Les erreurs judiciaires (2ème partie)
Par Michel Huyette
Pour lire le premier article de cette série, cliquez ici
Parmi les commentaires sur la justice, il est une notion qui revient plus souvent qu'à son tour : l'erreur judiciaire. C'est pourquoi il me semble utile de creuser cette problématique pour tenter de savoir ce qu'il en est véritablement.
Une précision s'impose dès le départ pour que les choses soient bien claires. Les magistrats commettent des erreurs, cela est indiscutable. Il ne peut pas en être autrement, chaque être humain ayant à un moment ou un autre des défaillances. Il ne s'agit donc pas ici, dans un maladroit et illusoire réflexe corporatiste, de contester l'affirmation selon laquelle des erreurs se produisent.
Mais parce que l'expression « erreur judiciaire » est utilisée à tort et à travers, et trop souvent pour désigner des situations qui ne correspondent à aucune « erreur », il faut essayer de faire un tri dans tout cela afin de repérer ce qui relève réellement de l'erreur et ce qui n'en est pas.
Je reprendrai donc les unes après les autres (dans des articles successifs), quelques affirmations fréquentes concernant des « erreurs judiciaires », pour voir ce qu'il en est et si c'est bien de cela qu'il s'agit. Nous irons du plus simple au plus compliqué. Cela nous permettra de cerner peu à peu cette notion.
Affirmation n° 2 : « La décision n'est pas conforme à la réalité, c'est une erreur judiciaire »
Cette affirmation est la plupart du temps exacte.... dans se première partie. En effet, les juridictions rendent quotidiennement des décisions qui ne correspondent pas à la réalité, qui sont en décalage avec ce qui existe vraiment.
Reprenons un premier exemple simple, déjà mentionné sur ce blog.
Si vous prêtez une somme d'argent importante à un ami en qui vous avez entièrement confiance, sans la présence de témoins et sans lui faire signer de reconnaissance de dette écrite, et si cet (bientôt ex-) ami ne vous rend pas cet argent à la date prévue, vous savez, et il sait également, qu'il ne respecte pas le contrat verbal de prêt conclu quelques mois auparavant. Bref, cet argent il vous le doit véritablement. Mais si vous allez voir un juge et que cet ami affirme, même mensongèrement, que vous ne lui avez jamais prêté quoi que ce soit, et si vous n'avez rien d'autre à mettre en avant que votre parole, le juge va rendre une décision rejetant votre demande de condamantion de cet ami à vous rembourser la somme prêtée. Et le juge écrira que rien ne prouve qu'il ya bien eu un prêt d'argent. Or cela est totalement contraire à la réalité, et vous pourriez être révolté d'avoir entre les mains une telle décision.
Pourtant il n'y a là aucune erreur. Le juge ne prend jamais une décision en fonction de la réalité, qu'il ignore. Il décide uniquement en fonction des éléments que chacune des parties lui apporte. Mais parce que quelqu'un qui décrit sans mentir une réalité peut en même temps n'avoir pas les preuves de ce qu'il avance, les juges rendent de très nombreuses décisions qui ne correspondent pas à ce qui s'est véritablement passé. Et d'un point de vue judiciaire il ne peut en être autrement.
Ce décalage, qui peut légitimement être ressenti comme inacceptable par l'un des plaideurs, on le retrouve dans tous les domaines du droit.
Prenons un autre exemple en droit social. On le sait, de nombreuses études l'ont montré, le phénomène du harcèlement sur le lieu de travail est bien réel et fait des ravages en terme de santé physique et mentale chez les salariés qui en sont victimes. A tel point que des textes spécifiques ont été inclus dans le code du travail, tant pour le harcèlement moral que le harcèlement sexuel.
Mais parmi les salariés qui saisissent la juridiction prud'homale, bien peu nombreux sont ceux qui arrivent à en rapporter la preuve, faute, notamment, d'avoir réussi à obtenir suffisamment d'attestations d'autres membres de l'entreprise ayant été témoins des faits. Les juges rendent de ce fait de nombreuses décisions ne reconnaissant pas des faits de harcèlement qui, parfois, auront pourtant bel et bien existé. Et il doit être très douloureux pour les salariés concernés de lire une décision qui, c'est ainsi qu'ils la comprennent, donne un brevet de bonne conduite au harceleur. Mais là encore il ne peut pas en être autrement et dans ces hypothèses il ne s'agit pas d'une erreur judiciaire mais d'un simple manque de preuves.
