Les esprits s'échauffent autour de la garde à vue
Par Michel Huyette
Comme je l'ai indiqué dans un précédent article, un débat indispensable et légitime vient de s'engager en France sur la garde à vue, ceci après de récents arrêts de la cour européenne des droits de l'homme.
Je résume brièvement.
Dans notre droit français, sauf exceptions, une personne placée en garde à vue, pendant une période de 24 heures renouvelable une fois (1), peut s'entretenir une demi-heure avec un avocat au début de chaque période.
La cour européenne des droits de l'homme vient d'affirmer (2) que "l'équité d'une procédure pénale requiert d'une manière générale, aux fins de l'article 6 de la Convention, que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire. (..) un accusé doit, dès qu'il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l'assistance d'un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu'il subit", et que cette même équité "requiert que l'accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l'avocat doit librement exercer".
Il semble raisonnable d'en conclure que selon la juridiction européenne l'avocat doit pouvoir intervenir en garde à vue à chaque fois que l'intéressé interpellé le demande, et, par voie de conséquence, que notre législation ne répond plus aux exigences de la convention européenne des droits de l'homme.
Ces derniers jours le niveau du débat n'a pas volé bien haut. Les avocats ont, surtout à Paris, dit haut et fort qu'ils allaient engager de multiples procédures pour que les juges déclarent nulles les gardes à vue au cours desquelles les intéressés n'ont pas suffisamment bénéficié du droit à l'assistance d'un avocat. Ils ont saisi l'occasion pour dénoncer des conditions de garde à vue qu'ils considèrent inhumaines (3). De leur côté des syndicats de policiers, notamment de commissaires, après avoir sous entendu que les avocats étaient essentiellement guidés par l'appât du gain, se sont indignés que l'on remette en cause les modalités de leur travail.
La polémique a encore monté d'un cran lorsque des magistrats ont remis en liberté des personne appréhendées, apparemment, selon les medias, pour irrégularité de la garde à vue au regard de la jurisprudence européenne.
Puis c'est le président du conseil constitutionnel qui a affirmé, devant des avocats, que la garde à vue viole les droits de la défense car elle permet l'interrogatoire d'une personne sans assistance d'un avocat (Le Monde du 7 décembre).
Revenons donc quelques instants sur ce problème.
Une précision s'impose d'abord.
La convention européenne des droits de l'homme fait partie de notre droit interne. Cela signifie que les juges français peuvent à tout moment prendre l'initiative de déclarer une règle interne non conforme à cette convention et par voie de conséquence ne pas l'appliquer. Par ailleurs, quand la cour européenne fixe une norme juridique nouvelle, les juges français doivent ultérieurement en assurer la mise en oeuvre à l'occasion des procédures qui leur sont soumises et, si tel est le cas, déclarer également non applicable la règle française contraire.
Mais le débat est un peu plus compliqué qu'il n'y paraît. Car il existe plusieurs façons d'appréhender la problématique.
La première consiste pour l'avocat du gardé à vue à faire valoir la non conformité de la règle française dans sa globalité, en faisant constater que notre procédure pénale ne permet à aucun moment à la personne retenue de bénéficier de la "vaste gamme d'interventions" d'un avocat au sens de l'arrêt européen précité.
La seconde consiste à ne relever une irrégularité que s'il est démontré que le gardé à vue, alors qu'il a demandé à rencontrer son avocat après avoir bénéficié du bref entretien du début de chaque période, s'est vu opposer une réponse négative.
Il semble difficile de retenir cette dernière proposition. En effet, puisque par hypothèse les policiers et gendarmes qui appliquent à la lettre les dispositions en vigueur n'indiquent jamais au gardé à vue qu'il a le droit de rencontrer un avocat à tout moment, il n'existe quasiment jamais de gardé à vue qui émet une demande en ce sens. Et donc rarement de refus illégal. Dès lors, attendre qu'un gardé à vue se soit vu opposer un refus de rencontrer son avocat en dehors des deux brefs instants prévus par la loi pour sanctionner les modalités de sa retenue interdirait de fait tous ceux qui sont dans cette situation de faire valoir la nouvelle norme européenne.
