Quand le mieux est l'ennemi du bien (à propos de la motivation de la peine à la cour d'assises)
Il arrive parfois que l'on se dise que ce qui vient de se produire va être difficile à expliquer. Mais ce n'est pas une raison suffisante pour renoncer !
La chambre criminelle de la cour de cassation vient de rendre, le 8 février 2017, trois décisions importantes, publiées sur son site internet pour le souligner (décision 1, décision 2, décision 3), et qui feront date.
Ce qu'elle vient de décider est simple à énoncer : Les décisions de condamnations prononcées par les cours d'assises ne doivent contenir aucune explication d'aucune sorte quant au choix de la sanction pénale prononcée, et toute mention, même de quelques phrases ou simplement de quelques mots, relative à la raison d'être de la peine, entraîne la cassation de la décision rendue. Et l'obligation d'organiser un troisième procès, avec toutes les conséquences que cela comporte.
La motivation est semblable dans les trois arrêts :
"Vu l’article 591 du code de procédure pénale, ensemble l’article 365-1 dudit code ; Attendu que, selon le second de ces textes, en cas de condamnation par la cour d’assises, la motivation consiste dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui l’ont convaincue de la culpabilité de l’accusé ; qu’en l’absence d’autre disposition légale le prévoyant, la cour et le jury ne doivent pas motiver le choix de la peine qu’ils prononcent dans les conditions définies à l’article 362 du code susvisé ; (..) Mais attendu que ces énonciations, qui relèvent non pas de la déclaration de culpabilité mais de la motivation de la peine, contreviennent au principe ci-dessus énoncé ; Qu’en conséquence, la cassation est encourue ;"
Et dans une quatrième décision du même jour (n° 16-81.242) la chambre criminelle de la cour de cassation, en réponse à l'argument critiquant cette fois-ci l'absence totale de motivation de la peine, a répondu par un attendu contenant la même interdiction :
« Attendu que le demandeur ne saurait reprocher à la cour d'assises de ne pas avoir motivé le choix de la peine prononcée contre lui, dès lors que selon l'article 365-1 du code de procédure pénale, en cas de condamnation par cette juridiction, la motivation consiste dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui l'ont convaincue de la culpabilité de l'accusé, et qu'en l'absence d'autre disposition légale le prévoyant, la cour et le jury ne doivent pas motiver le choix de la peine qu'ils prononcent dans les conditions définies à l'article 362 du même code ; D'où il suit que le moyen doit être écarté »
Faisons d'abord un retour en arrière.
Le droit national est vivant et c'est indispensable, quand bien même cela le fragilise et complexifie le travail des juristes. Il évolue en fonction des changements de la société, des besoins exprimés, des manques constatés, des excès refusés. Notre droit interne accompagne aussi les grandes évolutions des normes juridiques internationales.
S'agissant des règles relatives au fonctionnement de la justice, la direction est chaque fois la même : assurer encore et toujours plus de rigueur, plus de clarté, plus de transparence, plus d'explications.
Tel est le cas de la motivation des décisions des cours d'assises.
Pendant une très longue période les décisions des cours d'assises n'ont pas été motivées. Puis la Cour européenne des droits de l'homme a exigé qu'en matière criminelle les accusés soient en mesure de parfaitement comprendre le verdict rendu. Ce qui parfois rend indispensable une motivation écrite et développée de la décision. D'où la réforme de 2011 qui, depuis le début de l'année 2012, impose la rédaction et la diffusion d'une "feuille de motivation" (texte ici). (lire aussi ici, ici, ici, ici)
En même temps, s'agissant des décisions pénales rendues par les tribunaux correctionnels, la cour de cassation a toujours contrôlé la motivation tant de la déclaration de culpabilité que de la peine. Et le niveau des exigences est en constante augmentation s'agissant du choix de la peine.
Cela se comprend. Le condamné doit autant comprendre pourquoi il est déclaré coupable que le choix de la sanction prononcée. D'autant plus quand les peines peuvent aller, par exemple, de 1 à 30 ans de prison. Compréhension qui intéresse aussi la victime en ce sens que la sanction est, d'abord, la mesure de la gravité de l'infraction commise.
Au demeurant, magistrats et jurés, à la fin des délibérés, ressentent régulièrement le besoin d'expliciter la peine choisie, au moins de quelques mots. C'est pourquoi certains présidents, à la reprise de l'audience, après avoir énoncé les réponses aux questions posées et la sanction décidée, fournissent oralement quelques indications à propos de la peine prononcée.
Cela explique pourquoi quelques présidents de cours d'assises ont pensé qu'il fallait aller un peu plus loin, anticiper une possible évolution du cadre juridique relatif à la motivation des peines, comme cela a été le cas avant la motivation de la culpabilité. Ces présidents ont ajouté dans la feuille de motivation quelques phrases sur la raison d'être de la peine prononcée. Ceci pour que tous les intéressés au procès, au premier rang desquels le criminel condamné, comprennent encore mieux la décision rendue.
Ces présidents ont d'autant moins hésité que pas un seul n'a pensé que l'on pourrait lui reprocher de motiver la peine. En effet, cette motivation, qu'elle porte sur la culpabilité ou sur la peine, n'existe que dans l'intérêt du condamné.
Ils ont sans doute été sensibles, en plus, aux nombreux pourvois formés par des avocats de condamnés reprochant, justement, l'absence de motivation de la peine prononcée contre eux. Et se sont dit qu'un jour ou l'autre, à l'occasion de l'évolution de la jurisprudence, une décision pourrait être cassée pour absence de motivation de la peine.
