamnation, le président ou l'un des magistrats assesseurs par lui désigné rédige la motivation de l’arrêt.
La motivation consiste dans l’énoncé des principales raisons qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d’assises. Ces raisons sont celles qui ont été exposées au cours des délibérations menées par la cour et le jury, conformément à l’article 356, préalablement aux votes sur les questions.
Cette motivation figure sur un document annexé à la feuille des questions, appelé feuille de motivation."
Ce projet appelle quelques brèves observations.
Sur le principe, pour les raisons qui ont été explicitées auparavant, on doit approuver l'existence d'une motivation minimale au-delà des seules réponses aux questions posées qui ne peuvent pas être considérées comme permettant au justiciable de connaître la raison d'être de la décision.
Les précisions apportées dans le deuxième alinéa sur ce qu'est la motivation sont également satisfaisantes. La motivation d'une décision criminelle c'est bien la synthèse des principaux éléments pris en compte pendant le délibéré et qui ont conduit à la décision adoptée.
Par contre une réelle difficulté pratique pourrait naîre de l'application de ce texte.
En effet, il est indiqué d'abord (1er alinéa) que le président rédige la motivation de l'arrêt, ensuite (3ème alinéa) qu'il le fait sur une "feuille de motivation" annexée à la feuille de questions.
Cela semble supposer, puisque lors de la reprise de l'audience une fois le délibéré terminé le président lit les réponse apportées aux questions, que la feuille de motivation, jointe à la feuille de questions, doit déjà être rédigée.
Or motiver, même succinctement, ne se fait pas en quelques minutes. Surtout s'il y a plusieurs accusés et/ou plusieurs infractions poursuivies. Dans certains cas il faudra inéluctablement au président plusieurs dizaines de minutes quand ce n'est une heure ou plus pour rédiger un texte d'une qualité minimale.
Il est donc difficile d'envisager que le président s'isole pendant tout ce temps pour rédiger et laisse ses collègues et les jurés dans une autre salle sans la moindre occupation.
C'est pourquoi il semble opportun :
- que le texte soit légèrement modifié et qu'il soit mentionné qu'à la reprise de l'audience le président énonce oralement la motivation de la décision et qu'il dispose d'un délai - à préciser mais qui peut-être relativement bref - pour rédiger la motivation écrite,
- ou, en cas de maintien du texte en l'état, que le président agisse ainsi pour en pas être contraint de rédiger à la va vite une motivation qui ne pourra pas être de qualité.
En conclusion : encore quelques efforts et nous y serons... enfin.