Une réforme de notre code de procédure pénale est donc particulièrement urgente.
Deux remarques pour finir.
Juridiquement, l'irrégularité d'une garde à vue n'entraîne pas automatiquement l'annulation de toute la procédure qui suit. La cour de cassation rappelle régulièrement qu'une telle irrégularité n'affecte pas les autres actes, postérieurs, qui ne s'appuient pas sur la garde à vue (ou la fraction de garde à vue) annulée. En clair, si au cours d'une garde à vue irrégulière et annulée l'intéressé donne l'adresse du lieu où des objets volés ont été dissimulés, la perquisition qui s'en suit et la saisie des objets devient à son tour irrégulière. A l'inverse, si cette perquisition s'appuie sur les déclarations d'un tiers régulièrement entendu, elle pourra être opposé au gardé à vue qui a volé et caché les objets, même si sa propre garde à vue est jugée irrégulière.
Mais surtout je souligne, une fois encore, la carence essentielle du débat et renvoie au texte du précédent article. Ce que l'on ne nous propose jamais, c'est un débat serein, sérieux, objectif, argumenté, sur les éventuelles raisons qui peuvent inciter à n'envisager qu'avec prudence la présence de l'avocat à divers stades de la garde à vue. L'évolution du débat rend chaque jour plus indispensable que les enquêteurs nous expliquent, exemples à l'appui, en quoi des contacts entre le gardé à vue et un avocat peuvent, par principe, gêner le déroulement des investigations.
Les syndicats de policiers seraient mieux inspirés de développer leur argumentaire plutôt que de se contenter de jeter l'opprobre sur les avocats ou les magistrats.
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1. Les délais sont allongés pour une série d'infractions graves (stupéfiants, terrorisme..)
2. Lien pour télécharger le document dans l'article précédent.
3. Le barreau de Paris par l'intermédiaire de son bâtonnier a vigoureusement dénoncé les conditions de garde à vue d'une avocate, contrainte notamment de se déshabiller pour une fouille et de demeurer dans un local dénoncé comme insalubre.
Je résume brièvement.
Dans notre droit français, sauf exceptions, une personne placée en garde à vue, pendant une période de 24 heures renouvelable une fois (1), peut s'entretenir une demi-heure avec un avocat au début de chaque période.
La cour européenne des droits de l'homme vient d'affirmer (2) que "l'équité d'une procédure pénale requiert d'une manière générale, aux fins de l'article 6 de la Convention, que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire. (..) un accusé doit, dès qu'il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l'assistance d'un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu'il subit", et que cette même équité "requiert que l'accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l'avocat doit librement exercer".
Il semble raisonnable d'en conclure que selon la juridiction européenne l'avocat doit pouvoir intervenir en garde à vue à chaque fois que l'intéressé interpellé le demande, et, par voie de conséquence, que notre législation ne répond plus aux exigences de la convention européenne des droits de l'homme.
Ces derniers jours le niveau du débat n'a pas volé bien haut. Les avocats ont, surtout à Paris, dit haut et fort qu'ils allaient engager de multiples procédures pour que les juges déclarent nulles les gardes à vue au cours desquelles les intéressés n'ont pas suffisamment bénéficié du droit à l'assistance d'un avocat. Ils ont saisi l'occasion pour dénoncer des conditions de garde à vue qu'ils considèrent inhumaines (3). De leur côté des syndicats de policiers, notamment de commissaires, après avoir sous entendu que les avocats étaient essentiellement guidés par l'appât du gain, se sont indignés que l'on remette en cause les modalités de leur travail.
La polémique a encore monté d'un cran lorsque des magistrats ont remis en liberté des personne appréhendées, apparemment, selon les medias, pour irrégularité de la garde à vue au regard de la jurisprudence européenne.
Puis c'est le président du conseil constitutionnel qui a affirmé, devant des avocats, que la garde à vue viole les droits de la défense car elle permet l'interrogatoire d'une personne sans assistance d'un avocat (Le Monde du 7 décembre).
