Quelles pratiques policières en attendant la réforme de la garde à vue ?
Par Michel Huyette
Dans de précédents articles, j'ai fait part de la controverse juridique actuelle autour de la garde à vue. J'y renvoie pour plus de détails et me contente ici de résumer les grandes lignes de la problématique.
Hors procédures exceptionnelles, une personne peut-être placée en garde à vue (elle est retenue dans un local de police, perd le droit d'en partir et de communiquer avec des tiers) pendant deux fois 24 heures. Dans une telle situation "Dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s'entretenir avec un avocat" (art. 63-4 du code de procédure pénale pour les infractions flagrantes, art. 77 par renvoi pour les enquêtes ordinaires).
En l'état du droit actuel, il ne s'agit que d'un entretien d'au moins 30 minutes, et l'avocat reçoit pour seule et unique information l'intitulé de l'infraction (et sa date) que son client pourrait avoir commise.
Un deuxième entretien, avec les mêmes limites, peut avoir lieu en début de la seconde période de 24 heures quand la garde à vue est prolongée.
D'autre part, il faut avoir en tête que les magistrats français doivent contrôler le respect non seulement des textes votés en France, mais tout autant de la convention européenne des droits de l'homme qui est partie intégrante du droit applicable dans notre pays.
Or, à propos de la garde à vue, la cour européenne des droits de l'homme a jugé que :
"(..) le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d'office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable. (..) l'équité d'une procédure pénale requiert d'une manière générale, aux fins de l'article 6 de la Convention, que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire. (..) un accusé doit, dès qu'il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l'assistance d'un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu'il subit."
que :
"l'équité de la procédure requiert que l'accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l'avocat doit librement exercer."
et que :
"Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière ne peut être compensée de manière adéquate que par l'assistance d'un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s'incriminer lui-même. Ce droit présuppose que, dans une affaire pénale, l'accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions au mépris de la volonté de l'accusé."
Comme je l'ai souligné dans le précédent article, le fait qu'il soit jugé par la CEDH que le gardé doit pourvoir bénéficier d'une "vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil", interventions concernant "la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense" mais également "la préparation des interrogatoires" rend difficile, c'est peu dire, de considérer que les seules 30 minutes d'entretien avec un avocat qui ne connaît rien des éléments recueillis par les enquêteurs permettent à cet avocat d'assurer la "vaste gamme d'interventions" imposée par la cour européenne des droits de l'homme.
Mais venons en à l'objet de cet article, qui concerne le comportement que policiers et magistrats doivent adopter après avoir lu cette décision.
En présence d'une telle jurisprudence, plusieurs attitudes sont possibles (1).
La première consiste à faire comme si rien ne s'était passé à Strasbourg (ville où siège la CEDH), et à continuer à appliquer la réglementation française. Mais le risque est très grand de voir nos procédures jugées ultérieurement illégales comme non conformes à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Et, plus rapidement, ce risque est tout aussi grand de voir des procédures en cours sanctionnées par des juges français, juges d'instructions, juges des libertés et de la détention, chambres de l'instruction, voire cour de cassation. Nous avons ici une véritable bombe à retardement (2).
La deuxième consiste à très vite changer la loi pour la mettre en conformité avec les nouvelles références européennes. Des parlementaires ont déjà déposé des textes en ce sens, et le ministère de la justice y travaille. Mais cela ne résoud en rien la difficulté actuelle, car chaque jour des centaines de personnes sont placées en garde à vue sans que, probablement, la décision de la CEDH soit respectée.
La troisième consiste à anticiper une éventuelle réforme de la loi et à modifier les pratiques policières (3) sans attendre une évolution de notre législation. Cela peut être un moyen raisonnable et efficace de se prémunir contre toute annulation ultérieure de procédure.
Mais l'exercice est délicat. Car la CEDH ne dit pas dans le détail quand et comment l'avocat doit pourvoir intervenir. Prenons l'exemple de l'interrogatoire du gardé à vue par le policier et supposons que le premier puisse solliciter un avocat avant d'être interrogé. La législation doit-elle autoriser uniquement la présence muette de l'avocat, et/ou l'avocat doit-il pouvoir intervenir pour faire des remarques ou poser des questions, et/ou le gardé à vue doit-il être autorisé à demander à tout moment la suspension de l'interrogatoire pour discuter avec son conseil ?
