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Publié par Parolesdejuges

 

Il y a des phrases que l'on voudrait ne jamais entendre dans nos salles d'audience.

Cette jeune femme avait été victime d'un viol, dont l'auteur est aujourd'hui définitivement condamné. Cet homme a nié les faits de son arrestation au procès et, accompagné en ce sens par son avocat, s'en est pris agressivement à la plaignante tout au long de la procédure, lui reprochant en des termes divers de raconter n'importe quoi et de mentir depuis le début.

A l'audience la jeune femme s'est longuement exprimée sur les faits, en les relatant avec une émotion intense et une douleur encore profonde. Le viol est en effet un crime psychiquement dévastateur.

Puis quand la question "Souhaitez-vous ajouter autre chose" lui a été posée, elle a fait oui d'un signe de la tête puis elle a dit ceci : "Etre violée m'a détruite. Mais ce que je vis depuis ma plainte c'est presque pire. Alors si un jour une de mes amies se fait violer je lui dirai de ne pas aller porter plainte".

Pour les acteurs de la justice, une telle réflexion, aussi insupportable soit-elle, ne surprend pas du tout. Car le parcours judiciaire d'une victime de viol est trop souvent un véritable calvaire. La raison de cela est très simple.

La réalité quotidienne

La plupart du temps, l'auteur d'un viol sait fort bien ce qu'il a fait. Pour lui, et secondairement pour son avocat, il n'y a pas place au doute. Même si reconnaître le viol est difficile, à cause de la modification du regard des autres et notamment des proches que cela déclenche, ce dont les agresseurs sexuels ont particulièrement conscience (1).

Mais quand l'accusé qui  sait qu'il a violé prétend qu'il n'a absolument rien fait de mal et que la relation sexuelle dénoncée était pleinement consentie, il dit aussi que la victime invente et ment quand elle décrit une relation sexuelle forcée.

Autrement dit, pour l'auteur de l'agression sexuelle nier le viol impose inéluctablement de dénigrer la victime. Ce qui conduit cet accusé, ainsi que son avocat, et sous une multitude d'angles d'attaque, à malmener cette victime de viol au moment de la garde à vue, pendant l'information judiciaire, et une fois de plus à l'audience. Alors que, depuis la plainte initiale, chaque dénigrement de la victime est un violent et très douloureux coup de poignard dans le dos de celle-ci. Il s'agit, et pendant de nombreux mois, d'une maltraitance injustifiée mais délibérée.

Il suffit à l'audience d'observer les victimes pour constater combien ce dénigrement est source d'une grande souffrance pour elles. En entendant les remises en cause qui tombent parfois en pluie elles tremblent, elles pleurent, elles se recroquevillent, elles se serrent contre leurs proches, parfois elles sortent momentanément de la salle d'audience parce qu'elles ne supportent plus ce qu'elles entendent, puis reviennent. 

Il ne s'agit évidemment pas d'interdire toute interrogation sur les propos ou le comportement d'une victime de viol. Il est légitime par exemple de la questionner s'il y a une imprécision ou une contradiction à un moment de ses déclarations, de lui demander des précisions sur ce qui selon elle s'est passé, ou pourquoi elle n'a pas tout de suite dénoncé les faits si tel a été le cas. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici. Ce dont nous parlons c'est uniquement du dénigrement injustifié par celui qui sait avoir violé. Comme, par exemple, sous-entendre que la victime a porté plainte pour obtenir de l'argent. Ou la faire passer pour une personne psychologiquement instable pour essayer de la discréditer. 

L'émergence de la notion de victimisation secondaire

Cette maltraitance en cours de procédure judiciaire est le sort de nombreuses victimes de viol depuis des décennies. Lorsque quelques critiques sont formulées sur un éventuel excès de remise en cause de celles-ci, il est répondu la plupart du temps que les droits de la défense n'ont pas de limite, peu important les éventuelles conséquences pour les plaignantes. 

Cette maltraitance a toutefois une conséquence indirecte pour les accusés. En effet, au moment du procès l'agressivité injustifiée contre les victimes de viol entraîne assez souvent une augmentation de la peine prononcée contre l'auteur. De fait, à partir du moment où magistrats et jurés (2) sont convaincus que la partie civile a bien été violée par l'accusé, les agressions contre cette victime sont considérées inadmissibles et comme devant être spécialement sanctionnées en plus des faits eux-mêmes, au titre de la personnalité de l'auteur qui apparaît dépourvu de la moindre empathie. Il est considéré alors que puisque l'accusé est conscient de ce qu'il a fait, il n'a aucune excuse pour maltraiter une fois de plus celle qu'il sait avoir agressé sexuellement et doit être sanctionné spécifiquement pour cela.

