La chambre des innocents (Bibliographie)
De la justice pénale, les français connaissent bien la cour d'assises (qui juge les crimes) et le tribunal correctionnel (qui juge les délits). Régulièrement des affaires médiatisées génèrent de multiples articles sur la justice pénale, ses acteurs, les faits et les personnes poursuivies.
Mais de ce qui suit les décisions judiciaires pénales, il est peu souvent question.
Et l'on parle encore moins de ce que deviennent ceux dont le procès pénal s'est terminé par une décision de non culpabilité.
C'est tout l'intérêt du livre rédigé par Mathieu Delahousse, publié aux éditions Flammarion (leur site) (page du livre) et intitulé :
La chambre des innocents
L'éditeur présente le livre de la façon suivante :
"La salle d’audience, nichée au cœur du palais de justice de Paris, semble totalement secrète.
Chaque mois, en petit comité, sont examinées ici des histoires d’hommes et de femmes incarcérés par erreur dans des prisons françaises et totalement blanchis. Parfois, un chèque en forme d’excuses officielles leur est remis. Pas toujours, tant les règles sont strictes. Audience après audience, en ces lieux pesants, des parties judiciaires d’une cruauté glaçante se succèdent.
Quel tarif pour dédommager la privation de liberté de ces victimes broyées par la justice? Quelle réparation pour leurs blessures intimes et profondes? Entre erreurs authentiques et innocences incertaines, que décider?
Durant une année entière, Mathieu Delahousse est parti à la rencontre de ceux auxquels notre système judiciaire a volé une part de vie, et a tenté de capter leurs révoltes étouffées. Dans ce huis clos oppressant, on cherche, parfois en vain, l’humanité des gens de justice et la sincérité des innocentés. Et l’on croise tant d’existences qui nous ressemblent que l’on en ressort bouleversé."
L'auteur indique dans les premières pages de son livre que son objectif a été d'observer "des anonymes englués dans le système judiciaire", de "rencontrer les invisibles", qui tous ont été jetés en prison pendant un temps plus ou moins long et au final ont été innocentés. Qui avaient donc "fait de la prison pour rien".
Il rappelle que chaque année environ 500 personnes décident d'engager une procédure pour obtenir une réparation financière de l'Etat.
Le mécanisme juridique de "réparation en raison d'une détention" est prévu par les articles 149 à 150 du code de procédure pénale (textes ici). Les modalités en sont détaillées sur le site de la cour de cassation à qui appartient la décision finale en cas de recours (lire ici). (lire aussi ici)
Mathieu Delahousse a donc assisté aux audiences de la commission spéciale de la cour de cassation pendant une année. Il décrit une salle d'audience au décor tranquille, à l'ambiance apaisée, et un déroulement des séances sans la rigueur des autres audiences.
Les débats peuvent porter sur toutes sortes de question. Par exemple la prise en compte, ou non, des frais d'avocat, les indemnités dues lors d'une procédure d'extradition réclamée pour un étranger, la mesure du préjudice moral de celui qui est enfermé à tort, qui est humilié lors des visites de ses proches, qui est maltraité dans la cour de promenade, le préjudice (moindre ?) du délinquant récidiviste habitué (?) à la détention, ou l'atteinte à l'image des personnes détenues dont la personnalité et le parcours les placent, selon eux, au sein d'une certaine élite..
Les durées de détention indemnisables sont disparates : de quelques semaines à des années. (sur une indemnisation très élevée lire ici)
Mathieu Delahousse a eu le temps de prendre connaissance de nombreuses décisions, le dossier présenté un premier lundi du mois faisant l'objet d'une décision le premier lundi du mois suivant (toutes les décisions de la commission sont accessibles ici).
Nous relèverons parmi d'autres cette décision dans laquelle les magistrats de la cour de cassation ont relevé, s'agissant du préjudice moral, qu'un homme emprisonné a été séparé de fait de sa famille, compagne et deux enfants de 3 ans et 4 mois, que la souffrance de la séparation a été augmentée par le fait de n'avoir pas pu apporter son soutien ni à ses enfants ayant présenté des troubles de la santé ni à son père gravement malade et décédé avant sa remise en liberté.
Mathieu Delahousse pose aussi cette question inéluctable : "Dans cette cour des miracles des innocentés, une question obscène me transperce soudain : finalement, les malheureux de ce long défilé sont-ils réellement tous de bons innocents ou juste des miraculés d'un système qui n'a pas pu les coincer tout à fait ?"
Nous avons déjà abordé cette problématique sur ce blog (cf. ici). Rappelons seulement que si chacun sait que parmi les personnes déclarées non coupables "au bénéfice du doute" certaines ont bien commis l'infraction poursuivie, seule l'absence de preuves empêchant de les confondre, il n'empêche qu'il est totalement exclu que le soupçon continue à peser sur une quelconque d'entre d'elles. Pour la simple raison que si tel est le cas ce soupçon pèsera sur des personnes n'ayant réellement rien fait. Il n'y a donc pas place pour des innocentés à moitié. Ni pour les "poisseuses pensées" dont parle Mathieu Delahousse.
Vers la fin de son livre, le journaliste pose une autre question incontournable : certaines de ces détentions pouvaient-elles être évitées ? Mais la réponse ne se trouve pas dans son livre. La commission d'indemnisation ne se penche pas sur le bien fondé des décisions d'incarcération, mais uniquement sur les conséquences de ces périodes d'enfermement.
Et l'on se retrouve alors au coeur d'une récurrente tourmente et en présence d'injonctions paradoxales : la justice qui n'emprisonne pas assez vite quand une infraction grave est commise est accusée de laxisme, la justice qui emprisonne puis déclare non coupable est accusée d'irresponsabilité.
En tous cas Mathieu Delahousse propose un livre très intéressant, explore un domaine de la justice trop peu connu, et nous propose de nombreuses réflexions à poursuivre une fois le livre refermé.
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A lire aussi le petit livre de Denis Salas sur les erreurs judiciaires (cf. ici)