En tous cas il semble au minimum nécessaire de permettre au gardé à vue d'accéder à tout moment à son avocat et de permettre à celui-ci de rencontrer son client avant chaque interrogatoire, de même que d'autoriser l'avocat à avoir accès aux éléments recueillis par les enquêteurs.
Il est urgent que les ministères de la justice et de l'intérieur coordonnent leurs réflexions et émettent des propositions, cela afin d'éviter une éventuelle cascade de sanctions ultérieures qui donneraient une image de nouveau ternie du pays qui se prévaut pourtant d'être le champion des droits de l'homme (4).
Une réforme de la législation en vigueur doit intervenir dès que possible, afin de mettre un terme aux incertitudes et aux conflits actuels. Car déjà des magistrats et des policiers s'opposent de façon virulente autour des règles applicables à la garde à vue (5).
En cas de solution exagérément retardée, il est à craindre que ce soient les délinquants qui tirent un avantage de ces incertitudes.
Le arguties des professionnels et des responsables politiques seraient alors injustifiables.
-------
1. Je laisse de côté la question de l'habeas corpus, et renvoie à cet article.
2. D'autant plus qu'il vient d'être indiqué par les medias, non démentis par le gouvernement, qu'il y aurait plus de cinq cent mille gardes à vue chaque année.
3. Le mot "policière" doit être compris comme concernant tous les enquêteurs, qu'ils soient de la police nationale ou de la gendarmerie.
4. Dans une note interne du 17 novembre 2009, la direction des affaires criminelles du ministère de la justice a considéré que "l'absence d'un avocat au cours des interrogatoires ne peut constituer une cause de nullité de la garde à vue". Mais cette note est totalement muette sur, notamment, la notion de "préparation aux interrogatoires" expressément visée dans la jurisprudence européenne....
5. Un très vif conflit oppose des juges d'instruction et la hiérarchie policière dans la région parisienne. Les premiers veulent que les seconds modifient leurs pratiques de garde à vue pour éviter des difficultés ultérieures, et les seconds semblent s'y opposer avec l'aval du ministère de tutelle.
Dans de précédents articles, j'ai fait part de la controverse juridique actuelle autour de la garde à vue. J'y renvoie pour plus de détails et me contente ici de résumer les grandes lignes de la problématique.
Hors procédures exceptionnelles, une personne peut-être placée en garde à vue (elle est retenue dans un local de police, perd le droit d'en partir et de communiquer avec des tiers) pendant deux fois 24 heures. Dans une telle situation "Dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s'entretenir avec un avocat" (art. 63-4 du code de procédure pénale pour les infractions flagrantes, art. 77 par renvoi pour les enquêtes ordinaires).
En l'état du droit actuel, il ne s'agit que d'un entretien d'au moins 30 minutes, et l'avocat reçoit pour seule et unique information l'intitulé de l'infraction (et sa date) que son client pourrait avoir commise.
Un deuxième entretien, avec les mêmes limites, peut avoir lieu en début de la seconde période de 24 heures quand la garde à vue est prolongée.
D'autre part, il faut avoir en tête que les magistrats français doivent contrôler le respect non seulement des textes votés en France, mais tout autant de la convention européenne des droits de l'homme qui est partie intégrante du droit applicable dans notre pays.
Or, à propos de la garde à vue, la cour européenne des droits de l'homme a jugé que :
"(..) le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d'office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable. (..) l'équité d'une procédure pénale requiert d'une manière générale, aux fins de l'article 6 de la Convention, que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire. (..) un accusé doit, dès qu'il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l'assistance d'un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu'il subit."
que :
"l'équité de la procédure requiert que l'accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l'avocat doit librement exercer."
et que :
"Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière ne peut être compensée de manière adéquate que par l'assistance d'un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s'incriminer lui-même. Ce droit présuppose que, dans une affaire pénale, l'accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions au mépris de la volonté de l'accusé."
Comme je l'ai souligné dans le précédent article, le fait qu'il soit jugé par la CEDH que le gardé doit pourvoir bénéficier d'une "vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil", interventions concernant "la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense" mais également "la préparation des interrogatoires" rend difficile, c'est peu dire, de considérer que les seules 30 minutes d'entretien avec un avocat qui ne connaît rien des éléments recueillis par les enquêteurs permettent à cet avocat d'assurer la "vaste gamme d'interventions" imposée par la cour européenne des droits de l'homme.
