Révolutions au Souverain Sérail
Par Raymond Lévy (magistrat)
Mon cher Mahmoud,
Les habitants du royaume de France sont très attentifs aux soubresauts qui agitent les pays qui se sont affranchis de la domination de l'empire Ottoman et dans lesquels des émirs, des pachas et des sultans avaient proclamé leur autonomie et la liberté des habitants de leurs pays de se soumettre à leurs propres janissaires, au lieu de se soumettre aux soldats et aux administrateurs du grand Turc.
Les populations de ces territoires, que les stratèges français désignent sous le terme global:«arc de crise», ne veulent plus de leurs seigneurs, et se sont rebellées avec des succès divers.
Le bey de Tunis et le sultan d'Egypte ont perdu leurs trônes. Le Grand Bédouin de Libye fait massacrer son peuple pour garder le pouvoir, mais on prévoit sa capture. On réclame son transfert sur le territoire du royaume de Hollande, pour y être jugé devant une Cour Pénale composé de juges de plusieurs pays.
Le croiras-tu, Mahmoud? Les Européens et les habitants d'autres pays du monde considèrent que tuer ses sujets indociles ne fait plus partie des prérogatives royales ! C'est une vision du monde bien étrange. Emprisonner, lapider ou pendre les sujets qui ne se conforment pas aux voeux des princes et aux préceptes de la religion est pourtant la manière la plus facile de gouverner un Etat, et se pratique encore tout naturellement en Perse.
Serait-il imaginable qu'il en aille autrement ? Ne serais-je pas en danger si je répétais en Perse ce qu'on ose penser en France? Je te prie d'être prudent, Mahmoud, et de bien choisir les personnes à qui tu montreras mes lettres. Un jour, peut-être, les idées occidentales seront admises en Perse. Certes, cela est difficile à imaginer, mais nul ne l'imaginait pour les territoires que j'évoquais, et pourtant cela s'est produit.........
Les Français l'imaginaient si peu, que l'on vient d'apprendre que la dame du Souverain Sérail qui avait indisposé le Shah des Français, en acceptant de voyager sur un tapis volant d'un ami du bey de Tunis, avait laissé ses parents négocier l'achat d'un Palais dont elle aurait pu hériter sans enrichir le Trésor du Shah. Offensé, ce monarque l'a chassée de son Souverain Sérail, ce qui fait bruisser les palais.
En fait, le Shah s'est débarrassé successivement des deux dames qu'il avait chargées de maintenir ses serviteurs chargés de rendre la justice dans la plus étroite soumission, et a sanctionné leurs échecs. Il leur a bien sûr assuré des rentes pour les consoler de la perte de leurs rangs princiers. La dernière, qu'il venait de charger des relations de son royaume avec les autres couronnes de ce monde, a officiellement expié son manque d'à propos en cette matière, mais aussi son incapacité à avoir rendu impossible la rébellion des «magistrats» sous le ministère de son successeur, qui curieusement n'a pas été atteint par la colère du Shah.
Le souverain espère que son nouveau ministre saura apaiser le courroux des «magistrats» (et aussi celui des secrétaires de justice et des services pénitentiaires, dont on ne parle pas mais qui est aussi important). Bien sûr sans puiser dans le Trésor du Shah, ce qui paraît difficile.
Le Shah a d'ailleurs sacrifié un de ses plus fidèles serviteurs, le Vizir de la Police, que les «magistrats» n'avaient pas craint de condamner pour des propos jugés déplaisants, ce qui ternissait le prestige du Souverain Sérail. Le peuple murmurait, parce que le Shah a promis depuis dix ans de faire cesser les brigandages de toute sorte en son royaume et tire une grande fierté de ses promesses, qu'il compte renouveler pour conserver son trône.
Malheureusement, le peuple ne croit plus beaucoup à ses promesses, n'en ayant pas vu les résultats jusqu'à présent. Le vizir a donc expié son échec et celui , inavouable, du Shah, qui doit garder son prestige pour être acclamé pour un nouveau règne. Je ne comprends pas pourquoi, dans ce pays, le Shah n'est pas nommé à vie.
Il est vrai que le Shah ne le comprend pas non plus......