Les erreurs judiciaires (1ère partie)
Par Michel Huyette
Parmi les commentaires sur la justice, il est une notion qui revient plus souvent qu'à son tour : l'erreur judiciaire. C'est pourquoi il me semble utile de creuser cette problématique pour tenter de savoir ce qu'il en est véritablement.
Une précision s'impose dès le départ pour que les choses soient bien claires. Les magistrats commettent des erreurs, cela est indiscutable. Il ne peut pas en être autrement, chaque être humain ayant à un moment ou un autre des défaillances. Il ne s'agit donc pas ici, dans un maladroit et illusoire réflexe corporatiste, de contester l'affirmation selon laquelle des erreurs se produisent.
Mais parce que l'expression « erreur judiciaire » est utilisée à tort et à travers, et trop souvent pour désigner des situations qui ne correspondent à aucune « erreur », il faut essayer de faire un tri dans tout cela afin de repérer ce qui relève réellement de l'erreur et ce qui n'en est pas.
Je reprendrai donc les unes après les autres (dans des articles successifs), quelques affirmations fréquentes concernant des « erreurs judiciaires », pour voir ce qu'il en est et si c'est bien de cela qu'il s'agit. Nous irons du plus simple au plus compliqué. Cela nous permettra de cerner peu à peu cette notion.
Affirmation 1 : « Je ne suis pas d'accord avec la décision, c'est une erreur judiciaire »
L'intervention d'un juge a ceci de particulier que dans de nombreux procès la décision rendue fait autant de satisfaits que de déçus. C'est souvent le cas quand deux parties en présence défendent des thèses radicalement opposées. D'où ces réflexions : « Je ne comprends pas la décision rendue, je ne suis pas du tout d'accord avec elle, le juge a fait n'importe quoi, c'est une erreur qui vient d'être commise ».
Psychologiquement, ce n'est pas le seul fait d'avoir perdu qui fait dire à certains qu'il y a eu une erreur judiciaire.
L'être humain ne reconnaît pas facilement ses torts. Dès que les enfants sont en âge de comprendre et de s'exprimer, leur première réaction quand ils font une bêtise et risquent de se faire prendre est de dire « c'est pas moi c'est les autres ». Et cette façon de tenter d'éluder sa propre responsabilité en détournant l'attention vers autrui ne disparaît jamais. Dans le couple, dans la famille, dans le cercle d'amis, au travail, l'autre a bien plus souvent tort que nous. C'est bien connu. C'est étonnant tout ce que l'on invente au quotidien pour ne pas perdre la face.
Alors quand il est donné tort à une partie au procès, le perdant n'admet pas toujours facilement que sa demande était injustifiée et que ses arguments n'étaient pas bons, qu'il avait tout simplement tort. C'est pourquoi ce perdant est souvent tenté de prétendre que son dossier était excellent mais que c'est le juge qui n'a rien compris et qui a pris une décision aberrante. Au moins, tant que l'on parle du juge, on ne parle pas du dossier insuffisamment convaincant.
Cela est particulièrement visible en matière familiale, domaine dans lequel d'anciens conjoints se font parfois une terrible guerre. Conflit sur les biens matériels, conflit autour des reproches réciproques, conflits autour des enfants, le combat est trop souvent engagé bien au-delà du raisonnable. En tous cas, une fois que le juge a tranché, on entend régulièrement l'homme ou la femme à qui il a été donné tort claironner que le juge n'a pas écouté, n'a pas compris, n'a pas tenu compte de l'intérêt de l'enfant, que la décision est aberrante et dangereuse pour les mineurs concernés. Ce qui n'empêche pas l'autre de souligner combien la décision rendue est appropriée, et de mettre en avant la qualité d'écoute et d'analyse du même magistrat.
On le voit aussi en matière sociale. Le juge a donné raison à l'employeur et non au salarié, alors c'est forcément un juge « pro-patron ». S'il a au contraire accueilli la thèse du salarié, il devient un juge politisé qui confond analyse juridique et soutien militant.
En matière pénale on frôle parfois la carricature. Souvenons-nous des comportements des élus qui il y a quelques années, pris la main dans la caisse ou après avoir truqué des marchés publics, étaient inéluctablement condamés par des juridictions correctionnelles, mais qui, sans rire et sans gêne, dénonçaient avec leurs avocats les complots « politico-judiciaires », voire même le « gouvernement des juges ». Le but était alors, pour ne pas avoir à parler de l'acte délinquant, de détourner l'attention et de décrédibiliser les juges en les accusant de vouloir atteindre des élus dans d'ignobles buts n'ayant rien à voir avec la justice. Pourtant la réalité était beaucoup plus simple. Il avaient triché et ils étaient sanctionnés.