Revenons donc quelques instants sur ce problème.
Une précision s'impose d'abord.
La convention européenne des droits de l'homme fait partie de notre droit interne. Cela signifie que les juges français peuvent à tout moment prendre l'initiative de déclarer une règle interne non conforme à cette convention et par voie de conséquence ne pas l'appliquer. Par ailleurs, quand la cour européenne fixe une norme juridique nouvelle, les juges français doivent ultérieurement en assurer la mise en oeuvre à l'occasion des procédures qui leur sont soumises et, si tel est le cas, déclarer également non applicable la règle française contraire.
Mais le débat est un peu plus compliqué qu'il n'y paraît. Car il existe plusieurs façons d'appréhender la problématique.
La première consiste pour l'avocat du gardé à vue à faire valoir la non conformité de la règle française dans sa globalité, en faisant constater que notre procédure pénale ne permet à aucun moment à la personne retenue de bénéficier de la "vaste gamme d'interventions" d'un avocat au sens de l'arrêt européen précité.
La seconde consiste à ne relever une irrégularité que s'il est démontré que le gardé à vue, alors qu'il a demandé à rencontrer son avocat après avoir bénéficié du bref entretien du début de chaque période, s'est vu opposer une réponse négative.
Il semble difficile de retenir cette dernière proposition. En effet, puisque par hypothèse les policiers et gendarmes qui appliquent à la lettre les dispositions en vigueur n'indiquent jamais au gardé à vue qu'il a le droit de rencontrer un avocat à tout moment, il n'existe quasiment jamais de gardé à vue qui émet une demande en ce sens. Et donc rarement de refus illégal. Dès lors, attendre qu'un gardé à vue se soit vu opposer un refus de rencontrer son avocat en dehors des deux brefs instants prévus par la loi pour sanctionner les modalités de sa retenue interdirait de fait tous ceux qui sont dans cette situation de faire valoir la nouvelle norme européenne.
Une réforme de notre code de procédure pénale est donc particulièrement urgente.
Deux remarques pour finir.
Juridiquement, l'irrégularité d'une garde à vue n'entraîne pas automatiquement l'annulation de toute la procédure qui suit. La cour de cassation rappelle régulièrement qu'une telle irrégularité n'affecte pas les autres actes, postérieurs, qui ne s'appuient pas sur la garde à vue (ou la fraction de garde à vue) annulée. En clair, si au cours d'une garde à vue irrégulière et annulée l'intéressé donne l'adresse du lieu où des objets volés ont été dissimulés, la perquisition qui s'en suit et la saisie des objets devient à son tour irrégulière. A l'inverse, si cette perquisition s'appuie sur les déclarations d'un tiers régulièrement entendu, elle pourra être opposé au gardé à vue qui a volé et caché les objets, même si sa propre garde à vue est jugée irrégulière.
Mais surtout je souligne, une fois encore, la carence essentielle du débat et renvoie au texte du précédent article. Ce que l'on ne nous propose jamais, c'est un débat serein, sérieux, objectif, argumenté, sur les éventuelles raisons qui peuvent inciter à n'envisager qu'avec prudence la présence de l'avocat à divers stades de la garde à vue. L'évolution du débat rend chaque jour plus indispensable que les enquêteurs nous expliquent, exemples à l'appui, en quoi des contacts entre le gardé à vue et un avocat peuvent, par principe, gêner le déroulement des investigations.
Les syndicats de policiers seraient mieux inspirés de développer leur argumentaire plutôt que de se contenter de jeter l'opprobre sur les avocats ou les magistrats.
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1. Les délais sont allongés pour une série d'infractions graves (stupéfiants, terrorisme..)
2. Lien pour télécharger le document dans l'article précédent.
3. Le barreau de Paris par l'intermédiaire de son bâtonnier a vigoureusement dénoncé les conditions de garde à vue d'une avocate, contrainte notamment de se déshabiller pour une fouille et de demeurer dans un local dénoncé comme insalubre.