C’est pas moi c’est les autres (à propos des malades mentaux, de l’hôpital et de la prison)
Par Michel Huyette
Le journal le Monde a publié dans son édition du 21 novembre 2008 un intéressant article sur l’état de la psychiatrie en France et plus précisément sur la prise en charge des malades mentaux qui commettent des actes de délinquance. Il est intitulé : « La psychiatrie française va de plus en plus mal », et sous-titré : « Injonctions sécuritaires et manque de moyens plongent dans le désarroi les équipes soignantes ».
Le journaliste a rencontré de nombreux soignants qui ont souligné la difficulté croissante des services psychiatriques à traiter efficacement les malades mentaux dangereux, et qui ont insisté sur le fait que « les prisons accueillent des personnes souffrant de pathologies psychiatriques sévères, singulièrement de schizophrénie, par défaut de structure d’accueil et de soins psychiatriques ». Autrement dit, ni l’hôpital public ni la prison ne sont actuellement équipés en moyens matériels et humains pour mettre en œuvre et dans la durée des soins réellement efficaces auprès d’une population qui demande une très forte attention. Selon certains psychiatres, cela traduit non seulement un manque de moyens mais « une envie de se débarrasser des malades difficiles à vivre » qui conduit à « des stratégies de neutralisation et d’élimination qui ne disent pas leur nom ».
Que les moyens nécessaires au traitement des malades mentaux dangereux, hospitalisés ou emprisonnés, ne soient pas à la hauteur de l’enjeu ne serait pas si grave – tant pis pour eux et tant mieux pour nous s’ils sont mis à l’écart et n’embêtent plus personne diront certains – s’il ne s’avérait à ce point difficile de les empêcher de commettre d’autres dégâts sur eux-mêmes ou sur des tiers dans l’hôpital, dans la prison, ou dans la rue. Une illustration en est l’affaire très récente de ce malade mental qui a fugué de l’hôpital psychiatrique dans lequel il était traité, puis qui a agressé et tué un homme dans la rue. Et quelques mois plus tôt un détenu en a tué un autre dans la cellule qu’ils partageaient.
Après l’agression commise par ce malade en fugue, la réaction des pouvoirs publics a été très rapide : le directeur de l’hôpital a été suspendu par la ministre de la santé. Et il a été annoncé la mise en chantier d’une réforme de la loi sur l’hospitalisation psychiatrique. Mais sur ce qui s’est réellement passé on ne nous a pas dit grand chose.
On ne peut s’empêcher de faire le lien avec l’affaire judicaire de Metz (voir ici), qui, après le suicide d’un mineur en prison, a vu l’inspection générale des services judiciaires se précipiter en pleine nuit pour auditionner des magistrats qui ont expliqué dans quelles circonstances, parfaitement conformes à la loi, ce mineur a été emprisonné en exécution d’une peine régulièrement prononcée par un tribunal pour enfants.
Mais ce qui nous intéresse aujourd’hui ce ne sont pas ces situations en elles-mêmes, mais la réaction des pouvoirs publics qu’il est utile de décrypter avec un peu de recul.
Dans les deux cas il y a eu une réaction immédiate, dans la précipitation, et sans réflexion préalable puisque le temps a manqué, comme s’il fallait forcément faire quelque chose, même n’importe quoi, pourvu que l’on ne donne pas l’impression d’être inactif et de ne pas maîtriser les évènements.
Et en poussant l’analyse un peu plus loin, on remarque que dans chacune de ces deux situations le stratagème utilisé a été le même : désigner le plus vite possible un coupable potentiel : le substitut qui a mis à exécution une décision de justice à Sarreguemines, le directeur de l’hôpital qui n’a pas pu empêcher la fugue d’un malade à Grenoble. Notons que dans le second cas les responsables politiques ont trouvé un coupable supplémentaire, la loi, dont on a très vite dit qu’elle devrait être modifiée, sans même qu’une étude rapide ne soit menée pour vérifier si ce qui s’est produit a véritablement pour origine un problème de législation. Et si les magistrats qui sont intervenus à Sarreguemines ont eu la confirmation, sans surprise, qu’il ne leur sera pas reproché d’avoir appliqué la loi, nous ne savons pas à ce jour quel sera le sort du directeur de l’hôpital de Grenoble. En tous cas vous aurez peut-être vous aussi bien du mal à trouver dans votre journal favori la trace de propos tenus par un membre du gouvernement et décrivant la faute qui aurait été commise. Et même si selon la presse sept syndicats se sont déclarés choqués par la mise en cause non argumentée de ce directeur, pour l’instant il est coupable… au bénéfice du doute….
Ce que l’on retient finalement de la part de nos gouvernants, dans ces deux situations comme dans tant d’autres actuellement, c’est la volonté permanente de contourner et dissimuler le débat de fond et d’éviter les questions qui pourraient faire apparaître les lacunes des politiques publiques (délabrement des prisons et absence dans leurs murs d’un service de santé digne de ce nom, manque cruel de moyens des hôpitaux psychiatriques), politiques qui pourtant conduisent inéluctablement aux drames qui, n’en doutons pas, vont se multiplier dans les prisons, dans les hôpitaux et hors les murs. Car, chacun le sait, ces drames n’ont pas principalement comme origine des erreurs individuelles. Ils se produisent parce que justice et médecine ont été depuis des décennies privés des moyens matériels et humains leur permettant de faire un travail de qualité auprès des malades mentaux, délinquants ou non, et qui, malheureusement, sont de plus en plus nombreux.
La façon d’agir des politiques est finalement simple : qu’un fait divers émeuve – à juste titre - l’opinion, et immédiatement un responsable local est désigné à la vindicte publique sans autre explication que son nom et sa fonction, et on proclame haut et fort qu’il va devoir « payer » pour bien être entendu par le peuple. Le débat sur la problématique de fond et les politiques menées est ainsi écarté, et voilà les élus exonérés de toute responsabilité par le biais d’une supercherie destinée à attirer l’attention sur des tiers utilisés comme bouc-émissaires. En résumé : c’est celui que nous vous désignons qui est le seul coupable, comprenez donc que nous n’y sommes pour rien.
Et tant pis si cette méthode nous fait penser à la cour de l’école primaire, quand les gamins inquiets car pris en faute s’agitent et répètent : c’est pas moi c’est les autres, c’est les autres, c’est pas moi.
Ce n’est pas très courageux. Ce n’est pas très digne.
En tous cas personne n’est dupe.
PS : aujourd'hui, un petit bonus, pour.... les autres......