Les erreurs judiciaires (3ème partie)
Par Michel Huyette
Cliquez ici pour lire : la 1ère partie la 2ème partie
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Parmi les commentaires sur la justice, il est une notion qui revient plus souvent qu'à son tour : l'erreur judiciaire. C'est pourquoi il me semble utile de creuser cette problématique pour tenter de savoir ce qu'il en est véritablement.
Une précision s'impose dès le départ pour que les choses soient bien claires. Les magistrats commettent des erreurs, cela est indiscutable. Il ne peut pas en être autrement, chaque être humain ayant à un moment ou un autre des défaillances. Il ne s'agit donc pas ici, dans un maladroit et illusoire réflexe corporatiste, de contester l'affirmation selon laquelle des erreurs se produisent.
Mais parce que l'expression « erreur judiciaire » est utlisée à tort et à travers, et trop souvent pour désigner des situations qui ne correspondent à aucune « erreur », il faut essayer de faire un tri dans tout cela afin de repérer ce qui relève réellement de l'erreur et ce qui n'en est pas.
Je reprendrai donc les unes après les autres (dans des articles successifs), quelques affirmations fréquentes concernant des « erreurs judiciaires », pour voir ce qu'il en est si c'est bien de cela qu'il s'agit. Nous irons du plus simple au plus compliqué. Cela nous permettra de cerner peu à peu cette notion.
Affirmation n° 3 : « La juridiction supérieure a pris une décision différente de la précédente, donc il y a eu une erreur judiciaire »
Commençons par nous poser une question toute simple mais qui conditionne pour partie le raisonnement qui va suivre : pourquoi dans le droit procédural des pays démocratiques existe-t-il un mécanisme permettant de contester une décision judiciaire qui ne satisfait pas devant la juridiction supérieure ? C'est pour une seule et unique raison : avoir une possibilité d'obtenir une nouvelle décision différente de la précédente.
Cela nous conduit tout de suite vers une première observation : malgré ce qui ressemble à une contradiction entre des décisions successives, c'est quand les décisions des juridictions supérieures sont différentes de celles des juridictions antérieures que le système judiciaire fonctionne bien, et non l'inverse ! Si les juridictions supérieures confirmaient la plupart du temps les décisions contestées, la mécanique du recours ne servirait à rien et, alors, il pourrait être affirmé que le système ne fonctionne pas bien.
Cela étant rappelé, il n'empêche qu'il reste à expliquer pourquoi deux décisions différentes sont parfois prises dans un même dossier contenant les mêmes demandes présentées avec les mêmes arguments. Et il est tentant de prétendre que, forcément, l'une de ces deux décisions constitue une « erreur ». Mais tel n'est pas toujours le cas.
Il faut avoir en tête que dans de nombreux dossiers les juges ont comme référence des notions qui peuvent prêter à diverses interprétations, sans que aucune de ces interprétations ne soit aberrante.
Prenons un exemple en matière de droit de la famille, plus précisément de divorce. L'article 242 du code civil permet à un conjoint de demander le divorce « lorsque des faits constitutifs d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune ».
Si vous montrez un dossier de divorce pour faute à plusieurs personnes, l'une vous dira que les faits avancés rendent évidemment intolérable la poursuite de la vie commune, une autre au contraire que ce n'est pas si grave que cela, et la troisième que certains des faits justifient le divorce mais pas les autres....
Prenons un autre exemple en matière de droit du travail. Un employeur peut licencier un salarié et en plus, si ce salarié a commis une « faute grave », lui interdire d'effectuer son préavis. Or le code du travail ne fournit aucune précision sur ce qui constitue une faute grave à part le fait qu'elle permet le départ immédiat du salarié concerné. Ici encore, l'appréciation de ce qui est ou n'est pas une faute grave n'est pas simple, et sur un même dossier, il peut y avoir légitimement plusieurs avis divergents.
