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Publié par Parolesdejuges

Par Jean-Pierre Dintilhac, Jean Favard, Roland Kessous (1)


  Le placement en garde à vue est une mesure grave puisqu'elle permet de priver une personne de sa liberté.


  C'est un pouvoir propre donné à la police sans qu'il lui soit nécessaire de recueillir l'autorisation de la justice pendant 24 heures.


  Le nombre de placements en garde à vue a considérablement progressé au cours de ces dernières années et de nombreux observateurs s'interrogent sur cette inflation tandis que des abus manifestes sont de plus en plus fréquemment dénoncés.


  Cette situation ne répond pas aux exigences des articles 5 et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui constituent, pourtant, des normes incontournables pour tout système de procédure pénale.


  Un constat s'impose : alors que commissions, propositions et réformes se succèdent en France, le procès pénal est de plus en plus déterminé par la phase policière qui ne répond pas pleinement aux prescriptions contenues dans ces articles.


  Tout procès pénal est, le plus souvent, précédé d'une enquête de police. Celle-ci consiste à constater des faits, à réunir des preuves et à recueillir des témoignages. A ce stade il ne s'agit pas encore de procès, mais seulement de réunir des éléments sur les infractions et sur les auteurs présumés. L'autorité judiciaire n'intervient que s'il est nécessaire de recourir à des procédés d'investigation qui portent atteinte aux droits de la personne ou pour autoriser une prolongation de garde à vue.


  A la police incombe aussi l'interpellation des personnes suspectées (les présumées innocentes), soit en flagrant délit, c'est-à-dire pour des faits commis à la vue et au su de tous, soit que les investigations conduites aient eu pour résultat d'accumuler des charges contre elles.


  Si la police est bien dans son rôle jusque là, il en va différemment à partir de l'interrogatoire pratiqué au cours de la garde à vue car s'engage alors un processus qui met sur les rails une vérité policière qu'il sera très difficile de contester par la suite, et qui deviendra souvent la vérité judiciaire.


  Les quelques "fiascos judiciaires" récents, dont l'opinion s'est émue, ont tous eu pour point de départ cette vérité policière sortie des locaux de garde à vue, relayée et amplifiée par la rumeur médiatique, parfois confortée par des prises de position de responsables politiques, puis entérinée par la justice.


   Mais pourquoi, peut-on se demander, l'institution judiciaire, éclairée par la défense, éprouve-t-elle alors tant de difficulté à remettre sur la bonne voie un processus mal engagé ?


   La réponse est simple : il est difficile, au cours du processus judiciaire qui suit la garde à vue, de contredire le contenu d'interrogatoires transcrits noir sur blanc sur des procès-verbaux signés non seulement par les policiers mais également par les personnes interrogées.


   Que se passe-t-il à l'issue de la garde à vue ? Les procès-verbaux d'interrogatoire sont transmis au procureur de la République qui a d'autant moins de motifs de mettre en doute leur contenu que, dans la majorité des cas, celui-ci est conforme aux déclarations reçues spontanément ou quasi spontanément.


  Le juge ou le juge d'instruction commencent eux-aussi par lire les procès-verbaux, qu'il s'agisse de ceux qui portent sur les investigations ou de ceux qui contiennent les questions et les réponses formulées au cours des interrogatoires ; ce n'est qu'ensuite que les personnes concernées seront entendues. Dès lors, quelles que soient les précautions sémantiques prises par le code, le mis en examen, s'il a avoué devant la police, sera bel et bien un présumé coupable : un présumé innocent est, en fait, un présumé coupable à l'égard duquel la loi demande à la justice de "faire comme si" il était innocent.


  Paradoxalement les différentes réformes concernant la garde à vue n'ont fait que renforcer le poids de cette vérité policière : plus la garde à vue est encadrée par des garanties et même, demain, par la présence d'un avocat qui pourrait assister aux interrogatoires au-delà de 24 heures, plus le contenu des procès-verbaux d'interrogatoires par la police acquiert une présomption de vérité qu'il est ensuite difficile de contester.


   Aussi, toute nouvelle réforme de la procédure pénale devrait commencer par modifier radicalement l'objet de la garde à vue en revenant à ce qu'elle était à son origine et à son sens étymologique : garder les personnes interpellées en flagrant délit ou sur la base de charges résultant d'investigations, le temps de les conduire devant un juge.


   C'est ensuite devant un juge que devrait s'ouvrir la première phase du procès : exposé des charges résultant des procès-verbaux établis par la police à l'issue des investigations et interrogatoire par le procureur puis contestation ou reconnaissance de culpabilité par l'auteur présumé assisté de son avocat.


   Selon la complexité, la reconnaissance des faits ou leur contestation, cette phase pourrait être la seule et se terminer par un jugement ou, au contraire, se poursuivre par de nouvelles investigations avec ou non placement en détention provisoire.


