Comment se prennent les décisions à la cour d'assises
Dans la plupart des juridictions civiles ou pénales, les décisions sont prises par trois magistrats, parfois un seul (que l'on nomme souvent "juge unique"). Dans la collégialité, le dossier et les débats à l'audience sont discutés par les trois juges, et en cas d'avis divergents la majorité l'emporte. Mais cela se fait sans aucun formalisme, les avis étant émis oralement, le président constatant au final quelle est l'opinion majoritaire tant sur les questions de droit, la culpabilité, que la peine.
A la cour d'assises c'est forcément un peu plus compliqué du fait de la présence des jurés. Ceux-ci sont au nombre de 6 quand l'affaire est jugée pour la première fois, et de 9 en appel. Dans les deux cas la cour d'assises comprend 3 magistrats. Ce sont donc 9 ou 12 personnes qui doivent prendre ensemble une décision, personne ne disposant d'une voix plus importante que celle des autres au moment du vote, y compris le président.
La loi a prévu les modalités concrètes de déroulement du délibéré de la cour d'assises, afin qu'une décision se dégage inéluctablement, même en cas d'avis variés. (art. 359 svts du cpp, lire ici)
Le code de procédure pénale nous indique d'abord les majorités nécessaires, tant pour la culpabilité que pour la peine, étant précisé qu'après un plus ou moins long débat sur chacun de ces sujets chaque membre de la cour d'assises prend en main un petit bulletin de vote en papier et inscrit dessus sa décision, le plie et le met dans une boîte, les bulletins étant ensuite ouverts et comptabilisés comme dans une élection.
1. Le vote sur la culpabilité
Pour qu'un accusé soit déclaré coupable, la loi exige qu'une forte majorité de membres de la cour d'assises le décident.
En première instance il faut que 6 personnes (sur 9) votent "oui" à la question "x... est-il coupable d'avoir commis tel crime..?", et en appel qu'elles soient 8 (sur 12). Il s'agit donc d'une majorité des deux tiers. Dès lors, même si, par exemple en première instance, 5 personnes sont en faveur de la culpabilité de l'accusé et 4 en faveur de son acquittement, c'est ce dernier qui l'emporte quand bien même une majorité absolue de votants s'est prononcée pour la culpabilité.
2. Le vote sur la peine
Si la réponse à la question sur la culpabilité peut uniquement être "oui" ou "non", le choix est bien plus vaste quand un accusé est déclaré coupable et que l'on passe, après un nouveau débat, au vote sur la peine. En effet, les peines prévues pour les crimes étant élevées (par exemple 15 ans pour un viol sans circonstantes aggravantes, 30 ans pour un meurtre, la réclusion criminelle à perpétuité pour un assassinat), les votes peuvent être très divers.
La loi précise d'abord que pour que soit retenue la peine maximale prévue par le code pénal, il faut la même majorité que pour la culpabilité, soit 6 en première instance et 8 en appel. Pour toutes les autres peines, il faut que 5 personnes en première instance, 7 en appel (c'est la majorité absolue) votent la même peine.
La loi prévoit ensuite un mécanisme permettant d'arriver à un moment ou un autre à 5/7 votes identiques, même si au départ les avis sont très partagés. Prenons un exemple pour bien comprendre.
Supposons, en première instance, que les 9 votants écrivent sur leur bulletin chacun une peine différente : le premier marque 1 an (de prison), le deuxième 2 ans, le troisième 3 ans et ainsi de suite jusqu'au neuvième qui marque 9 ans. Nous avons donc 9 peines différentes et nous sommes très loin des 5 votes sur une même peine.
Pour y arriver, à partir du troisième tour, la peine la plus forte du tour précédent est écartée, et le maximum pour lequel on peut voter devient la peine juste en dessous. Dans notre exemple la peine la plus élevée était 9 ans. Donc, le tour suivant, le maximum pour lequel on peut voter devient 8 ans. Dès lors, celui qui a voté 9 ans va (supposons le) voter 8 ans et il y a alors deux votes sur 8 ans. Le tour suivant, le maximum est 7 ans, et les deux qui ont voté 8 ans votent 7, peine qui recueille 3 votes. Ainsi de suite jusqu'à ce que 5 votes mentionnent la même peine.
Bien sûr cela ne vaut que comme illustration du mécanisme. La plupart du temps il n'y a pas autant d'écart entre les votants. Mais les situations sont quand même variées.
Il arrive, surtout dans les affaires les plus graves, qu'une majorité se dégage rapidement sur une peine très élevée. Il arrive même de temps en temps qu'une peine soit définitivement retenue dès le premier tour. Mais dans la plupart des affaires les votes sont plus ou moins éparpillés. Par exemple, pour un crime puni de 15 ans, le plus sévère peut voter 14 ans et le plus indulgent 6 ans. Au final c'est une peine intermédiaire qui se dégage.
Quelques précisions complémentaires.
Pour prononcer un suivi socio-judiciaire (suivi du condamné quand il sort de prison) il faut une majorité absolue et non une majorité augmentée.
Il en va de même pour la période de sûreté (période pendant laquelle un condamné ne bénéficie d'aucune sortie ou aménagement de peine), soit quand elle est obligatoire et que la cour d'assises décide de sa durée, soit quand elle est facultative et que la cour d'assises décide de l'appliquer quand même au condamné.
Pour toutes ces raisons, la durée d'un délibéré dépend essentiellement de deux paramètres : l'existence d'un débat délicat sur la culpabilité (quand l'accusé reconnaît c'est plus simple...), et/ou des avis très variés sur la sanction à infliger.
Ceci explique pourquoi un délibéré dure rarement moins de quatre vingt dix minutes, et qu'il peut dans les affaires les plus compliquées et/ou qui impliquent plusieurs accusés durer plusieurs heures.