L'affaire Jules Durand (Bibliographie)
Les erreurs judiciaires, en tant que décisions judiciaires de condamnation de personnes dont la preuve est rapportée ensuite qu'elles sont innocentes, sont toutes d'épouvantables drames humains et sociaux.
Ces erreurs font la plupart du temps l'objet d'innombrables commentaires, et entrent les une après les autres dans l'histoire de la justice et du pays (lire aussi ici, ici, ici, ici).
Mais c'est une erreur judiciaire bien moins connue dont il est question dans le livre du magistrat Marc Hédrich (1), publié aux éditions Michalon (leur site), intitulé :
L'affaire Jules Durand
Quand l'erreur judiciaire devient crime
Sur le site de l'éditeur, le livre est présenté ainsi (page dédiée) :
"Le Havre, 1910. Jules Durand, docker charbonnier, est injustement accusé de complicité d'assassinat d'un contremaître. Son véritable tort en cette période de grève sur le port : être syndicaliste et oser se révolter contre les indignes conditions de travail imposées par la Compagnie générale transatlantique. S'ensuivent une parodie de procès et une condamnation à mort. Mais face à l'injustice, l'indignation et la mobilisation populaire finissent par payer. La Cour de cassation reprend le dossier et innocente Durand. Trop tard cependant : Jules Durand, syndicaliste autodidacte, pourfendeur de l'alcoolisme ouvrier, finira sa vie à l'asile.
Comment la machine judiciaire a-t-elle pu s'enrayer au point de condamner à mort un innocent ? Surtout, comment cette affaire retentissante en son temps, qui mobilisa l'opinion publique et les intellectuels de l'époque - Jaurès en tête -, a-t-elle pu être frappée du sceau du silence ? Avec son regard de praticien et documents à l'appui, Marc Hédrich tente de percer le mystère de cette amnésie collective. Le présent ouvrage apporte ainsi un éclairage aussi rigoureux que précieux sur ce crime judiciaire sur fond de justice de classe : le contexte, les acteurs du drame (dont le jeune avocat de Jules Durand, un certain René Coty) et les suites du jugement, en même temps qu'il dresse le tableau saisissant d'une époque, notamment des misérables conditions de vie des charbonniers.
Le récit d'une des plus grandes erreurs judiciaires du XXe siècle."
L'auteur insiste d'emblée sur la méconnaissance injustifiable d'une affaire qui pourtant mérite au plus haut point d'être connue.
Parce que ce qui est décrit est réellement hallucinant pour le lecteur du 21ème siècle.
Au delà du détail des faits (le meurtre d'un docker non gréviste) que le lecteur découvrira au fil des pages, on apprend ébahis que pour une affaire aussi grave et complexe l'instruction n'a duré que... quelques semaines, menée par un juge d'instruction sous l'influence du ministère public, et que le procès a été conduit de façon manifestement orientée.
Particulièrement intéressante est l'analyse de la réaction des jurés, qui ont délibéré seuls et n'ont donc pas pu bénéficier d'avis juridiques sur la nature et les conséquences de leurs éventuelles décisions, et qui après le prononcé de la sanction par le président de la cour d'assises ont compris qu'ils avaient été induits en erreur et pris dans une sorte de piège. A tel point qu'ils ont collectivement pris la plume pour exprimer leur désaccord avec la sanction de peine de mort pour Jules Durand.
L'auteur décrit la longue démarche et les mobilisations qui ont conduit d'abord à la transformation de sa peine, ce qui est inacceptable pour un innocent, puis à la réhabilitation de Jules Durand. Mais bien trop tard pour cet homme qui, n'ayant pas supporté l'injustice de la décision et les conditions de son incarcération, est peu a peu devenu fou. Alors que jusqu'au bout, et à la veille même de son procès, il avait cru en la justice, et l'avait écrit dans des lettres à ses proches que le livre contient.
Mais l'intérêt du livre ne s'arrête pas là.
Il y a aussi la description d'une époque qui n'est pas si ancienne que cela puisqu'il s'agit du début du 20ème siècle. L'industrialisation et le monde ouvrier, les syndicats, le traitement des mouvements de protestation.
Et, pour ce qui nous intéresse, l'instrumentalisation d'une justice docile. Ce qui fait écho aux déclarations actuelles de ceux qui ne supportent toujours pas une justice pleinement indépendante, et qui le font savoir bruyamment.
Cela en fait un livre passionnant, bien au-delà de la simple relation d'une erreur judiciaire.
Mais une dernière remarque s'impose, une fois encore.
C'est bien parce que les erreurs judiciaires existent, et quand bien même elles sont de plus en plus rares du fait de l'évolution des investigations, des dossiers, et des pratiques professionnelles, que la peine de mort ne peut et ne pourra jamais faire partie de notre arsenal répressif. En effet, si un homme condamné à la prison à vie peut être libéré en cas de reconnaissance tardive de son innocence, rien ne peut être fait pour l'innocent condamné à mort et dont la sentence a été exécutée avant la reconnaissance de son innocence.
La seule idée qu'une fois, une rare fois, un innocent puisse être exécuté à tort est insupportable.
Le débat sur la réintroduction de la peine de mort ne sera possible quand il sera certain qu'aucune erreur judiciaire ne se produira plus jamais.
Ce n'est pas pour demain (lire aussi ici, ici, ici).
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1. Marc Hédrich est magistrat, président de cour d'assises. Il a longtemps exercé au Havre, d'abord comme inspecteur du travail puis en qualité de juge d'instruction. Il est co-fondateur de l'association "Les Amis de Jules Durand" et créateur des "ateliers citoyens du droit".