Mais venons en à l'objet de cet article, qui concerne le comportement que policiers et magistrats doivent adopter après avoir lu cette décision.
En présence d'une telle jurisprudence, plusieurs attitudes sont possibles (1).
La première consiste à faire comme si rien ne s'était passé à Strasbourg (ville où siège la CEDH), et à continuer à appliquer la réglementation française. Mais le risque est très grand de voir nos procédures jugées ultérieurement illégales comme non conformes à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Et, plus rapidement, ce risque est tout aussi grand de voir des procédures en cours sanctionnées par des juges français, juges d'instructions, juges des libertés et de la détention, chambres de l'instruction, voire cour de cassation. Nous avons ici une véritable bombe à retardement (2).
La deuxième consiste à très vite changer la loi pour la mettre en conformité avec les nouvelles références européennes. Des parlementaires ont déjà déposé des textes en ce sens, et le ministère de la justice y travaille. Mais cela ne résoud en rien la difficulté actuelle, car chaque jour des centaines de personnes sont placées en garde à vue sans que, probablement, la décision de la CEDH soit respectée.
La troisième consiste à anticiper une éventuelle réforme de la loi et à modifier les pratiques policières (3) sans attendre une évolution de notre législation. Cela peut être un moyen raisonnable et efficace de se prémunir contre toute annulation ultérieure de procédure.
Mais l'exercice est délicat. Car la CEDH ne dit pas dans le détail quand et comment l'avocat doit pourvoir intervenir. Prenons l'exemple de l'interrogatoire du gardé à vue par le policier et supposons que le premier puisse solliciter un avocat avant d'être interrogé. La législation doit-elle autoriser uniquement la présence muette de l'avocat, et/ou l'avocat doit-il pouvoir intervenir pour faire des remarques ou poser des questions, et/ou le gardé à vue doit-il être autorisé à demander à tout moment la suspension de l'interrogatoire pour discuter avec son conseil ?
En tous cas il semble au minimum nécessaire de permettre au gardé à vue d'accéder à tout moment à son avocat et de permettre à celui-ci de rencontrer son client avant chaque interrogatoire, de même que d'autoriser l'avocat à avoir accès aux éléments recueillis par les enquêteurs.
Il est urgent que les ministères de la justice et de l'intérieur coordonnent leurs réflexions et émettent des propositions, cela afin d'éviter une éventuelle cascade de sanctions ultérieures qui donneraient une image de nouveau ternie du pays qui se prévaut pourtant d'être le champion des droits de l'homme (4).
Une réforme de la législation en vigueur doit intervenir dès que possible, afin de mettre un terme aux incertitudes et aux conflits actuels. Car déjà des magistrats et des policiers s'opposent de façon virulente autour des règles applicables à la garde à vue (5).
En cas de solution exagérément retardée, il est à craindre que ce soient les délinquants qui tirent un avantage de ces incertitudes.
Le arguties des professionnels et des responsables politiques seraient alors injustifiables.
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1. Je laisse de côté la question de l'habeas corpus, et renvoie à cet article.
2. D'autant plus qu'il vient d'être indiqué par les medias, non démentis par le gouvernement, qu'il y aurait plus de cinq cent mille gardes à vue chaque année.
3. Le mot "policière" doit être compris comme concernant tous les enquêteurs, qu'ils soient de la police nationale ou de la gendarmerie.
4. Dans une note interne du 17 novembre 2009, la direction des affaires criminelles du ministère de la justice a considéré que "l'absence d'un avocat au cours des interrogatoires ne peut constituer une cause de nullité de la garde à vue". Mais cette note est totalement muette sur, notamment, la notion de "préparation aux interrogatoires" expressément visée dans la jurisprudence européenne....
5. Un très vif conflit oppose des juges d'instruction et la hiérarchie policière dans la région parisienne. Les premiers veulent que les seconds modifient leurs pratiques de garde à vue pour éviter des difficultés ultérieures, et les seconds semblent s'y opposer avec l'aval du ministère de tutelle.