La question doit être abordée dans le domaine pénal, mais cela est encore plus délicat.
Prenons un exemple pour nous comprendre : le viol. La loi actuelle permet à des femmes qui ont été victimes de viol pendant leur enfance de porter plainte beaucoup plus tard. C'est la question de la prescription des infractions (délai à partir duquel on ne peut plus les poursuivre). En matière de crime la prescription est de 10 ans et à compter du jour où l'infraction est commise, mais en matière de viol des poursuites peuvent être engagées pendant 20 ans, et non plus à compter de l'infraction mais à compter de la majorité de la victime. Ainsi une jeune fille violée à 12 ans peut porter plainte jusque ses 38 ans, soit 26 ans plus tard. Vous vous doutez de la difficulté, après un tel délai, de rapporter la preuve d'une agression sexuelle.
C'est pourquoi il n'est pas rare qu'une plainte correspondant à un viol qui a réellement existé aboutisse à une décision de non culpabilité à l'égard de celui qui a bien violé mais contre lequel il n'a pas été possible de réunir de preuves suffisantes. Et là encore, pour la victime, cela peut être une nouvelle et grande souffrance. Mais il ne peut pas y avoir un coupable à n'importe quel prix, et cela quelle que soit la façon dont la victime va ressentir une décision éventuellement contraire à la réalité.
Et il en va de même pour de nombreuses autres infractions.
Suis-je en train de dire que quand une personne poursuivie est déclarée non coupable, on doit toujours avoir un doute, et penser qu'elle l'était peut-être quand même, et que dans chaque dossier la décision aurait pu être inverse si d'autres éléments avaient été apporés au juge ? Certainement pas. Surtout pas. Et cela pour une simple raison.
Certes parmi les personnes qui sont déclarées non coupables, il y en a qui le sont pourtant (elles ont commis l'infraction mais les enquêteurs n'ont pas réussi à réunir les preuves). Mais, surtout, il y en a au moins autant qui n'ont réellement rien à se reprocher. Et pour celles-ci, il serait insupportable de laisser planer le moindre doute. C'est pourquoi toutes les personnes déclarées non coupables par une juridiction doivent impérativement être considérées comme appartenant à une seule et même catégorie : les personnes qui n'ont pas commis l'infraction qui leur a été reprochée. Et aucune suspicion, aucun doute ne peut être exprimé une fois leur non culpabilité déclarée.
La situation inverse peut se produire également. Il peut arriver qu'une personne qui n'a pas commis l'infraction reprochée soit condamnée, notamment parce que les juges n'avaient pas de raison de considérer que certains des éléments qui leur étaient apportés, apparemment sérieux et crédibles et qui allaient dans le sens de la culpabilité, étaient en fait erronés ou mensongers. Mais nous aborderons cela plus en détails dans un autre article.
Alors finalement oui, les juges rendent parfois des décisions qui ne sont pas conformes à la réalité. Si cela peut être le résultat d'une mauvaise analyse du dossier, si le juge peut commettre une erreur d'appréciation ou une erreur de droit, bien souvent ce phénomène se produit parce que le dossier remis au juge n'est pas le reflet de la réalité, de la « vraie vie ».
Le juge ne dispose alors que de certaines pièces du puzzle, et il ne peut faire autrement que de conclure qu'il est dans l'incapacité de savoir ce que ce puzzle représenterait si on lui avait remis toutes les pièces.
Cela est sans doute très difficile à accepter pour celui qui connaît la réalité et qui attend du juge qu'il la décrive telle qu'elle est. On le comprend aisément.
Mais il est impossible de faire différemment. Et quand le juge a fait au mieux avec ce qui lui a été remis, même si la décision est aberrante par rapport à la réalité, il ne s'agit pas d'une erreur judiciaire.