On pourrait aussi remonter un peu plus loin en arrière, et se souvenir de ces chefs d'entreprise qui, pénalement poursuivis parce que leur mépris pour les règles de sécurité dans l'entreprise entrainait la mort de salariés, dénonçaient violemment les juges rouges qui osaient s'en prendre à des patrons. Il faut admettre, à leur décharge, qu'il ne doit pas être facile d'accepter de se voir appliquer la loi quand pendant des décennies on a fait partie d'une caste d'intouchables.
Et il semblerait que les mauvaises habitudes n'aient pas totalement disparu.
En tous cas, il ne suffit sans doute pas qu'un justiciable insatisfait par une décision crie à l'erreur judiciaire pour que cela soit vrai.
Tout cela est-il puéril, dérisoire et de peu d'intérêt ? On est tenté dans un premier temps de se dire que personne n'est dupe, que les français ne vont pas se laisser influencer sans réféchir par des affirmations lancées à la va vite devant une caméra ou dans un quotidien, et qu'il est peu utile de s'attarder sur ces fausses dénonciations d'erreurs judiciaires.
Mais il n'est pas certain que la répétition de ces affirmations soit sans aucun effet sur la façon nos concitoyens perçoivent la justice, notamment ceux qui n'ont jamais été impliqués dans une procédure judiciaire et qui ne connaissant de l'institution que ce qui se dit dans les medias.
Quoi qu'il en soit, ce qui est regrettable, ce n'est pas tant la dénonciation d'erreurs judiciaires qui n'existent pas. C'est que la fréquence de ce genre d'allégations rend plus difficile la mise en lumière des véritables erreurs qui méritent d'être dénoncées. Les critiques justifiées sont aujourd'hui noyées dans de trop nombreux reproches qui ne reposent sur rien de sérieux, ce qui masque leur crédibilité.
Non, il ne suffit pas d'exprimer un désaccord total avec une décision pour démontrer qu'une erreur judiciaire a été commise. Cette erreur, il va falloir la chercher ailleurs.
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à suivre partie 2 : « La décision rendue ne correspond pas à la réalité, c'est une erreur judiciaire »
Parmi les commentaires sur la justice, il est une notion qui revient plus souvent qu'à son tour : l'erreur judiciaire. C'est pourquoi il me semble utile de creuser cette problématique pour tenter de savoir ce qu'il en est véritablement.
Une précision s'impose dès le départ pour que les choses soient bien claires. Les magistrats commettent des erreurs, cela est indiscutable. Il ne peut pas en être autrement, chaque être humain ayant à un moment ou un autre des défaillances. Il ne s'agit donc pas ici, dans un maladroit et illusoire réflexe corporatiste, de contester l'affirmation selon laquelle des erreurs se produisent.
Mais parce que l'expression « erreur judiciaire » est utilisée à tort et à travers, et trop souvent pour désigner des situations qui ne correspondent à aucune « erreur », il faut essayer de faire un tri dans tout cela afin de repérer ce qui relève réellement de l'erreur et ce qui n'en est pas.
Je reprendrai donc les unes après les autres (dans des articles successifs), quelques affirmations fréquentes concernant des « erreurs judiciaires », pour voir ce qu'il en est et si c'est bien de cela qu'il s'agit. Nous irons du plus simple au plus compliqué. Cela nous permettra de cerner peu à peu cette notion.
Affirmation 1 : « Je ne suis pas d'accord avec la décision, c'est une erreur judiciaire »
L'intervention d'un juge a ceci de particulier que dans de nombreux procès la décision rendue fait autant de satisfaits que de déçus. C'est souvent le cas quand deux parties en présence défendent des thèses radicalement opposées. D'où ces réflexions : « Je ne comprends pas la décision rendue, je ne suis pas du tout d'accord avec elle, le juge a fait n'importe quoi, c'est une erreur qui vient d'être commise ».
Psychologiquement, ce n'est pas le seul fait d'avoir perdu qui fait dire à certains qu'il y a eu une erreur judiciaire.
L'être humain ne reconnaît pas facilement ses torts. Dès que les enfants sont en âge de comprendre et de s'exprimer, leur première réaction quand ils font une bêtise et risquent de se faire prendre est de dire « c'est pas moi c'est les autres ». Et cette façon de tenter d'éluder sa propre responsabilité en détournant l'attention vers autrui ne disparaît jamais. Dans le couple, dans la famille, dans le cercle d'amis, au travail, l'autre a bien plus souvent tort que nous. C'est bien connu. C'est étonnant tout ce que l'on invente au quotidien pour ne pas perdre la face.