Ils ont simplement voulu faire mieux que ce qui leur était imposé. Et répondre encore plus aux demandes des accusés condamnés.
Mais ont découvert que le mieux peut être l'ennemi du bien.
Pendant longtemps la chambre criminelle de la cour de cassation a jugé que "la cour et le jury (..) ne sont pas tenus de motiver spécialement le choix d'une peine." (exemple de décision ici).
Dans une décision rejetant une QPC, la chambre criminelle a précisé que "l'absence de motivation des peines de réclusion criminelle et d'emprisonnement prononcées par les cours d'assises, qui s'explique par l'exigence d'un vote à la majorité absolue ou à la majorité de six ou de huit voix au moins lorsque le maximum de la peine privative de liberté est prononcé, ne porte pas atteinte au droit à l'égalité devant la justice garanti par les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, les personnes accusées de crime devant les cours d'assises étant ainsi dans une situation différente de celles poursuivies devant le tribunal correctionnel ." (décision ici)
Il est possible de s'interroger sur cette argumentation. L'existence d'un groupe de 9 ou 12 personnes décidant et votant ensemble (12 ou 15 avant la réduction du nombre des jurés), était mis en avant par les opposants à la motivation de la culpabilité. Or cet argument a été écarté. De fait les raisons d'être d'un vote sur la culpabilité peuvent varier d'un membre de la cour d'assises à l'autre, mais le président doit pourtant faire une synthèse des éléments essentiels finalement majoritairement retenus.
Cet argument tiré du fonctionnement spécifique de ce groupe peut donc difficilement être un argument concernant la motivation de la peine. Le président qui écoute les débats en délibéré sait si tel argument en faveur ou en défaveur de l'accusé a été retenu majoritairement lors du vote sur la peine (une provocation de la victime, l'âge avancé de l'accusé, la dangerosité relevée par les psys, l'évolution d'un accusé libre etc..). Il peut faire la synthèse comme il le fait pour la culpabilité.
Revenons en maintenant aux décisions récentes de la cour de cassation.
Le lecteur des arrêts constatera d'abord que la cour de cassation, dans aucun des trois dossiers, n'était saisie d'une demande d'un condamné de constater que l'existence d'une motivation de la peine est contraire à ses droits. Cela aurait été surprenant. A chaque fois la discussion portait uniquement sur le contenu de la motivation, non sur le principe de la motivation. C'est la cour de cassation qui a pris l'initiative de décaler le débat et de répondre, non sur le contenu des phrases litigieuses, mais sur le principe de l'interdiction de motiver la peine.
Selon certains commentateurs officieux (l'arrêt sera sans doute longuement interprété dans les revues juridiques dans les semaines qui viennent), la chambre criminelle de la cour de cassation aurait pu d'une part maintenir le principe de la non motivation de la peine, quitte à le rappeler en termes plus stricts pour faire passer clairement son message pour l'avenir, et d'autre part constater que la motivation de la peine, par principe, ne peut pas porter atteinte aux droits des condamnés. Elle aurait alors, implicitement, admis une motivation facultative de la peine tout en encourageant les présidents à ne pas user de cette possibilité.
Il est vrai que cela aurait, pour les condamnés, créé une inégalité entre les cours d'assises motivant la peine et celles qui ne le font pas.
Pourrait aussi apparaître une difficulté supplémentaire en cas de motivation, parfois, d'une seule partie de la peine. Par exemple la motivation du nombre d'années de prison mais pas de la raison d'être d'un suivi socio-judiciaire ou d'une peine complémentaire. Même si la motivation était admise, son périmètre serait alors laissé à l'appréciation des présidents de cours d'assises, ce qui serait délicat et, là encore, source de différences d'une cour d'assises à l'autre.
La cour de cassation a-t-elle souhaité empêcher ces aléatoires différences de pratiques ? Ne pas ouvrir la boite de Pandorre que serait le contrôle de la motivation de la peine ?
A l'inverse, il était difficile pour la cour de cassation de rendre la motivation de la peine obligatoire. Non seulement aucune norme interne ou internationale ne semble l'exiger à ce jour, il n'existe pas de jurisprudence en ce sens, mais cela aurait brutalement conduit à la cassation de centaines d'arrêts de cours d'assises d'appel. Et par voie de conséquence à des centaines de procès à refaire. Au demeurant, un tel argument n'était pas soulevé.
Il n'en reste pas moins que les décisions commentées aujourd'hui sont troublantes en ce sens qu'elles sanctionnent, par principe, des pratiques qui n'ont pas - sauf problème dans le contenu de la motivation - porté atteinte aux droits des accusés.
Elle le sont aussi parce qu'elles vont imposer de nouveaux procès à des justiciables qui vont en subir toutes les conséquences et qui vont avoir bien des difficultés à comprendre pourquoi on leur impose cela. Notamment les victimes.
Mais le risque est aussi présent pour les accusés concernés par ces décisions qui, lors du troisième procès, pourront être plus sévèrement condamnés que lors du deuxième (s'ils sont à nouveau déclarés coupables).
Au-delà, nombreux sont ceux qui regretteront, une fois de plus, que les trois décisions de la cour de cassation, au delà d'une brève affirmation de principe, ne comportement aucun début de motivation. La cour de cassation avait pourtant promis de faire des efforts... de motivation. (cf. ici)
Nous saurons dans les mois à venir combien de décisions sont cassées pour ce même motif.
En tous cas les magistrats retiendront la leçon : Ne pas être suffisamment attentif aux droits des personnes poursuivies devant la justice pénale est parfois inacceptable. Mais vouloir trop bien faire peut l'être aussi.
Décidément oui, le mieux est parfois l'ennemi du bien.