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à suivre partie 3 : « La juridiction supérieure a pris une décision différente de la précédente, donc il y a eu une erreur judiciaire »
Pour lire le premier article de cette série, cliquez ici
Parmi les commentaires sur la justice, il est une notion qui revient plus souvent qu'à son tour : l'erreur judiciaire. C'est pourquoi il me semble utile de creuser cette problématique pour tenter de savoir ce qu'il en est véritablement.
Une précision s'impose dès le départ pour que les choses soient bien claires. Les magistrats commettent des erreurs, cela est indiscutable. Il ne peut pas en être autrement, chaque être humain ayant à un moment ou un autre des défaillances. Il ne s'agit donc pas ici, dans un maladroit et illusoire réflexe corporatiste, de contester l'affirmation selon laquelle des erreurs se produisent.
Mais parce que l'expression « erreur judiciaire » est utilisée à tort et à travers, et trop souvent pour désigner des situations qui ne correspondent à aucune « erreur », il faut essayer de faire un tri dans tout cela afin de repérer ce qui relève réellement de l'erreur et ce qui n'en est pas.
Je reprendrai donc les unes après les autres (dans des articles successifs), quelques affirmations fréquentes concernant des « erreurs judiciaires », pour voir ce qu'il en est et si c'est bien de cela qu'il s'agit. Nous irons du plus simple au plus compliqué. Cela nous permettra de cerner peu à peu cette notion.
Affirmation n° 2 : « La décision n'est pas conforme à la réalité, c'est une erreur judiciaire »
Cette affirmation est la plupart du temps exacte.... dans se première partie. En effet, les juridictions rendent quotidiennement des décisions qui ne correspondent pas à la réalité, qui sont en décalage avec ce qui existe vraiment.
Reprenons un premier exemple simple, déjà mentionné sur ce blog.
Si vous prêtez une somme d'argent importante à un ami en qui vous avez entièrement confiance, sans la présence de témoins et sans lui faire signer de reconnaissance de dette écrite, et si cet (bientôt ex-) ami ne vous rend pas cet argent à la date prévue, vous savez, et il sait également, qu'il ne respecte pas le contrat verbal de prêt conclu quelques mois auparavant. Bref, cet argent il vous le doit véritablement. Mais si vous allez voir un juge et que cet ami affirme, même mensongèrement, que vous ne lui avez jamais prêté quoi que ce soit, et si vous n'avez rien d'autre à mettre en avant que votre parole, le juge va rendre une décision rejetant votre demande de condamantion de cet ami à vous rembourser la somme prêtée. Et le juge écrira que rien ne prouve qu'il ya bien eu un prêt d'argent. Or cela est totalement contraire à la réalité, et vous pourriez être révolté d'avoir entre les mains une telle décision.
Pourtant il n'y a là aucune erreur. Le juge ne prend jamais une décision en fonction de la réalité, qu'il ignore. Il décide uniquement en fonction des éléments que chacune des parties lui apporte. Mais parce que quelqu'un qui décrit sans mentir une réalité peut en même temps n'avoir pas les preuves de ce qu'il avance, les juges rendent de très nombreuses décisions qui ne correspondent pas à ce qui s'est véritablement passé. Et d'un point de vue judiciaire il ne peut en être autrement.
Ce décalage, qui peut légitimement être ressenti comme inacceptable par l'un des plaideurs, on le retrouve dans tous les domaines du droit.
Prenons un autre exemple en droit social. On le sait, de nombreuses études l'ont montré, le phénomène du harcèlement sur le lieu de travail est bien réel et fait des ravages en terme de santé physique et mentale chez les salariés qui en sont victimes. A tel point que des textes spécifiques ont été inclus dans le code du travail, tant pour le harcèlement moral que le harcèlement sexuel.
Mais parmi les salariés qui saisissent la juridiction prud'homale, bien peu nombreux sont ceux qui arrivent à en rapporter la preuve, faute, notamment, d'avoir réussi à obtenir suffisamment d'attestations d'autres membres de l'entreprise ayant été témoins des faits. Les juges rendent de ce fait de nombreuses décisions ne reconnaissant pas des faits de harcèlement qui, parfois, auront pourtant bel et bien existé. Et il doit être très douloureux pour les salariés concernés de lire une décision qui, c'est ainsi qu'ils la comprennent, donne un brevet de bonne conduite au harceleur. Mais là encore il ne peut pas en être autrement et dans ces hypothèses il ne s'agit pas d'une erreur judiciaire mais d'un simple manque de preuves.
