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Publié par Parolesdejuges

 

Nous avons abordé ici, à plusieurs reprises, la question de la motivation des décisions des cours d'assises.

Rappelons brièvement l'historique :

Pendant une longue période, les décisions des cours d'assises n'étaient pas motivées. Il était mis en avant que, notamment, le caractère collectif de la décision (trois magistrats professionnels plus des jurés non professionnels), l'annonce de la décision juste après le délibéré, rendaient difficile si ce n'est impossible la motivation des décisions des cours d'assises comme celles des autres juridictions pénales.

C'est parfois la notion d'intime conviction qui était mise en avant pour faire obstacle à une motivation écrite (lire ici).

Mais en 2009 la Cour Européenne des Droits de l'Homme est venue mettre un terme à cette vision des choses en posant le principe que, dans certaines circonstances, la motivation des décisions des cours d'assises est indispensable à leur bonne compréhension par les acteurs du procès. (lire ici)

Après une période de réticences internes (lire ici, ici, ici) le code de procédure pénale a été modifié pour imposer la motivation écrite et développée des arrêts des cours d'assises. (lire ici, ici) (lire aussi ici). 

La motivation écrite est donc aujourd'hui obligatoire et donc systématique.

On relèvera, pour mémoire, que contrairement à ce qui avait été prédit par certains, la mise en oeuvre de la nouvelle loi ne pose pas de difficulté majeure. Depuis le début de l'année 2012 sont rédigées les "feuilles de motivation" par toutes les cours d'assises de France sans que les praticiens de ces juridictions signalent des soucis particuliers.

Cela mettait-il fin au débat autour de la motivation des décisions des cours d'assises ? Non car la discussion s'est, logiquement, reportée sur la qualité et le contrôle du contenu de cette motivation.

S'agissant de la cour de cassation, celle-ci, pour faire simple, exerce un contrôle minimal sur le contenu de la feuille de motivation. Elle n'exige pas, tout simplement parce que cela serait impossible, que celle-ci soit aussi détaillée que la motivation d'une décision de justice ordinaire rendue par un ou par une collégialité de magistrats, après éventuellement un délibéré.

Au demeurant, le nouvel article 365-1 du code de procédure pénale (texte ici) exige seulement que la feuille de motivation contienne "l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises."

La cour de cassation a quand même une fois (au moins) cassé une décision de cour d'assises à cause d'une motivation défaillante (cf. ici).

C'est la CEDH qui à son tour porte une appréciation sur la feuille de motivation.

Une française, poursuivie pour homicide volontaire, après avoir été acquittée en première instance, a été déclarée coupable et condamnée en janvier 2012, par une cour d'assises d'appel, à quinze années de réclusion criminelle. Son pourvoi a été rejeté.

Cette femme a saisi alors la CEDH, faisant valoir principalement que la motivation de sa condamnation, telle qu’elle résulte de la feuille des questions et de la feuille de motivation, ne répond pas aux exigences de l’article 6 de la Convention.
 

La feuille de motivation, reprise dans l'arrêt de la CEDH, était rédigée ainsi :

« La cour d’assises a été convaincue de la culpabilité de Béatrice MATIS pour avoir le 7 février 2003 à COULOGNE volontairement donné la mort à [M.L.] en raison des éléments à charge suivants, qui ont été discutés lors des débats et qui ont constitué les principaux éléments à charge exposés au cours des délibérations menées par la cour et le jury préalablement aux votes sur les questions :

L’accusée a contesté formellement toute participation à ces faits mais les débats ont permis de mettre en évidence les éléments suivants :

- L’auteur du meurtre n’a commis ni effraction, ni vol et [M.L.] était exceptionnellement seule ce soir là

- Le médecin légiste constate la présence de 58 plaies vitales par arme blanche dont seules 9 sont létales, parmi lesquelles de nombreuses lésions de défense

- L’ADN de Béatrice MATIS a été retrouvé sous les ongles de [M.L.]

- Béatrice MATIS a rendu visite le 7 février 2003 après 19 h à [M.L.] épouse de son ex-mari [C.L.]

- Elle est la dernière personne connue à avoir vu [M.L.]

- Elle a dissimulé cette visite à sa fille alors que celle-ci lui annonçait le meurtre de [M.L.] le 8 février 2003

- Elle a menti sous serment aux policiers le 17 mars 2003 en leur indiquant qu’elle n’avait pas vu [M.L.] depuis un mois et qu’elle avait passé la soirée à son domicile à partir de 18 heures

- Elle a présenté une cicatrice à son poignet due, selon elle, à l’agrippement de [M.L.] qui aurait perdu l’équilibre. Cependant le médecin légiste qui l’a examinée le 27 mars 2003 date la cicatrice d’un à deux mois et conclut que les explications fournies par Béatrice MATIS sont incompatibles avec l’érosion cutanée constatée

- Les témoignages de trois policiers aux termes desquels il ressort que Béatrice MATIS a avoué avoir tué [M.L.]

- Béatrice MATIS savait que [M.L.] était seule ce soir-là »

 

Dans sa décision du 29 octobre 2015 (texte intégral ici), la CEDH a jugé à l'unanimité en ces termes :

"(..) la Cour est pour la première fois appelée à se prononcer sur une affaire dans laquelle une telle « feuille de motivation » a été rédigée.

Elle constate que ce document présente les principaux éléments à charge qui ont été discutés au cours des débats, qui ont été exposés durant les délibérations et sur lesquels repose finalement la décision de déclarer la requérante coupable des faits reprochés.

La Cour considère que le nombre et la précision des éléments factuels énumérés dans la feuille de motivation, qui correspondent d’ailleurs en l’espèce aux constats de la chambre de l’instruction dans son arrêt de mise en accusation, sont de nature à permettre à la requérante de connaître les raisons de sa condamnation. Compte tenu de ce document et de son contenu, il importe donc peu qu’une seule question ait été posée.

En conclusion, la Cour estime que la requérante a disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention."

 

 

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