Terminons par un exemple dans le domaine pénal. Imaginons une femme qui dépose plainte pour des violences exercées par son conjoint, un mari qui reconnaît les violences, puis, à l'audience, une femme qui vient dire qu'elle a pardonné et qui demande que son mari ne soit pas ou très peu condamné. Certains diront qu'il faut tenir compte de la demande de la femme et prononcer une sanction très modérée pour ne pas empêcher ce couple de continuer à cohabiter. D'autres diront au contraire que l'opinion de cette femme ne doit pas du tout être prise en compte et qu'il faut sanctionner sévèrement les violences pour éviter toute récidive. Et il peut y avoir d'autres avis entre ces deux là...
C'est pourquoi, quand une première juridiction porte une certaine appréciation sur une situation de fait et qu'une seconde juridiction les analyse différemment, ou que des notions juridiques floues sont appliquées de façon divergente par des juges qui se succèdent, il y a souvent uniquement des regards différents, mais dont aucun n'est inacceptable.
On ne peut donc pas conclure dans ces situations, pour la seule raison que des décisions différentes ont été successivement rendues, qu'une « erreur » a été commise.
Ce qu'il faut aussi avoir en tête, c'est que quand deux décisions différentes sont rendues dans un même dossier, on ne sait pas forcément immédiatement quelle juridiction a rendu la meilleure.
En cas d'appel d'une décision d'un tribunal par exemple, ce n'est pas forcément la décision - différente - de la cour d'appel qui est la meilleure des deux. Elle s'applique parce que c'est la cour d'appel, pas parce que les juges d'appel sont meilleurs que les juges des tribunaux (vous pouvez toutefois affirmer le contraire dans un commentaire sous cet article, cela ravira le juge de cour d'appel que je suis actuellement....).
Et même les décisions de la cour de cassation font parfois l'objet de vives critiques dans les revues juridiques, ce qui l'incite de temps en temps à modifier sa jurisprudence. Nul n'est parfait.....
L'existence de décisions successives contraires peut quand même aboutir à des situations délicates et difficiles à analyser sereinement. Je pense notamment à un accusé poursuivi pour un crime, devant la cour d'assises, qui est condamné en première instance puis acquitté devant la cour d'assises d'appel. Il sera tenté de dire : « Enfin j'ai enfin été reconnu innocent, ce qui s'est passé auparavant était profondément injuste, j'ai été emprisonné sans raison, la décision de la première cour d'assises était aberrante, la cour d'assises d'appel a enfin admis la vérité ».
Oui, peut-être, mais, dans une telle configuration, qu'est-ce qui prouve que c'est la cour d'assises d'appel qui a raison, et non la première cour d'assises ? Rien. Imaginons un instant que les jurés des deux cours d'assises aient été inversés. Il est possible, en supposant bien sur que les débats se soient déroulés de façon semblable, que l'accusé ait été acquitté en première instance puis définitivement acquitté en appel. Dirait-il de la même façon que la décision d'appel est bien meilleure que la première ….. ?
Ce qui précède nous conduit à la conclusion suivante.
Dans de nombreux dossiers, les juges qui se succèdent peuvent avoir une vision différente sur une même situation tout simplement parce qu'à partir des mêmes faits et des mêmes références juridiques il est fréquemment possible, et permis par la loi qui laisse une (trop ?) grande marge de manoeuvre aux magistrats, d'aboutir à des conclusions différentes mais dont aucune n'est absurde ou non conforme à la législation.
Pour que les juges puissent adapter la loi à d'innombrables situations de fait, cette loi doit nécessairement contenir de nombreuses notions générales, afin de laisser aux juridictions la possibilité des les adapter au mieux aux situations qui leur sont soumises.
Cette souplesse a comme conséquence, en cas de recours, une incertitude plus longue quant à l'issue du procès.
C'est sans doute assez difficile à comprendre ou à accepter par les justiciables à qui il est d'abord donné raison, puis tort, ou inversement.