Et il en va de même pour son avocat qui, ayant lu l'entier dossier, n'est pas toujours dupe malgré les dénégations de son client. Au demeurant, il est surprenant de voir des avocats agir contre l'intérêt final de leur client en dénigrant parfois agressivement celles qu'ils savent eux aussi être une victime de viol. Parce que les avocats ne peuvent pas ignorer que cela va déplaire profondément aux juges professionnels ou civils, et qu'ils le font quand même. Et c'est peut-être encore plus troublant quand c'est une femme avocate qui consacre toute son énergie à nuire injustement et inutilement, et en connaissance de cause, à une femme victime de viol.

Toutefois les mentalités ont un peu évolué. Les femmes ont de plus en plus pris la parole pour dénoncer le sort qui leur est fait pendant la procédure judiciaire, les élus se sont emparés de la problématique, des consignes ont été données pour améliorer l'accueil, l'accompagnement et l'écoute des victimes de violences physiques ou sexuelles (3).

Quoi qu'il en soit, pour aisément l'identifier (4), et pour donner à tout le monde un repère commun, ce phénomène de maltraitance supplémentaire de la plainte au jugement a été dénommé "victimisation secondaire". Expression qui n'est pas nouvelle dans les instruments juridiques, mais qui n'est pas assez connue en France. Et, surtout, dont les conséquences ne sont pas assez tirées.

La présence de la notion dans les textes internationaux

Il est écrit dans l'article 15 (avec reprise dans l'article 18) de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, aussi appelée Convention d'Istanbul (texte intégral ici) (applicable en 2014 par les Etats signataires dont la France (doc ici) et ratifiée par l'Union Européenne en octobre 2023 (doc ici)) : "Les Parties dispensent ou renforcent la formation adéquate des professionnels pertinents ayant affaire aux victimes ou aux auteurs de tous les actes de violence couverts par le champ d’application de la présente Convention, sur la prévention et la détection de cette violence, l’égalité entre les femmes et les hommes, les besoins et les droits des victimes, ainsi que sur la manière de prévenir la victimisation secondaire."

La notion apparaît également dans une Directive européenne de 2012 "établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité (..)" (doc ici). Il y est écrit à l'article 9 : "Il convient de protéger les victimes de la criminalité de victimisation secondaire et répétée, des intimidations et des représailles, de leur apporter un soutien adapté destiné à faciliter leur rétablissement et de leur offrir un accès suffisant à la justice.". Et à l'article 18 : "Sans préjudice des droits de la défense, les États membres s'assurent que des mesures sont mises en place pour protéger la victime et les membres de sa famille d'une victimisation secondaire et répétée, d'intimidations et de représailles, y compris contre le risque d'un préjudice émotionnel ou psychologique, et pour protéger la dignité de la victime pendant son audition et son témoignage. Au besoin, ces mesures incluent également des procédures établies en vertu du droit national permettant la protection de l'intégrité physique de la victime et des membres de sa famille."

La prise en compte de la victimisation secondaire par la CEDH

La notion n'apparait pas sous cet intitulé dans la Convention européenne des droits de l'homme (texte intégral ici), mais la problématique est prise en compte par la Cour dans sa jurisprudence.

Il est écrit dans le Guide de l'article 6 qui résume la jurisprudence de la cour (doc ici) : "Les victimes d’infractions à caractère sexuel, surtout lorsqu’elles sont mineures, voient souvent leur procès comme un calvaire, en particulier lorsqu’elles sont confrontées contre leur gré à l’accusé. Pour déterminer si, oui ou non, l’accusé dans une procédure de cette nature a bénéficié d’un procès équitable, le droit au respect de la vie privée de la victime alléguée doit être pris en compte. Ainsi, dans les affaires pénales d’abus sexuels, certaines mesures peuvent être prises aux fins de la protection de la victime, pourvu qu’elles soient conciliables avec l’exercice adéquat et effectif des droits de la défense." Et aussi : "Compte tenu de la spécificité des caractéristiques des procédures pénales en matière d’infractions à caractère sexuel, l’article 6 § 3 d) ne saurait être interprété comme imposant dans chaque cas que des questions soient posées directement par l’accusé ou par son avocat, dans un contre-interrogatoire ou par d’autres moyens (..). À ce titre, la Cour estime que, puisqu’une confrontation directe entre les personnes accusées de violences sexuelles et leurs victimes alléguées risquent de traumatiser davantage ces dernières, le contre-interrogatoire personnel des victimes par les accusés doit être entouré des plus grandes précautions par les juridictions nationales, à plus forte raison si les questions sont intimes."