  Certains diront que cette manière de procéder serait beaucoup trop contraignante pour la justice ; mais dire cela n'est-ce pas avouer que la justice préfère déléguer à la police la phase essentielle du premier interrogatoire et n'avoir plus, ensuite, qu'à "enregistrer" les aveux obtenus pendant la garde à vue en leur conférant le label de vérité judiciaire.


   En outre, le système actuel est non seulement la source de certains dysfonctionnements mais il est, en fait, très consommateur de temps : le juge d'instruction est souvent conduit à refaire partiellement ce qui a été fait par le policier et la juridiction de jugement, à son tour, reprend les interrogatoires tant de la police que du juge d'instruction.


   A l'inverse, un premier interrogatoire, précédé de l'énoncé des charges, au cours d'un débat contradictoire, public et dont le contenu serait transcrit sur un procès-verbal rédigé par le greffier, ne devrait donner lieu ni à réitération ni à contestation.


  Ce n'est qu'en modifiant ainsi l'objet de la garde à vue et en instaurant un véritable habeas corpus que pourraient être véritablement garantis le droit à la liberté et le droit à un procès équitable tels qu'ils sont énoncés par les articles 5 et 6 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.


 

 

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1. Respectivement président de chambre, conseiller, et avocat général honoraires à la cour de cassation

 

 


 

 




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P
<br /> <br /> "Le placement en garde à vue est une mesure grave puisqu'elle permet de priver une personne de sa liberté"<br /> <br /> <br /> cette dérive sécuritaire se constate aussi dans le placement des enfants par l'ASE (aide sociale de l'enfant) où l'on constate que les rapports sociaux sont  pris en compte unilatéralement<br /> par certains juges pour enfants, sans possibilité réelle des familles de le contester dès le début du placement. L'habéas corpus semble nécessaire aussi dans ce domaine bien précis du placement<br /> des enfants.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Messieurs, j’ai lu avec intérêt vos observations intéressant notamment les conditions de rétention des personnes gardées à vue, mais plus encore, je partage votre analyse inhérente aux conditions<br /> matérielles indigentes dans lesquelles travaillent nos juridictions du fond. A c. Avocat à la Cour et collaborateur d’ Avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, je constate également<br /> que la Cour régulatrice n’est pas épargnée par le manque de moyens mis à sa disposition au regard du nombre annuel de pourvois qui lui sont offerts à juger. Fort heureusement, des mesures<br /> récentes, comme la procédure d’admission, la représentation obligatoire devant la Chambre Sociale depuis le mois de janvier 2005, ont été de nature à réguler le flux contentieux dévolu à la Cour<br /> de cassation. Au cours de ma carrière, j’ai toujours été soucieux de poser la ou les bonnes questions de droit aux magistrats du fait, comme à la Cour de cassation, à l’effet de ne pas faire<br /> perdre du temps aux magistrats quand bien même mes employeurs ou mes clients me conseillaient de me vêtir du costume d’artificier plutôt que  de celui de démineur  pour reprendre la<br /> formule de votre collègue et professeur Monsieur le Doyen François Aubert ( Cf. : « La distinction du fait et du droit dans le pourvoi en cassation en matière civile. » ;  conférence 2004-<br /> 2005, droit et technique de cassation donnée en grande Chambre sous la présidence de Monsieur Guy Canivet). Messieurs, comme vous avez pris du champ avec la Cour suprême et de mon côté, j’ai fait<br /> de même pour me consacrer à ma thèse de doctorat en droit privé et préparer mon intégration directe dans la Magistrature. Aussi en guise de conclusion, je me permettrais de vous poser une seule<br /> question : est-ce que vous pensez-vous que notre droit positif est devenu trop sophistiqué, voire d’une qualité médiocre, en comparaison du volume de contentieux dévolu à nos juridictions, si<br /> bien que celles-ci ne sont plus en mesure de le traiter dans un délai raisonnable ?  Cette question m’est venue à l’esprit depuis que je remarque le nombre de visas de principes généraux du<br /> droit privé auxquels la Cour régulatrice a de plus en plus recours soit pour censurer, soit pour rejeter. Un arrêt de rejet récent rendu par la Cour de cassation ; et au demeurant, ce sont ceux<br /> qui expriment le mieux le contrôle du Juge du droit, a énoncé le principe suivant : « nul n’a droit à une jurisprudence figée. » Cette décision n’a guère retenue l’attention de la doctrine ;<br /> pourtant, elle est porteuse d’un message fort à l’adresse des praticiens du droit. Le débat sur la régulation du contentieux est donc ouvert ; je vous remercie d’ores et déjà de vos précieuses<br /> remarques à ce sujet.<br /> <br /> <br /> <br /> Bien respectueusement à vous Messieurs<br /> <br /> <br /> <br />
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