Viols, incertitudes judiciaires, et motivation des décisions des cours d'assises
Par Michel Huyette
Nous avons récemment abordé sur ce blog la question, délicate, de la prise en compte de la parole des personnes dénonçant des agressions sexuelles (lire ici). Dans un autre domaine, il a été plusieurs fois débattu de la problématique de la motivation, inexistante jusqu'à ce jour dans notre droit actuel, des décisions des cours d'assises (lire ici, ici, ici, ici).
Il se trouve que trois évènements qui viennent de se produire incitent à revenir à ces deux sujets, mais cette fois-ci en même temps.
C'est d'abord la cour d'assises spéciale de Paris qui, à l'issue du troisième procès de M. Colonna, a motivé sa décision (document ici).
Au même moment commençait le nouveau procès de M. Secher, dont la condamnation pour viol par une cour d'assises d'appel a été annulée à l'issue d'une procédure en révision (décision ici). La jeune fille qui l'avait jusque là accusé d'être son agresseur a postérieurement au second procès écrit au procureur général une lettre dans laquelle elle a déclaré l'avoir accusé à tort (1).
Et deux jours plus tard, nous apprenons, alors qu'un homme a été condamné par une cour d'assises puis une cour d'assises d'appel à neuf années de prison pour avoir violé son petit-fils, que ce dernier, aujourd'hui majeur, vient de déclarer que s'il a bien été violé quand il était enfant il ne se souvient pas par qui, et donc que c'est à tort qu'il a dénoncé son grand-père. Il a ajouté dans certains medias avoir agi ainsi pour se faire remarquer à cause d'un environnement familial autrefois éclaté et déstabilisant. Le grand père vient d'être remis en liberté par la chambre de l'instruction, et l'avenir dira si les rétractations de l'accusateur justifieront une procédure en révision (lire ici).
Une question vient aussitôt à l'esprit : si ce qu'ont initialement affirmé la jeune fille et le jeune homme était inexact, quels éléments ont été retenus par les juridictions successives pour déclarer les accusés coupables ?
Le problème c'est, une fois de plus, que personne (à part les magistrats et les jurés qui ont siégé dans ces affaires) n'en sait rien puisque les décisions des cours d'assises ne sont accompagnées d'aucune explication des principales étapes du raisonnement ayant conduit à la déclaration de culpabilité.
La réponse à la seconde question dépend de la réponse à la précédente. Elle concerne le contenu des dossiers.
Soit les dossiers ne comportaient pas d'éléments fortement probant venant renforcer les accusations, et l'on doit alors se demander, encore et encore, dans quelle mesure une juridiction pénale peut raisonnablement fonder une déclaration de culpabilité sur les seules déclarations d'une personne venant se présenter comme victime, quand bien même il n'est pas exclu qu'elle soit perturbée voire même, comme le dit aujourd'hui le jeune homme, qu'elle ait bien été violée mais par une personne finalement non identifiée avec certitude.
Soit les dossiers comportent d'autres éléments qui avec force et sans que subsiste un doute suffisant important désignent encore et toujours les accusés comme coupables. Cela nécessite de se pencher avec minutie sur les comportements successifs des deux jeune gens pour tenter de savoir quand ils disent vrai et quand ils transforment la réalité, parce que la réalité ne correspond pas forcément à la rétractation. Quoi qu'il en soit il faudra attendre l'issue des nouvelles procédures pour savoir ce qu'il en est.
En tous cas, dans ce genre d'affaires, il est absolument indispensable que les décisions des cours d'assises soient motivées, la motivation, comme déjà souligné dans les autres articles, étant cet exercice qui, quand il est trop difficile voire impossible, parce que les phrases et les paragraphes ne s'enchainent pas aisément malgré les tentatives, impose au juge de constater que la conclusion d'abord envisagée ne peut pas être suffisamment argumentée.
Autrement dit, la motivation est un test qui, en imposant une encore plus grande rigueur du raisonnement, peut permettre d'éviter d'éventuelles erreurs judiciaires.
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1. Mr Secher a été acquitté par la cour d'assises le 24 juin 2011