Le grand bazar dans la procédure pénale
Par Michel Huyette
Il y a peu de temps (lire ici) nous avons souligné ici combien la création des QPC (question prioritaire de constitutionnalité, lire ici et ici), c'est à dire le droit offert à tout justiciable, au cours d'un procès, de faire vérifier la conformité d'un texte qui lui est opposé à la Constitution française (texte ici), avait entraîné dès les premières saisines du Conseil Constitutionnel (page dédiée ici) d'importants bouleversements. C'est le cas, entre autres, pour ce qui concerne la garde à vue (lire ici, ici).
Le 6 mai 2011, le Conseil constitutionnel a une nouvelle fois rendu une décision (lire ici et ici) susceptible de modifier sinon le cadre juridique du moins certaines pratiques des magistrats. Il s'agissait de préciser les mécanismes applicables quand un individu soupçonné d'avoir commis une infraction est présenté au Procureur de la République afin que celui-ci décide de la suite de la procédure (passage devant le tribunal en comparution immédiate, convocation à une audience ultérieure, saisine du juge d'instruction..), ceci autour de deux aspects : l'absence de l'avocat et les questions posées par le Procureur.
S'agissant de la présence d'un avocat au côté de la personne qui lui est présentée, exclu par la loi, le Conseil a considéré que la présence d'un avocat n'est pas à ce stade obligatoire parce que "le défèrement de la personne poursuivie devant le procureur de la République en application de l'article 393 (texte ici) a pour seul objet de permettre à l'autorité de poursuite de notifier à la personne poursuivie la décision prise sur la mise en œuvre de l'action publique et de l'informer ainsi sur la suite de la procédure". Et il en tire comme conséquence que "le respect des droits de la défense n'impose pas que la personne poursuivie ait accès au dossier avant de recevoir cette notification et qu'elle soit, à ce stade de la procédure, assistée d'un avocat." Le cadre juridique actuel est donc conforme à la Constitution.
Le Conseil a par contre précisé que "l'article 393 impartit au procureur de la République de constater l'identité de la personne qui lui est déférée, de lui faire connaître les faits qui lui sont reprochés, de recueillir ses déclarations si elle en fait la demande et, en cas de comparution immédiate ou de comparution sur procès-verbal, de l'informer de son droit à l'assistance d'un avocat pour la suite de la procédure ; que cette disposition, qui ne permet pas au procureur de la République d'interroger l'intéressé, ne saurait, sans méconnaître les droits de la défense, l'autoriser à consigner les déclarations de celui-ci sur les faits qui font l'objet de la poursuite dans le procès-verbal mentionnant les formalités de la comparution." Tout en estimant cet aspect du dispositif conforme à la Constitution le Conseil, par le biais de ce que l'on appelle une réserve d'interprétation, ajoute donc ce qui est ci-dessus en italique.
L'idée à retenir, qui s'était déjà exprimée dans les décisions relatives à la garde à vue, c'est que la personne concernée par une procédure judiciaire doit être assistée d'un avocat à chaque fois qu'elle est interrogée sur les faits et est susceptible, dans ses réponses aux questions qui lui sont posées, de fournir des éléments pouvant ensuite lui être opposés et servir de support à une condamnation.
En tous cas, les membres du Parquet vont à l'avenir devoir s'abstenir de retranscrire sur le procès verbal rédigé à l'issue des rencontres avec les individus qui leur sont présentés tout propos concernant les faits poursuvis. Cela aboutit à un infléchissement des pratiques sans modification de la loi.
A côté de celles du Conseil constitutionnel, ce sont aussi les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, site ici) qui viennent bouleverser notre législation. Nos textes peuvent en effet subir en même temps un double contrôle : le contrôle du Conseil constitutionnel sur la conformité de nos règles avec la constitution française, et, en parralèle, la vérification, par les juges français eux-mêmes, que les justiciables ne sont pas placés dans une situation violant les droits fondamentaux énoncés par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CESDH, texte ici).
On remarquera que ce double mécanisme peut aboutir à des situations délicates, en ce sens qu'une règle peut être déclarée conforme à la constitution et contraire à la CESDH. Cela pourrait avoir été récemment le cas en ce qui concerne l'absence de motivation des décisions de la cour d'assises (lire not. ici, ici, ici).
On se rend compte très vite que tout ceci est à l'origine de permanentes incertitudes puisque l'intervention du Conseil constitutionnel par le biais des QPC quand il n'est pas saisi dès le vote d'une loi, et la saisine de la CEDH une fois les procédures internes terminées, dépendent des choix des justiciables, à des moments imprévisibles, et que le contenu des décisions n'est pas forcément connu d'avance. Cela n'empêche que chaque déclaration de non conformité impose d'écarter les textes jugés non conformes et contraint à reconstruire la règle qui vient d'être anéantie.
En plus, ce qui n'arrange rien, c'est que le Conseil constitutionnel et la CDEH ne répondent qu'aux questions qui leur sont posées, et au moment où elles leurs sont posées. Cela a pour conséquence qu'à tout instant une autre règle de notre droit, puis une autre, et encore une autre, peuvent être à leur tour contestées. A supposer que chaque article de nos codes fasse l'objet d'un recours (ce qui n'est heureusement qu'une hypothèse d'école), il faudrait des années pour que, enfin, notre droit se stabilise... sauf en cas d'arrivée de nouvelles lois pouvant, à leur tour, être contestées...
