Condamné à mort, et un peu plus encore
Les Etats Unis nous ont appris depuis bien longtemps qu'au delà des proclamations de principes sur l'exemplarité d'une communauté qui se veut leader du monde, la réalité peut être bien différente, et nettement moins attrayante.
L'un des exemples de cette contradiction entre les paroles et les actes est la façon dont sont traités certains condamnés à mort.
Il ne s'agira pas aujourd'hui de relancer le débat sur la peine de mort. Il suffira de rappeler, pour rendre inutile toute polémique sur ce châtiment définitif, qu'aux Etats Unis 6 individus condamnés à mort ont ensuite été innocentés en 2004, 12 en 2003, et 9 en 2002, et que récemment le gouverneur du Texas s'est ému de la situation d'un homme, Tim Cole, condamné pour viol en 1985 puis exécuté, et qui finalement a été innocenté grâce à des expertises ADN
Seuls ceux que l'idée qu'un individu puisse être mis à mort et soit ensuite reconnu non coupable du crime ayant entraîné cette peine laisse indifférent peuvent soutenir, sans problème de conscience, que la peine de mort est acceptable dans une société démocratique.
Quoi qu'il en soit, ce qui retient l'attention aujourd'hui est ce qui vient, une fois de plus, d'arriver à l'un des condamnés à mort aux USA.
L'homme, Hank Skinner, a été condamné en 1995 au Texas, à la peine capitale, pour trois meurtres commis en 1993. Cela fait donc maintenant 15 années que cet homme attend son exécution sans savoir exactement quand celle-ci aura lieu.
Il était prévu que la mort lui soit donnée le 24 mars 2010 à 18 heures. (1) Mais, 45 minutes avant le geste définitif, la cour suprême des Etats Unis a ordonné un sursis, le temps pour elle d'examiner la requête de Monsieur Skinner qui soutient d'une part qu'il est innocent et d'autre part que des expertises ADN, non effectuées au moment de l'enquête et du procès, pourraient apporter des éléments qui lui seraient favorables (2).
Précisions que l'Etat du Texas a initialement refusé de faire droit à sa demande d'investigations complémentaires, même aux frais du condamné.
Notre convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme interdit tout traitement inhumain ou dégradant (art. 3).
On peut dès lors se demander comment qualifier cette attitude d'un Etat qui consiste à dire à une personne condamnée à mort : vous serez sans doute exécuté, mais peut-être pas, à une date que vous connaîtrez au dernier moment, qui pourra être modifiée, et si vous engagez un recours, il sera accepté, ou pas, enfin peut-être, alors vous vivrez encore quelques années, mais rien n'est certain car personne ne sait, alors inutile de prévoir ou de préparer quoi que ce soit car vous auriez peut-être le temps de faire ce que vous souhaitez faire, mais peut-être pas, alors à demain, enfin, si vous êtes encore en vie...
Ce qu'il serait intéressant de décrypter, ce sont les motivations profondes des responsables qui, délibérément et au nom de la population, mettent en place de tels mécanismes.
S'agit-il, au delà de la seule peine de mort, de rajouter une nouvelle dose de souffrance pour anéantir un peu plus encore le condamné ?
Cela traduit-il une volonté de faire souffrir autant que possible les proches de l'intéressé en les maintenant en permanence entre espoir, résignation, et désespérance ?
Faut-il y voir les soubresauts d'une société empêtrée dans ses contradictions, qui en même temps qu'elle tente d'exorciser le crime en condamnant à mort certains de ses membres a conscience, plus ou moins clairement, de l'impasse dans lequel la démarche conduit tout le groupe social ?
En tous cas, dans de telles circonstances, la barbarie n'est pas loin et le traitement du condamné à mort est manifestement inhumain. L'agonie peut parfois être pire que la mort.
Mais il ne faut pas se tromper d'analyse.
L'objectif n'est pas d'être particulièrement bienveillant avec des personnes qui, quand elles ont réellement commis le crime poursuivi et réprimé, méritent parfois une sanction très sévère quand bien même il ne s'agit pas de la peine capitale.
Non. L'enjeu est ailleurs
Il s'agit de montrer que le groupe social ne tombe pas à son tour dans le piège de la sauvagerie qu'il dénonce et qu'il veut contenir.
Car pour endiguer efficacement le désordre, il faut avoir la distance, la sérénité et la force de le maîtriser. Cela suppose des références et des actes aux antipodes de ceux que l'ont veut écarter.
Répondre à un désordre par un autre désordre ne conduit jamais à rien de bon.
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1. L'exécution avait d'abord été fixée au 24 février 2010, puis reportée.
2. Selon la femme de Mr Skinner, une française qui a longtemps milité contre la peine de mort et qui l'a épousé fin 2008, la procédure a été entachée d'irrégularités, l'avocat commis d'office n'était pas compétent, un témoin s'est rétracté après la condamnation en dénonçant des pressions de la police.