En tous cas, dans ces hypothèses là, on ne retrouve pas encore trace d'erreurs judiciaires.
(soyez patient, on y arrive bientôt aux réelles erreurs.....promis !)
Une précision s'impose dès le départ pour que les choses soient bien claires. Les magistrats commettent des erreurs, cela est indiscutable. Il ne peut pas en être autrement, chaque être humain ayant à un moment ou un autre des défaillances. Il ne s'agit donc pas ici, dans un maladroit et illusoire réflexe corporatiste, de contester l'affirmation selon laquelle des erreurs se produisent.
Mais parce que l'expression « erreur judiciaire » est utlisée à tort et à travers, et trop souvent pour désigner des situations qui ne correspondent à aucune « erreur », il faut essayer de faire un tri dans tout cela afin de repérer ce qui relève réellement de l'erreur et ce qui n'en est pas.
Je reprendrai donc les unes après les autres (dans des articles successifs), quelques affirmations fréquentes concernant des « erreurs judiciaires », pour voir ce qu'il en est si c'est bien de cela qu'il s'agit. Nous irons du plus simple au plus compliqué. Cela nous permettra de cerner peu à peu cette notion.
Affirmation n° 3 : « La juridiction supérieure a pris une décision différente de la précédente, donc il y a eu une erreur judiciaire »
Commençons par nous poser une question toute simple mais qui conditionne pour partie le raisonnement qui va suivre : pourquoi dans le droit procédural des pays démocratiques existe-t-il un mécanisme permettant de contester une décision judiciaire qui ne satisfait pas devant la juridiction supérieure ? C'est pour une seule et unique raison : avoir une possibilité d'obtenir une nouvelle décision différente de la précédente.
Cela nous conduit tout de suite vers une première observation : malgré ce qui ressemble à une contradiction entre des décisions successives, c'est quand les décisions des juridictions supérieures sont différentes de celles des juridictions antérieures que le système judiciaire fonctionne bien, et non l'inverse ! Si les juridictions supérieures confirmaient la plupart du temps les décisions contestées, la mécanique du recours ne servirait à rien et, alors, il pourrait être affirmé que le système ne fonctionne pas bien.
Cela étant rappelé, il n'empêche qu'il reste à expliquer pourquoi deux décisions différentes sont parfois prises dans un même dossier contenant les mêmes demandes présentées avec les mêmes arguments. Et il est tentant de prétendre que, forcément, l'une de ces deux décisions constitue une « erreur ». Mais tel n'est pas toujours le cas.
Il faut avoir en tête que dans de nombreux dossiers les juges ont comme référence des notions qui peuvent prêter à diverses interprétations, sans que aucune de ces interprétations ne soit aberrante.
Prenons un exemple en matière de droit de la famille, plus précisément de divorce. L'article 242 du code civil permet à un conjoint de demander le divorce « lorsque des faits constitutifs d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune ».
Si vous montrez un dossier de divorce pour faute à plusieurs personnes, l'une vous dira que les faits avancés rendent évidemment intolérable la poursuite de la vie commune, une autre au contraire que ce n'est pas si grave que cela, et la troisième que certains des faits justifient le divorce mais pas les autres....
Prenons un autre exemple en matière de droit du travail. Un employeur peut licencier un salarié et en plus, si ce salarié a commis une « faute grave », lui interdire d'effectuer son préavis. Or le code du travail ne fournit aucune précision sur ce qui constitue une faute grave à part le fait qu'elle permet le départ immédiat du salarié concerné. Ici encore, l'appréciation de ce qui est ou n'est pas une faute grave n'est pas simple, et sur un même dossier, il peut y avoir légitimement plusieurs avis divergents.
