Syndicalisme et répression
Par Michel Huyette
Il n'est pas rare qu'à l'occasion de mouvements sociaux des infractions pénales soient commises, notamment des dégradations. Ce fût le cas voici quelques mois quand des salariés de l'entreprise Continental, présentés dans les medias comme "les Conti", ont saccagé des bureaux d'une sous-préfecture.
Plusieurs salariés, dont des syndiqués, ont été poursuivis en justice pour ces dégradations.
Après avoir fait appel contre le jugement du tribunal correctionnel les ayant condamnés à des peines de plusieurs mois de prison avec sursis, ils ont été sanctionnés par la cour d'appel à des amendes de 2 à 4000 euros.
Les salariés ont présenté la décision de la cour d'appel comme une "grande victoire". On en a vu certains les larmes aux yeux devant le Palais de justice. Ils ont exprimé le sentiment d'avoir été compris, la cour d'appel ayant selon eux tenu compte du contexte de leur action et, notamment, de leur ressentiment devant le projet de fermeture d'une entreprise dans laquelle certains travaillaient depuis plusieurs dizaines d'années.
Appréhender ces situations est toujours délicat. Schématiquement, deux pistes peuvent être suivies.
La première consiste à soutenir que même à l'occasion d'un conflit social, rien ne justifie des actes de délinquance. D'abord parce que les intéressés ont d'autres moyens à leur disposition pour se faire entendre (grèves, manifestations etc..). Ensuite parce que cela reviendrait à laisser aux syndicats l'appréciation des limites à ne pas dépasser, la porte étant alors ouverte à des actions réellement inadmissibles pour la collectivité ou des tiers. Enfin parce que très nombreux sont ceux, salariés ou autres, qui ont des raisons de se plaindre de leur situation ou des décisions graves qui sont prises et qui ont des conséquences dommageables sur leur devenir, et qu'il n'est pas envisageable de laisser tous les ressentiments s'exprimer sous une forme agressive contre les personnes ni même contre les biens.
Cela conduit au prononcé de sanctions non dérisoires et suffisamment dissuasives quand des biens sont délibérément détruits ou que des personnes sont malmenées même sans violences physiques (par exemple quand des représentants de l'entreprise sont retenus de force dans les locaux).
La seconde consiste à l'inverse à mettre en avant le fait que les intéressés sont souvent dans des situations désespérées, cela d'autant plus que parfois ils ne comprennent pas les décisions défavorables qui sont prises (notamment quand des restructurations avec réduction des effectifs sont décidées quand bien même l'entreprise qui les emploie ou le groupe auquel elle appartient fait des profits importants), qu'ils sont dans certains cas sont face à un mur et sans aucune perspective de dialogue quand ils n'ont pas d'interlocuteur fiable, et dès lors que l'on peut comprendre des mouvements d'humeur, y compris contraires à la loi.
Cela incite au prononcé de sanctions symboliques qui replacent les infractions dans leur contexte spécifique et qui ne compromettent pas l'avenir des intéressés.
C'est alors que le rôle du juge apparaît dans toute son importance, et sa difficulté.
Dans l'affaire précitée, l'avenir de ces nombreux salariés et syndicalistes dépendait de 6 personnes. Trois magistrats du tribunal correctionnel en première instance, puis trois magistrats de la cour d'appel, ces derniers ayant le dernier mot.
Ce qui peut apparaître troublant, c'est que si l'on avait interverti la composition des juridictions, c'est à dire si les magistrats affectés au tribunal avaient été en poste à la cour d'appel et vice versa, la solution finale aurait été inverse, et les intéressés auraient probablement, comme bien d'autres avant eux, dénoncé une répression politique et judiciaire des mouvement sociaux.
De la même façon, il est fort possible que si le même conflit avait été jugé dans une autre région de France, les décisions auraient été encore différentes, et toujours entre les mains de quelques magistrats.
On répondra que tel est le fonctionnement quotidien de la justice et qu'il en va ainsi dans tous les procès, ce qui n'est pas faux. La justice est rendue par des hommes pour des hommes, avec toutes les conséquences inéluctables que cela entraîne.
Mais ce qui trouble c'est que, dans ce genre de dossier beaucoup plus que dans les affaires ordinaires, il est difficile pour le juge de faire abstraction de ses conceptions personnelles, de sa vision des conflits sociaux, de son sentiment sur l'expression des rapports de force.
Peuvent alors avoir des conséquences le parcours personnel du magistrat, sa proximité avec des proches ayant connu des situations semblables ou à l'envers sa méconnaissance du monde du travail dans sa réalité quotidienne, ainsi, plus largement, que ses convictions politiques personnelles.
Au moment de prendre sa décision, le magistrat ne fait plus simplement du droit, il va bien au-delà, étant toutefois relevé que la position personnelle de l'un des magistrats qui compose la juridiction, si elle fortement marquée dans un sens ou dans un autre, peut être tempérée par l'appréciation des deux autres juges, ce qui est l'une des raisons d'être de la collégialité.