Un remarquable article de 2023 présente de façon précise et détaillée la façon dont la Cour européenne des droits de l'homme a intégré la notion de victimisation secondaire dans sa jurisprudence (article et doc ici).

A titre d'exemple, dans un arrêt de 2021 cité dans l'article, la CEDH a écrit que des plaignantes ont été injustement victimes : "(..) des cas graves de victimisation secondaire (...) c’est-à-dire à une victimisation d’une part distincte de celle qui résultait de la commission des infractions en cause et, d’autre part, imputable aux autorités judiciaires."

Puis elle ajoute dans son arrêt : "La Cour conclut à la violation des articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, lesquels imposent à l’État de protéger l’intégrité physique de l’individu et peuvent, dans des cas aussi graves que le viol et les abus sexuels sur des enfants, s’étendre aux questions concernant l’effectivité de l’enquête pénale. Était ainsi centrale la question de la prise en charge adéquate de la victime durant la procédure pénale, ceci dans le but de la protéger d’une victimisation secondaire."

Ce qui intéresse en découvrant la position de la CEDH, ce n'est pas tant le constat de situations inadmissibles. Ce qui est essentiel, c'est l'obligation faite aux professionnels de protéger en permanence les victimes contre une seconde atteinte à leurs droits fondamentaux. Ceci à partir du moment où elles dénoncent le viol subi, et jusqu'au tout dernier moment de la procédure judiciaire.

Une prise en compte indirecte dans notre droit

La notion de victimisation secondaire n'apparait pas comme telle dans notre droit français. Mais certaines dispositions semblent la prendre en compte, même sans la mentionner.

Il est ainsi prévu à l'article 10-5 du code de procédure pénale (texte ici), inséré dans un passage sur les droits des victimes  : "Dès que possible, les victimes font l'objet d'une évaluation personnalisée, afin de déterminer si elles ont besoin de mesures spécifiques de protection au cours de la procédure pénale. L'autorité qui procède à l'audition de la victime recueille les premiers éléments permettant cette évaluation. Au vu de ces éléments, l'évaluation peut être approfondie, avec l'accord de l'autorité judiciaire compétente. La victime est associée à cette évaluation. Le cas échéant, l'association d'aide aux victimes requise par le procureur de la République ou le juge d'instruction en application de l'article 41 y est également associée ; son avis est joint à la procédure."

Une prise en compte indirecte et récente par la cour de cassation

Une décision du 4 avril 2024 de la chambre criminelle de la cour de cassation est une illustration, indirecte mais réelle, de la prise en compte de cette problématique (arrêt intégral ici) (5)

La question posée par le pourvoi peut se résumer ainsi : Quand une plaignante d'agression sexuelle ne souhaite pas se présenter à l'audience, par peur de son agresseur ou de ses proches, par crainte de souffrir, ou pour d'autres raisons, le juge peut-il ou doit-il la contraindre à venir, contre son gré ? Et s'il ne peut pas la contraindre, comment doit-il procéder pour à la fois tenir compte des raisons légitimes de cette réticence mais aussi préserver le principe du contradictoire? A cette question la réponse de la cour de cassation est en deux temps.

La chambre criminelle rappelle d'abord que : "(..) aucune disposition du code de procédure pénale ne permet de contraindre la partie civile à comparaître devant la juridiction correctionnelle (..)". En clair, la personne qui dépose plainte et qui s'est constituée partie civile ne peut pas être conduite à l'audience par la force. Pour les témoins récalcitrants la juridiction peut parfois décerner un mandat d'amener, ce qui fait que le témoin est conduit à l'audience par des policiers ou des gendarmes. Mais cela n'est pas prévu pour la victime.

Puis, elle raisonne de la façon suivante.

Elle rappelle d'abord qu'en application de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (cf. renvois ci-dessus), "toute personne accusée d'une infraction a droit, notamment, à interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge.", que la CEDH juge : "qu'il y a violation de l'article 6, §§ 1 et 3, d), de la Convention européenne des droits de l'homme, s'il n'est pas démontré que les juges ont déployé tous les efforts que l'on pouvait raisonnablement attendre d'eux pour tenter d'assurer la comparution du témoin dont le témoignage est déterminant au sens de sa jurisprudence.", que : "Si l'absence de motif sérieux justifiant la non-comparution ne peut en soi rendre un procès inéquitable, elle constitue un élément de poids s'agissant d'apprécier l'équité globale d'un procès", enfin que "S'agissant particulièrement de la personne se déclarant victime d'infractions sexuelles et invoquant la peur d'assister au procès, le juge doit notamment vérifier si toutes les autres possibilités, telles que l'anonymat ou d'autres mesures spéciales, étaient inadaptées ou impossibles à mettre en oeuvre."

