La réforme de la garde à vue (suite.. mais pas fin)
Par Michel Huyette
Les medias (en premier France Info apparemment) nous apprennent qu'une formation du tribunal correctionnel de Paris vient de déclarer irrégulières plusieurs gardes à vue.
Selon la radio publique les arguments retenus, reproduits en résumé sur son site, sont tous autour de la non conformité de notre droit au regard des normes européennes découlant de la convention européenne des droits de l'homme, telle qu'elle est interprétée par la Cour européenne des droits de l'homme.
Le tribunal relève que l'avocat ne peut pas remplir les tâches essentielles qui sont le propre de sa profession, concrètement qu'il ne peut pas discuter l'affaire avec le gardé à vue puisqu'il n'en connaît rien (l'avocat n'est informé que de la nature et de la date de l'infraction reprochée à son client), qu'il ne peut pas aider son client à préparer sa défense, qu'il ne peut notamment pas aider ce dernier avant ou pendant les interrogatoires puisqu'il n'y assiste pas et qu'il ne sait pas ce qui y sera discuté (l'avocat ignore les éléments récoltés par les enquêteurs).
Ayant déjà abordé les enjeux humains et juridiques autour de ces critères, je vous renvoie aux articles déjà mis en ligne (1).
J'indique seulement que ce qui semble être la motivation des décisions parisiennes est, dans son esprit, bien peu contestable.
La Cour européenne des droits de l'homme a insisté sur le fait que : "l'équité de la procédure requiert que l'accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l'avocat doit librement exercer", et que "le gardé à vue doit pouvoir bénéficier d'une "vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil", interventions concernant "la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense" mais également "la préparation des interrogatoires".
Il est dès lors peu douteux qu'un simple entretien de 30 minutes avec un avocat, sans que celui-ci connaisse quoi que ce soit des éléments recueillis par les enquêteurs, n'est pas conforme à la règle rappelée par la CDEH.
Aujourd'hui je voudrais insister sur un aspect de la problématique, plus humain que juridique.
On le sait, et quoi qu'en disent les syndicats de policiers, il y a eu, il y a, et il y aura encore des abus en garde à vue. Il ne faut pas oublier que la garde à vue ce ne sont pas seulement des interrogatoires. Pendant des heures, les enquêteurs sont en contact avec le gardé à vue et dialoguent avec lui, sans toutefois qu'il ne reste aucune trace de ce qui se fait ou de ce qui se dit en dehors des interrogatoires "officiels" et retranscrits par écrit.
Au cours des dernières semaines, des gardés à vue inhabituels, en ce sens qu'il ne s'agit pas de délinquants ordinaires (enseignant, mère de famille, avocat..), ont les uns après les autres raconté à quel point la garde à vue agresse psychologiquement, met en situation de considérable infériorité (par exemple du fait du déshabillage), et réduit voire abolit les capacités de se défendre devant des enquêteurs totalement maîtres de l'instant.
C'est pourquoi, à cause de la situation particulière des gardés à vue qui se retrouvent seuls, isolés matériellement et psychologiquement, sans aucun soutien extérieur, soumis au bon vouloir d'enquêteurs à la déontologie variable, le soupçon s'installe vite sur le déroulement de la garde à vue. A l'audience, cela permet aux avocats, à tort ou à raison, de contester le contenu des procès-verbaux d'interrogatoire de leur client en mettant en avant les conditions de sa retenue dans les locaux de police. Et le juge est dans une situation inconfortable, lui qui sait en même temps que les déclarations des gardés à vue sont parfois très fiables, mais que dans d'autres situations elles sont le fruit d'une lassitude, d'une peur, d'une volonté forte de mettre fin à l'enfermement qui incite celui qui est psychologiquement très mal à donner les réponses que l'on attend de lui.
Les policiers ne réalisent peut-être pas suffisamment que permettre une plus forte présence de l'avocat peut-être de nature à rendre plus difficile les critiques contre leur façon d'agir, autrement dit que cela peut-être aussi une protection pour eux.
Enfin, je relève une nouvelle fois, parce que cela me semble important, que jusqu'à ce jour aucun syndicat de policiers n'a proposé de nous expliquer, ne serait-ce que pour une seule affaire, en quoi la présence plus importante d'un avocat auprès d'un gardé à vue aurait fait obstacle à l'avancée de la procédure.
Ce qui est à craindre le plus est ce que je soulignais dans le précédent article, à savoir que les recours contre les gardes à vue se multiplient devant les tribunaux, que certains d'entre eux annulent tout ou partie des gardes à vue et ainsi fassent disparaitre une partie importante des dossiers, qu'en plus les tribunaux ne soient pas tous d'accord et que s'installent des divergences de jurisprudence, le tout retardant le jugement des personnes poursuivies.
Et les policiers et gendarmes, dont la mission n'est pas de définir les règles applicables à la garde à vue et qui ne peuvent pas prendre seuls l'initiative d'en modifier le déroulement, se retrouvent entre deux feux ce qui les met, injustement, dans une situation particulièrement délicate.
Personne ne gagnera donc quoi que ce soit dans la poursuite de cette cacophonie judiciaire et médiatique.
Il est donc chaque jour plus urgent que le Parlement légifère sans délai, en mesurant bien tous les enjeux juridiques et humains de la question, étant rappelé qu'il y aurait environ 800.000 gardes à vue en France chaque année.
-------
1. Quelles pratiques policières en attendant la réforme de la garde à vue ?
Les législations européennes relatives à la garde à vue
Les esprits s'échauffent autour de la garde à vue
Quelle réforme pour la garde à vue ?