Terminons par un exemple dans le domaine pénal. Imaginons une femme qui dépose plainte pour des violences exercées par son conjoint, un mari qui reconnaît les violences, puis, à l'audience, une femme qui vient dire qu'elle a pardonné et qui demande que son mari ne soit pas ou très peu condamné. Certains diront qu'il faut tenir compte de la demande de la femme et prononcer une sanction très modérée pour ne pas empêcher ce couple de continuer à cohabiter. D'autres diront au contraire que l'opinion de cette femme ne doit pas du tout être prise en compte et qu'il faut sanctionner sévèrement les violences pour éviter toute récidive. Et il peut y avoir d'autres avis entre ces deux là...
C'est pourquoi, quand une première juridiction porte une certaine appréciation sur une situation de fait et qu'une seconde juridiction les analyse différemment, ou que des notions juridiques floues sont appliquées de façon divergente par des juges qui se succèdent, il y a souvent uniquement des regards différents, mais dont aucun n'est inacceptable.
On ne peut donc pas conclure dans ces situations, pour la seule raison que des décisions différentes ont été successivement rendues, qu'une « erreur » a été commise.
Ce qu'il faut aussi avoir en tête, c'est que quand deux décisions différentes sont rendues dans un même dossier, on ne sait pas forcément immédiatement quelle juridiction a rendu la meilleure.
En cas d'appel d'une décision d'un tribunal par exemple, ce n'est pas forcément la décision - différente - de la cour d'appel qui est la meilleure des deux. Elle s'applique parce que c'est la cour d'appel, pas parce que les juges d'appel sont meilleurs que les juges des tribunaux (vous pouvez toutefois affirmer le contraire dans un commentaire sous cet article, cela ravira le juge de cour d'appel que je suis actuellement....).
Et même les décisions de la cour de cassation font parfois l'objet de vives critiques dans les revues juridiques, ce qui l'incite de temps en temps à modifier sa jurisprudence. Nul n'est parfait.....
L'existence de décisions successives contraires peut quand même aboutir à des situations délicates et difficiles à analyser sereinement. Je pense notamment à un accusé poursuivi pour un crime, devant la cour d'assises, qui est condamné en première instance puis acquitté devant la cour d'assises d'appel. Il sera tenté de dire : « Enfin j'ai enfin été reconnu innocent, ce qui s'est passé auparavant était profondément injuste, j'ai été emprisonné sans raison, la décision de la première cour d'assises était aberrante, la cour d'assises d'appel a enfin admis la vérité ».
Oui, peut-être, mais, dans une telle configuration, qu'est-ce qui prouve que c'est la cour d'assises d'appel qui a raison, et non la première cour d'assises ? Rien. Imaginons un instant que les jurés des deux cours d'assises aient été inversés. Il est possible, en supposant bien sur que les débats se soient déroulés de façon semblable, que l'accusé ait été acquitté en première instance puis définitivement acquitté en appel. Dirait-il de la même façon que la décision d'appel est bien meilleure que la première ….. ?
Ce qui précède nous conduit à la conclusion suivante.
Dans de nombreux dossiers, les juges qui se succèdent peuvent avoir une vision différente sur une même situation tout simplement parce qu'à partir des mêmes faits et des mêmes références juridiques il est fréquemment possible, et permis par la loi qui laisse une (trop ?) grande marge de manoeuvre aux magistrats, d'aboutir à des conclusions différentes mais dont aucune n'est absurde ou non conforme à la législation.
Pour que les juges puissent adapter la loi à d'innombrables situations de fait, cette loi doit nécessairement contenir de nombreuses notions générales, afin de laisser aux juridictions la possibilité des les adapter au mieux aux situations qui leur sont soumises.
Cette souplesse a comme conséquence, en cas de recours, une incertitude plus longue quant à l'issue du procès.
C'est sans doute assez difficile à comprendre ou à accepter par les justiciables à qui il est d'abord donné raison, puis tort, ou inversement.
En tous cas, dans ces hypothèses là, on ne retrouve pas encore trace d'erreurs judiciaires.
(soyez patient, on y arrive bientôt aux réelles erreurs.....promis !)