Trois erreurs judiciaires (Bibliographie)
Nous avons déjà abordé ici la problématique des "erreurs judiciaires".
Soit pour débattre autour de ce thème (cf. ici, ici, ici, ici, et aussi ici).
Soit pour présenter des livres en relation avec ce sujet (cf. ici, ici).
C'est un magistrat qui nous propose de prolonger le débat sur cette thématique.
Les éditions Dalloz ont récemment publié (cf. ici) le livre de François-Louis COSTE, intitulé :
Trois erreurs judiciaires
et sous-titré : "Deux innocents condamnés, un crime et sa victime abandonnés".
Sur le site de l'éditeur le livre est présenté de la façon suivante :
"Patrick Dils, un garçon de 16 ans avoue, après une nuit en garde à vue, avoir sauvagement tué deux enfants de 8 ans. Emilie ne va pas bien. Pour l'aider, encore faudrait-il qu'elle "avoue" la cause de son mal-être. C'est ainsi que cette adolescente accuse Loïc Sécher de l'avoir violée. L'aveu, parole par laquelle on se met en scène comme auteur ou comme victime d'un fait "honteux/scandaleux." et que recherche l'inquisiteur pour apaiser son angoisse, peut exprimer la vérité ou n'être qu'un mensonge comme un autre.
Lorsque l'horreur ou la sympathie bouleversent le juge, celui-ci est en danger de se laisser aspirer par l'attraction émotionnelle : Alors, ce ne sont pas les preuves qui sont recherchées, ce sont les justifications de ce dont l'horreur ou l'affection nous a persuadés.
Priver de la justice ceux qui y ont droit est une autre façon de commettre une erreur judiciaire. Ainsi, dans l'affaire du Gang de Roubaix, des parents et une épouse dont le fils et mari avait été tué, se sont trouvés dans l'impossibilité de se constituer parties civiles en raison d'une mauvaise qualification du crime. La rigidité des règles de droit permet souvent fort mal de remédier à l'erreur alors que paradoxalement la loi demande aux magistrats de veiller au bien de la justice. Comme le disait Monsieur le premier président Truche, "la justice est un métier dangereux, surtout pour les autres…"
François-Louis Coste, a fait toute sa carrière au parquet. D'abord substitut dans la Somme puis dans l'Isère et procureur à Bourgoin-Jallieu, il a été nommé à la cour d'appel de Lyon où il a été chargé, notamment, de l'affaire Dils. Il a été admis à la retraite après avoir requis, comme avocat général, l'acquittement de Loïc Sécher devant la cour d'assises de Paris."
Le livre contient 6 chapitres : Introduction générale aux affaires Dils et Sécher (1), L'affaire Patrick Dils (2), L'affaire Loïc Sécher (3), Erreurs, révisions et Réexamen (4), Une erreur judiciaire au préjudice de la famille d'une victime, le gang de Roubaix (5), Le ministère public et le bien de la justice (6).
En annexe le lecteur trouvera les motifs de l'arrêt de mise en accusation de Patrick Dils et de l'ordonnance de mise en accusation de Loïc Sécher.
Si bien des choses ont déjà été écrites sur ces affaires, le livre de F.L Coste présente plusieurs avantages.
Didier Boccon-Gibod, dans les pages d'introduction, s'interroge sur les mécanismes de raisonnement du juge, entre l'attraction émotionnelle découlant de la gravité et parfois de l'horreur des faits, le leurre que peuvent constituer des éléments présentés comme des évidences et qui n'en sont pas forcément, et les méandres de la notion d'intime conviction. Il fait justement remarquer que l'erreur judiciaire est, dans une certaine mesure, aussi cruelle pour la victime qui a cru que l'auteur du crime était condamné que pour ce dernier qui se voit déclaré non coupable après des années de procédure judiciaire et la plupart du temps d'emprisonnement (d'où les indemnisations cf.ici).
Au tout début de son analyse, FL. Coste rappelle que, historiquement, l'une des sources de la création de la procédure pénale de révision est la condamnation puis l'exécution en 1796 de M. Lesurque, le véritable auteur du crime pour lequel il avait été injustement condamné étant identifié après son exécution, puis, à son tour, déclaré coupable puis exécuté. Il évoque aussi la problématique des aveux en garde à vue, faits pendant une longue période hors de la présence des avocats, et qui, trop souvent, ont été suivis de la démonstration que celui qui avait avoué un crime n'en était pourtant pas l'auteur. Phénomène qui s'est reproduit avec Patrick Dils.
A propos des affaires commentées, F.L Coste apporte au lecteur des informations parfaitement fiables, présentées objectivement, en dehors des prises de position partisanes si souvent constatée dans un sens ou dans l'autre sur un sujet aussi sensible. Sa longue expérience professionnelle lui permet de repérer et de souligner les manques ou les erreurs.
FL. Coste peut d'autant plus commenter les affaires Dils et Sécher en connaissance de cause qu'il les a traitées au cours de son parcours judiciaire. C'est cette vision de l'intérieur qui rend le livre différend des propos de ceux qui ont, mais de l'extérieur, commenté ces affaires très médiatisées.
L'une des particularités de l'affaire Dils, c'est la présence d'aveux très détaillés (reçus rappelons-le sans la présence d'un avocat), dont le lecteur se dit dans un premier temps, comme le souligne l'auteur, qu'ils ne peuvent être récités que par l'auteur des faits. Mais qui, quelques années plus tard, n'empêcheront pas l'acquittement de M. Dils. FL Coste explique ses premières réactions à leur lecture, puis tout le cheminement de sa pensée jusqu'au moment où il a requis l'acquittement. Et il tente pour le lecteur de déchiffrer la mécanique qui a conduit à la mise en cause puis à la condamnation d'un innocent.
FL Coste analyse non seulement les pratiques de l'époque mais aussi le cadre juridique et la jurisprudence, qui a, depuis et heureusement, considérablement évolué en faveur des droits de la défense.
L'affaire Loïc Sécher permet à l'auteur d'aborder la problématique sous l'angle, cette fois-ci, du traitement judiciaire d'une dénonciation. Une dénonciation de viol qu'il décrit comme ayant été arrachée à une adolescente. Qui plus tard admettra avoir menti.
Dans le dernier chapitre FL Coste propose un ensemble de réflexions sur le rôle du ministère public dans le processus judiciaire. Et notamment sur les contours de son impartialité, dans un cadre hiérarchique.
FL Coste rappelle aussi, comme nous l'avions fait, que quand l'auteur (de fait) d'un crime est acquitté parce que les éléments récoltés ne sont pas suffisants pour le condamner, il ne s'agit pas d'une "erreur" judiciaire. L'institution judiciaire ne juge pas la réalité mais seulement ce qui lui est apporté.
Tout cela fait un livre original, riche d'informations, rédigé avec précision et clarté, qui alimentera utilement la réflexion de tous ceux qui s'intéressent de près ou de loin à la justice pénale.