La question doit être abordée dans le domaine pénal, mais cela est encore plus délicat.
Prenons un exemple pour nous comprendre : le viol. La loi actuelle permet à des femmes qui ont été victimes de viol pendant leur enfance de porter plainte beaucoup plus tard. C'est la question de la prescription des infractions (délai à partir duquel on ne peut plus les poursuivre). En matière de crime la prescription est de 10 ans et à compter du jour où l'infraction est commise, mais en matière de viol des poursuites peuvent être engagées pendant 20 ans, et non plus à compter de l'infraction mais à compter de la majorité de la victime. Ainsi une jeune fille violée à 12 ans peut porter plainte jusque ses 38 ans, soit 26 ans plus tard. Vous vous doutez de la difficulté, après un tel délai, de rapporter la preuve d'une agression sexuelle.
C'est pourquoi il n'est pas rare qu'une plainte correspondant à un viol qui a réellement existé aboutisse à une décision de non culpabilité à l'égard de celui qui a bien violé mais contre lequel il n'a pas été possible de réunir de preuves suffisantes. Et là encore, pour la victime, cela peut être une nouvelle et grande souffrance. Mais il ne peut pas y avoir un coupable à n'importe quel prix, et cela quelle que soit la façon dont la victime va ressentir une décision éventuellement contraire à la réalité.
Et il en va de même pour de nombreuses autres infractions.
Suis-je en train de dire que quand une personne poursuivie est déclarée non coupable, on doit toujours avoir un doute, et penser qu'elle l'était peut-être quand même, et que dans chaque dossier la décision aurait pu être inverse si d'autres éléments avaient été apporés au juge ? Certainement pas. Surtout pas. Et cela pour une simple raison.
Certes parmi les personnes qui sont déclarées non coupables, il y en a qui le sont pourtant (elles ont commis l'infraction mais les enquêteurs n'ont pas réussi à réunir les preuves). Mais, surtout, il y en a au moins autant qui n'ont réellement rien à se reprocher. Et pour celles-ci, il serait insupportable de laisser planer le moindre doute. C'est pourquoi toutes les personnes déclarées non coupables par une juridiction doivent impérativement être considérées comme appartenant à une seule et même catégorie : les personnes qui n'ont pas commis l'infraction qui leur a été reprochée. Et aucune suspicion, aucun doute ne peut être exprimé une fois leur non culpabilité déclarée.
La situation inverse peut se produire également. Il peut arriver qu'une personne qui n'a pas commis l'infraction reprochée soit condamnée, notamment parce que les juges n'avaient pas de raison de considérer que certains des éléments qui leur étaient apportés, apparemment sérieux et crédibles et qui allaient dans le sens de la culpabilité, étaient en fait erronés ou mensongers. Mais nous aborderons cela plus en détails dans un autre article.
Alors finalement oui, les juges rendent parfois des décisions qui ne sont pas conformes à la réalité. Si cela peut être le résultat d'une mauvaise analyse du dossier, si le juge peut commettre une erreur d'appréciation ou une erreur de droit, bien souvent ce phénomène se produit parce que le dossier remis au juge n'est pas le reflet de la réalité, de la « vraie vie ».
Le juge ne dispose alors que de certaines pièces du puzzle, et il ne peut faire autrement que de conclure qu'il est dans l'incapacité de savoir ce que ce puzzle représenterait si on lui avait remis toutes les pièces.
Cela est sans doute très difficile à accepter pour celui qui connaît la réalité et qui attend du juge qu'il la décrive telle qu'elle est. On le comprend aisément.
Mais il est impossible de faire différemment. Et quand le juge a fait au mieux avec ce qui lui a été remis, même si la décision est aberrante par rapport à la réalité, il ne s'agit pas d'une erreur judiciaire.
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à suivre partie 3 : « La juridiction supérieure a pris une décision différente de la précédente, donc il y a eu une erreur judiciaire »