La chambre criminelle en tire les conséquences suivantes : "Il s'en déduit qu'au regard des déclarations incriminantes du plaignant et à défaut de confrontation, durant l'enquête, entre la partie civile et le prévenu, il appartient aux juges, d'une part, de mettre en oeuvre les moyens procéduraux à leur disposition pour tenter d'assurer la comparution de la partie civile à l'audience, afin de permettre à la défense, qui en avait manifesté la volonté, de l'interroger, d'autre part, de vérifier si l'absence de la partie civile était justifiée par une excuse légitime."

S'agissant des faits de l'espèce la chambre criminelle ajoute : "Les juges n'ont pas ordonné la comparution personnelle de [W] [M] à l'audience, y compris par un moyen de télécommunication audiovisuelle sur le fondement de l'article 706-71, alinéa 3, du code de procédure pénale (article ici), alors qu'ils disposaient de cette faculté sans pour autant user de la contrainte. Ils n'ont pas davantage ordonné une expertise pour vérifier si la comparution de la partie civile, à l'audience ou en visioconférence, se heurtait à un obstacle insurmontable."

Autrement dit, sauf en cas d'impossibilité reconnue par un professionnel notamment un psychologue du fait d'un risque trop élevé de traumatisme supplémentaire, tout doit être fait pour permettre la participation de la victime au processus judiciaire, y compris sa présence à l'audience. Mais l'indispensable protection de la victime peut justifier l'utilisation de moyens de nature à réduire les dommages pouvant résulter de cette présence. L'audition de cette victime en visio-conférence, et éventuellement dans un lieu tenu secret pour éviter les pressions, est l'un des moyens envisageables pour la protéger contre la victimisation secondaire.

Une indispensable appréhension de la notion par les magistrats

Les consignes sont claires et indiscutables : les victimes de viol doivent, pour éviter une surcouche de traumatismes, être protégées autant que possible contre des agressions injustifiées pendant tout le processus judiciaire. 

Reste à définir quel doit être le périmètre de cette protection, puis qui, et comment, doit intervenir pour que la limite la limite du dommage supplémentaire acceptable ne soit pas dépassée.

La Directive européenne précitée est un guide parmi d'autres. Il y est précisé dans son article 53 :

"Il convient de limiter le risque que la victime subisse une victimisation secondaire et répétée, des intimidations et des représailles, soit du fait de l'auteur de l'infraction, soit en raison de sa participation à la procédure pénale, en menant cette procédure d'une manière coordonnée et respectueuse, permettant aux victimes de nouer des liens de confiance avec les autorités. L'interaction avec les autorités compétentes devrait être aussi aisée que possible, et le nombre d'échanges inutiles entre celles-ci et la victime limité, par exemple en recourant à l'enregistrement vidéo des auditions et en autorisant leur utilisation durant la procédure juridictionnelle. Un éventail de mesures aussi large que possible devrait être mis à la disposition des praticiens pour éviter de mettre la victime dans une situation pénible durant la procédure juridictionnelle, notamment à la suite d'un contact visuel avec l'auteur de l'infraction, la famille de ce dernier, ses complices ou des membres du public. À cette fin, les États membres devraient être encouragés à mettre en place, en particulier dans les tribunaux, les locaux de la police et de la gendarmerie, des mesures réalisables et pratiques pour que les établissements prévoient des aménagements tels que des entrées séparées et des zones d'attente distinctes pour les victimes. En outre, les États membres devraient, dans la mesure du possible, organiser la procédure pénale de manière à éviter les contacts entre la victime et les membres de sa famille, d'une part, et l'auteur de l'infraction, d'autre part, en convoquant par exemple la victime et l'auteur de l'infraction à des audiences fixées à des dates différentes."

Une vigilance s'impose donc à toutes les étapes du processus judiciaire pour protéger les victimes d'agressions sexuelles. Elle doit concerner, entre autres points, le nombre des auditions et des confrontations avec l'auteur, la nature et la formulation des questions posées, le nombre et le contenu des expertises psychologiques, la déroulement de l'audience, les modalités des témoignages, la protection contre pressions et menaces dans et autour des palais de justice.

Mais il faudra d'abord que tous les magistrats s'emparent de la notion puis y pensent lors de chacune de leurs interventions. 