Garde à vue oui, humiliation non
et pour une réforme radicale de la garde à vue : Introduire l'habeas corpus dans notre droit
Selon la radio publique les arguments retenus, reproduits en résumé sur son site, sont tous autour de la non conformité de notre droit au regard des normes européennes découlant de la convention européenne des droits de l'homme, telle qu'elle est interprétée par la Cour européenne des droits de l'homme.
Le tribunal relève que l'avocat ne peut pas remplir les tâches essentielles qui sont le propre de sa profession, concrètement qu'il ne peut pas discuter l'affaire avec le gardé à vue puisqu'il n'en connaît rien (l'avocat n'est informé que de la nature et de la date de l'infraction reprochée à son client), qu'il ne peut pas aider son client à préparer sa défense, qu'il ne peut notamment pas aider ce dernier avant ou pendant les interrogatoires puisqu'il n'y assiste pas et qu'il ne sait pas ce qui y sera discuté (l'avocat ignore les éléments récoltés par les enquêteurs).
Ayant déjà abordé les enjeux humains et juridiques autour de ces critères, je vous renvoie aux articles déjà mis en ligne (1).
J'indique seulement que ce qui semble être la motivation des décisions parisiennes est, dans son esprit, bien peu contestable.
La Cour européenne des droits de l'homme a insisté sur le fait que : "l'équité de la procédure requiert que l'accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l'avocat doit librement exercer", et que "le gardé à vue doit pouvoir bénéficier d'une "vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil", interventions concernant "la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense" mais également "la préparation des interrogatoires".
Il est dès lors peu douteux qu'un simple entretien de 30 minutes avec un avocat, sans que celui-ci connaisse quoi que ce soit des éléments recueillis par les enquêteurs, n'est pas conforme à la règle rappelée par la CDEH.
Aujourd'hui je voudrais insister sur un aspect de la problématique, plus humain que juridique.
On le sait, et quoi qu'en disent les syndicats de policiers, il y a eu, il y a, et il y aura encore des abus en garde à vue. Il ne faut pas oublier que la garde à vue ce ne sont pas seulement des interrogatoires. Pendant des heures, les enquêteurs sont en contact avec le gardé à vue et dialoguent avec lui, sans toutefois qu'il ne reste aucune trace de ce qui se fait ou de ce qui se dit en dehors des interrogatoires "officiels" et retranscrits par écrit.
Au cours des dernières semaines, des gardés à vue inhabituels, en ce sens qu'il ne s'agit pas de délinquants ordinaires (enseignant, mère de famille, avocat..), ont les uns après les autres raconté à quel point la garde à vue agresse psychologiquement, met en situation de considérable infériorité (par exemple du fait du déshabillage), et réduit voire abolit les capacités de se défendre devant des enquêteurs totalement maîtres de l'instant.
C'est pourquoi, à cause de la situation particulière des gardés à vue qui se retrouvent seuls, isolés matériellement et psychologiquement, sans aucun soutien extérieur, soumis au bon vouloir d'enquêteurs à la déontologie variable, le soupçon s'installe vite sur le déroulement de la garde à vue. A l'audience, cela permet aux avocats, à tort ou à raison, de contester le contenu des procès-verbaux d'interrogatoire de leur client en mettant en avant les conditions de sa retenue dans les locaux de police. Et le juge est dans une situation inconfortable, lui qui sait en même temps que les déclarations des gardés à vue sont parfois très fiables, mais que dans d'autres situations elles sont le fruit d'une lassitude, d'une peur, d'une volonté forte de mettre fin à l'enfermement qui incite celui qui est psychologiquement très mal à donner les réponses que l'on attend de lui.
Les policiers ne réalisent peut-être pas suffisamment que permettre une plus forte présence de l'avocat peut-être de nature à rendre plus difficile les critiques contre leur façon d'agir, autrement dit que cela peut-être aussi une protection pour eux.
Enfin, je relève une nouvelle fois, parce que cela me semble important, que jusqu'à ce jour aucun syndicat de policiers n'a proposé de nous expliquer, ne serait-ce que pour une seule affaire, en quoi la présence plus importante d'un avocat auprès d'un gardé à vue aurait fait obstacle à l'avancée de la procédure.
Ce qui est à craindre le plus est ce que je soulignais dans le précédent article, à savoir que les recours contre les gardes à vue se multiplient devant les tribunaux, que certains d'entre eux annulent tout ou partie des gardes à vue et ainsi fassent disparaitre une partie importante des dossiers, qu'en plus les tribunaux ne soient pas tous d'accord et que s'installent des divergences de jurisprudence, le tout retardant le jugement des personnes poursuivies.
Et les policiers et gendarmes, dont la mission n'est pas de définir les règles applicables à la garde à vue et qui ne peuvent pas prendre seuls l'initiative d'en modifier le déroulement, se retrouvent entre deux feux ce qui les met, injustement, dans une situation particulièrement délicate.
Personne ne gagnera donc quoi que ce soit dans la poursuite de cette cacophonie judiciaire et médiatique.
Il est donc chaque jour plus urgent que le Parlement légifère sans délai, en mesurant bien tous les enjeux juridiques et humains de la question, étant rappelé qu'il y aurait environ 800.000 gardes à vue en France chaque année.
-------
1. Quelles pratiques policières en attendant la réforme de la garde à vue ?
Les législations européennes relatives à la garde à vue
Les esprits s'échauffent autour de la garde à vue
Quelle réforme pour la garde à vue ?
Garde à vue oui, humiliation non
et pour une réforme radicale de la garde à vue : Introduire l'habeas corpus dans notre droit