Alors quand il est donné tort à une partie au procès, le perdant n'admet pas toujours facilement que sa demande était injustifiée et que ses arguments n'étaient pas bons, qu'il avait tout simplement tort. C'est pourquoi ce perdant est souvent tenté de prétendre que son dossier était excellent mais que c'est le juge qui n'a rien compris et qui a pris une décision aberrante. Au moins, tant que l'on parle du juge, on ne parle pas du dossier insuffisamment convaincant.
Cela est particulièrement visible en matière familiale, domaine dans lequel d'anciens conjoints se font parfois une terrible guerre. Conflit sur les biens matériels, conflit autour des reproches réciproques, conflits autour des enfants, le combat est trop souvent engagé bien au-delà du raisonnable. En tous cas, une fois que le juge a tranché, on entend régulièrement l'homme ou la femme à qui il a été donné tort claironner que le juge n'a pas écouté, n'a pas compris, n'a pas tenu compte de l'intérêt de l'enfant, que la décision est aberrante et dangereuse pour les mineurs concernés. Ce qui n'empêche pas l'autre de souligner combien la décision rendue est appropriée, et de mettre en avant la qualité d'écoute et d'analyse du même magistrat.
On le voit aussi en matière sociale. Le juge a donné raison à l'employeur et non au salarié, alors c'est forcément un juge « pro-patron ». S'il a au contraire accueilli la thèse du salarié, il devient un juge politisé qui confond analyse juridique et soutien militant.
En matière pénale on frôle parfois la carricature. Souvenons-nous des comportements des élus qui il y a quelques années, pris la main dans la caisse ou après avoir truqué des marchés publics, étaient inéluctablement condamés par des juridictions correctionnelles, mais qui, sans rire et sans gêne, dénonçaient avec leurs avocats les complots « politico-judiciaires », voire même le « gouvernement des juges ». Le but était alors, pour ne pas avoir à parler de l'acte délinquant, de détourner l'attention et de décrédibiliser les juges en les accusant de vouloir atteindre des élus dans d'ignobles buts n'ayant rien à voir avec la justice. Pourtant la réalité était beaucoup plus simple. Il avaient triché et ils étaient sanctionnés.
On pourrait aussi remonter un peu plus loin en arrière, et se souvenir de ces chefs d'entreprise qui, pénalement poursuivis parce que leur mépris pour les règles de sécurité dans l'entreprise entrainait la mort de salariés, dénonçaient violemment les juges rouges qui osaient s'en prendre à des patrons. Il faut admettre, à leur décharge, qu'il ne doit pas être facile d'accepter de se voir appliquer la loi quand pendant des décennies on a fait partie d'une caste d'intouchables.
Et il semblerait que les mauvaises habitudes n'aient pas totalement disparu.
En tous cas, il ne suffit sans doute pas qu'un justiciable insatisfait par une décision crie à l'erreur judiciaire pour que cela soit vrai.
Tout cela est-il puéril, dérisoire et de peu d'intérêt ? On est tenté dans un premier temps de se dire que personne n'est dupe, que les français ne vont pas se laisser influencer sans réféchir par des affirmations lancées à la va vite devant une caméra ou dans un quotidien, et qu'il est peu utile de s'attarder sur ces fausses dénonciations d'erreurs judiciaires.
Mais il n'est pas certain que la répétition de ces affirmations soit sans aucun effet sur la façon nos concitoyens perçoivent la justice, notamment ceux qui n'ont jamais été impliqués dans une procédure judiciaire et qui ne connaissant de l'institution que ce qui se dit dans les medias.
Quoi qu'il en soit, ce qui est regrettable, ce n'est pas tant la dénonciation d'erreurs judiciaires qui n'existent pas. C'est que la fréquence de ce genre d'allégations rend plus difficile la mise en lumière des véritables erreurs qui méritent d'être dénoncées. Les critiques justifiées sont aujourd'hui noyées dans de trop nombreux reproches qui ne reposent sur rien de sérieux, ce qui masque leur crédibilité.
Non, il ne suffit pas d'exprimer un désaccord total avec une décision pour démontrer qu'une erreur judiciaire a été commise. Cette erreur, il va falloir la chercher ailleurs.
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à suivre partie 2 : « La décision rendue ne correspond pas à la réalité, c'est une erreur judiciaire »