Une lente mais réelle évolution des pratiques des avocats

Pendant longtemps, les avocats ont considéré que la défense d'un auteur de viol ne doit rencontrer aucune limite. Y compris quand ils savent fort bien que leur client est coupable. Ce qui fait que d'innombrables avocats s'en sont pris brutalement aux victimes de viol. En plus en restant, ce qui surprend toujours ceux qui les observent, totalement insensibles à la souffrance qu'ils imposent délibérément et inutilement à celles qui se trouvent à quelques mètres d'eux. Il n'est pas simple de comprendre comment tous ces avocats s'y prennent pour se débarrasser de toute forme de compassion et d'empathie vis à vis de ces femmes dont la souffrance, sous leurs yeux, est pourtant particulièrement visible.

Mais depuis quelques années l'évolution est réelle, quand bien même elle est lente.

On voit en effet bien plus souvent qu'avant deux autres modalités d'intervention de certains avocats qui ont compris qu'il n'était plus adéquat de creuser avec énergie la tombe de leur client.

La première catégorie d'avocats est constituée de ceux qui, avant et parfois encore pendant l'audience, vont tout faire pour que l'accusé reconnaisse le viol, au moins dans son principe. Certains, comme ils l'expliquent, refusent d'assister l'accusé qui les sollicite si celui-ci veut continuer à nier les évidences, et lui disent fermement qu'il va devoir évoluer tant sa position jusque là est intenable. A l'audience, on les voit, à travers leurs questions, encourager et pousser autant qu'ils le peuvent leur client à admettre que le récit de la victime correspond bien à la réalité. A défaut d'arriver à dire qu'il a violé.

La deuxième catégorie d'avocats est constituée de ceux qui vont plus loin et qui, quand bien même l'accusé continue à nier le viol à l'audience, expliquent pendant leur plaidoirie finale que malgré ses protestations il a bien commis les faits. Puis plaident sur les circonstances, la personnalité, et la peine méritée.

Stratégiquement, ces avocats ont raison. Leur positionnement est intelligent, et ils évitent à leur client le supplément de peine qui est souvent la conséquence d'une défense inutilement agressive.

Mais cela pose question déontologiquement puisque le rôle de l'avocat est de porter la parole de son client, et non de substituer sa propre vision de l'affaire. Et puis, leur client est-il clairement averti qu'ils vont plaider sa culpabilité même si celui-ci continue à prétendre qu'il n'a rien fait pendant les débats ?

Quoi qu'il en soit cette façon d'accompagner l'accusé est la plus raisonnable, et la moins dangereuse pour lui.

Mais d'autres avocats qui n'ont pas mis à jour leur logiciel continuent à faire comme il y a des dizaines d'années. Sans se rendre compte (mais est-ce vraiment le cas ?) qu'ils nuisent considérablement à celui qu'ils ont pourtant pour mission de défendre au mieux.

Conclusion

Les femmes qui subissent un viol sont victimes deux fois. Une première fois lors de l'agression sexuelle. Une deuxième fois pendant la procédure judiciaire. Leur souffrance est alors démultipliée.

La notion de victimisation secondaire permet d'identifier et de nommer clairement ce phénomène violent mais malheureusement permanent.

Tous les professionnels de la chaine pénale, policière puis judiciaire, doivent l'avoir à l'esprit et s'interroger en permanence sur les conséquences pouvant être excessivement dommageables de chacune de leurs pratiques quand la victime est impliquée.

Les avocats ne pourront pas toujours éviter le débat sous le prétexte insuffisant des droits de la défense. S'ils ne prennent pas en compte la notion pour soulager les victimes, ils devraient l'avoir en tête dans l'intérêt de leurs clients.

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1. Au cours d'une audience, un accusé de viol, condamné au terme du procès, a lâché cette phrase qui résume cela : "Si je reconnais je perds ma famille et mes amis". La réprobation vis à vis d'un violeur n'est pas du tout la même que celle vis à vis de l'auteur de violences physiques. Il l'avait parfaitement perçu. Et se savait pris au piège.

2. Dorénavant les viols sont, sauf exception, jugés par les cours criminelles départementales (sur le sujet des CCD lire ici et les renvois)

3. Sur les limites de ces évolutions, notamment pour ce qui concerne les trop longs délais d'audiencement (lire ici)

4. Lire notamment : ici ; ici (Union Européenne) ; ici (Canada) ; ici et ici (Québec) ; ici (Belgique) ; ici (Belgiques - prostituées) ; ici (Suisse) ; ici (compte-rendu d'audience) ; ici (dans le domaine médical) ;

5. C'est une section entière de la chambre criminelle de la cour de cassation, spécialement réunie, qui a rendu cette décision, avec publication de l'arrêt sur le site internet de la juridiction. Ce qui en marque l'importance.

 

 

 

 

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