Ce qui se passe actuellement autour de la garde à vue est une illustration de ce que certains appellent déjà le grand bazar. En effet, à peine obtenues des décisions imposant la présence d'un avocat aux côtés du gardé à vue, et alors que la nouvelle loi récemment votée (texte ici) n'est pas encore entrée en vigueur (elle le sera le 1er juin), des avocats ont déjà soutenu que les nouvelles règles sont insuffisamment protectrices et violent encore et toujours les droits de la défense. Ce qu'ils reprochent à la loi, c'est qu'elle leur permette d'être présent à côté de leur client, d'assister à son interrogatoire par le policier, de relire avec l'intéressé le procès verbal de l'audition, de présenter des observations, mais sans leur permettre de prendre connaissance du début de dossier déjà constitué (qui peut comporter une plainte, des investigations, d'autres auditions..).
Les avocats plaident que la nouvelle loi ne respecte pas encore suffisamment la CESDH. Ils ont commencé à saisir les juridictions correctionnelles qui doivent statuer sur ce point de procédure, d'où des décisions déjà rendues et à venir qui dans un premier temps vont être... discordantes, jusqu'à la saisine de la cour de cassation.. voire même de la CEDH.
Sans compter d'éventuelles QPC dès l'entrée en vigueur le la nouvelle loi !
Tout ceci donne le tournis et suscite des réactions contrastées.
Dans un premier temps, on peut être tenté de se réjouir de l'exisence d'un contrôle bien plus minitieux qu'avant sur les règles opposables à tous les justiciables. Il n'est pas forcément mauvais que des textes appliqués de façon routinière depuis des années soient de nouveaux examinés au regard des normes fondamentales actuelles. Autrement dit, d'un point de vue purement théorique, le juriste est plutôt satisfait de l'amélioration du cadre juridique et les citoyens peuvent être tentés d'approuver des mécanismes qui visent à les protéger au mieux.
Mais il n'empêche que cette instabilité permanente et la cacophonie passée, présente et à venir sont déconcertantes. Car en grossissant le trait, on pourrait prétendre que dorénavant notre droit n'est plus qu'un droit incertain, en sachant qu'à tout moment de multiples dispositions peuvent être remises en cause avant, pendant et après un procès. Et l'on sait que lorsqu'une question juridique nouvelle est posée, il faut toujours un long moment avant qu'elle soit définitivement tranchée par les juridictions supérieures.
Par ailleurs, ce que l'on peut sans doute regretter parce que cela alimente l'insécurité juridique, c'est que notre législation pénale soit en permanence l'objet de soubresauts, soit sans cesse modifiée par des lois qui sont trop souvent des lois de circonstances, et que, comme la récente histoire de la garde à vue l'a montré, gouvernement et législateur choisissent d'attendre d'y être contraint et donc le dernier moment pour rédiger dans la précipitation de nouveaux texte supposés être en conformité avec les principes fondamentaux.
Pour ce qui concerne la garde à vue plus spécifiquement, il semble assez surprenant, alors qu'il s'agit d'un terrain de prédilection pour les avocats, que la nouvelle loi n'ait pas été soumise au Conseil constitutionnel dès son vote définitif, ceci afin d'empêcher qu'elle soit ensuite remise en cause par le biais de QPC. L'explication se trouve dans le fait que le Conseil avait donné au pouvoir jusqu'au 1er juillet 2011 pour modifier le régime juridique antérieur. Or si gouvernement et Parlement n'avaient pas attendu le dernier moment pour réformer le code de procédure pénale, alors que les avertissements de la CEDH sont anciens, les incertitudes découlant du nouveau texte auraient été supprimées par l'examen de la loi, par le Conseil constitutionnel, avant sa promulgation et sa mise en application. Autrement dit, le pouvoir et les parlementaires ont choisi de ne pas saisir le Conseil constitutionnel pour ne pas retarder l'entrée en application d'une loi qui devait impérativement être mise en oeuvre avant le 30 juin 2011. Quitte a favoriser l'insécurité juridique.
Finalement, ce qui se passe actuellement est autant intéressant intellectuellement que concrètement préoccupant.
Existe-t-il des moyens de faire autrement ? Pas totalement car le mécanisme lui-même de la QPC permet de remettre en cause, à tout moment, des normes juridiques dans tous les domaines du droit. Et de son côté la CEDH va, d'une décision à l'autre, continuer à fixer les lignes rouges à ne pas franchir, nous obligeant ainsi à corriger des pans entiers de notre législation.
Mais il n'en reste pas moins que l'insécurité pourrait être atténuée.
Elle pourrait l'être par la saisine systématique du Conseil constitutionnel dès qu'une loi modifiant des règles un tant soit peu importantes est votée. Il faut espérer que le raté de la nouvelle loi sur la garde à vue ne se reproduise pas.
Surtout, il serait utile de modifier considérablement notre façon de réfléchir au droit pénal de demain.
Que l'on cesse d'abord de ne s'en préoccuper qu'après des faits divers, en privilégiant l'émotion, en navigant entre démagogie et populisme, alors que sur des sujets aussi complexes seuls la réflexion distante et sereine et le raisonnement à froid peuvent permettrent d'aboutir à des conclusions justifiées, de quelques nature qu'elles soient.
Que l'on cesse ensuite d'opposer hypocritement les droits des prévenus et ceux des victimes, comme si la souffrance de ces dernières devait entraîner une minoration des droits des premiers. Pourtant les victimes sont les premières gagnantes quand un procès de déroule sans soubresauts.
Que l'on fasse enfin un bilan complet de l'état actuel des droits fondamentaux dans une procédure pénale, dans toutes ses composantes, et que l'on en recherche le sens et non seulement l'expression légale. Et en même temps que l'on s'interroge ouvertement, avec tous les intéressés, sur les limites de la notion de droits de la défense, notion qui n'est pas indéfiniment extensible.
Mais cela supposerait de laisser de côté les préjugés, les arrière pensées, les réflexes corporatistes, les calculs électoralistes, et les démagogies de toutes sortes.
Ce n'est sans doute pas demain la veille.