D'où un possible sentiment d'aléa judiciaire et de décisions dépendant, dans ce genre très particulier de procès, de l'endroit où est commise l'infraction qui détermine les juridictions qui vont être saisies.
Mais peut-il en être autrement ?
Plusieurs salariés, dont des syndiqués, ont été poursuivis en justice pour ces dégradations.
Après avoir fait appel contre le jugement du tribunal correctionnel les ayant condamnés à des peines de plusieurs mois de prison avec sursis, ils ont été sanctionnés par la cour d'appel à des amendes de 2 à 4000 euros.
Les salariés ont présenté la décision de la cour d'appel comme une "grande victoire". On en a vu certains les larmes aux yeux devant le Palais de justice. Ils ont exprimé le sentiment d'avoir été compris, la cour d'appel ayant selon eux tenu compte du contexte de leur action et, notamment, de leur ressentiment devant le projet de fermeture d'une entreprise dans laquelle certains travaillaient depuis plusieurs dizaines d'années.
Appréhender ces situations est toujours délicat. Schématiquement, deux pistes peuvent être suivies.
La première consiste à soutenir que même à l'occasion d'un conflit social, rien ne justifie des actes de délinquance. D'abord parce que les intéressés ont d'autres moyens à leur disposition pour se faire entendre (grèves, manifestations etc..). Ensuite parce que cela reviendrait à laisser aux syndicats l'appréciation des limites à ne pas dépasser, la porte étant alors ouverte à des actions réellement inadmissibles pour la collectivité ou des tiers. Enfin parce que très nombreux sont ceux, salariés ou autres, qui ont des raisons de se plaindre de leur situation ou des décisions graves qui sont prises et qui ont des conséquences dommageables sur leur devenir, et qu'il n'est pas envisageable de laisser tous les ressentiments s'exprimer sous une forme agressive contre les personnes ni même contre les biens.
Cela conduit au prononcé de sanctions non dérisoires et suffisamment dissuasives quand des biens sont délibérément détruits ou que des personnes sont malmenées même sans violences physiques (par exemple quand des représentants de l'entreprise sont retenus de force dans les locaux).
La seconde consiste à l'inverse à mettre en avant le fait que les intéressés sont souvent dans des situations désespérées, cela d'autant plus que parfois ils ne comprennent pas les décisions défavorables qui sont prises (notamment quand des restructurations avec réduction des effectifs sont décidées quand bien même l'entreprise qui les emploie ou le groupe auquel elle appartient fait des profits importants), qu'ils sont dans certains cas sont face à un mur et sans aucune perspective de dialogue quand ils n'ont pas d'interlocuteur fiable, et dès lors que l'on peut comprendre des mouvements d'humeur, y compris contraires à la loi.
Cela incite au prononcé de sanctions symboliques qui replacent les infractions dans leur contexte spécifique et qui ne compromettent pas l'avenir des intéressés.
C'est alors que le rôle du juge apparaît dans toute son importance, et sa difficulté.
Dans l'affaire précitée, l'avenir de ces nombreux salariés et syndicalistes dépendait de 6 personnes. Trois magistrats du tribunal correctionnel en première instance, puis trois magistrats de la cour d'appel, ces derniers ayant le dernier mot.
Ce qui peut apparaître troublant, c'est que si l'on avait interverti la composition des juridictions, c'est à dire si les magistrats affectés au tribunal avaient été en poste à la cour d'appel et vice versa, la solution finale aurait été inverse, et les intéressés auraient probablement, comme bien d'autres avant eux, dénoncé une répression politique et judiciaire des mouvement sociaux.
De la même façon, il est fort possible que si le même conflit avait été jugé dans une autre région de France, les décisions auraient été encore différentes, et toujours entre les mains de quelques magistrats.
On répondra que tel est le fonctionnement quotidien de la justice et qu'il en va ainsi dans tous les procès, ce qui n'est pas faux. La justice est rendue par des hommes pour des hommes, avec toutes les conséquences inéluctables que cela entraîne.
Mais ce qui trouble c'est que, dans ce genre de dossier beaucoup plus que dans les affaires ordinaires, il est difficile pour le juge de faire abstraction de ses conceptions personnelles, de sa vision des conflits sociaux, de son sentiment sur l'expression des rapports de force.
Peuvent alors avoir des conséquences le parcours personnel du magistrat, sa proximité avec des proches ayant connu des situations semblables ou à l'envers sa méconnaissance du monde du travail dans sa réalité quotidienne, ainsi, plus largement, que ses convictions politiques personnelles.
Au moment de prendre sa décision, le magistrat ne fait plus simplement du droit, il va bien au-delà, étant toutefois relevé que la position personnelle de l'un des magistrats qui compose la juridiction, si elle fortement marquée dans un sens ou dans un autre, peut être tempérée par l'appréciation des deux autres juges, ce qui est l'une des raisons d'être de la collégialité.
D'où un possible sentiment d'aléa judiciaire et de décisions dépendant, dans ce genre très particulier de procès, de l'endroit où est commise l'infraction qui détermine les juridictions qui vont être saisies.
Mais peut-il en être autrement ?