Elle l'a bien cherché (Bibliographie)
Cet article a été mis à jour le 14 avril 2024.
Dernière mise à jour : 15 avril 2024 ; le 10 juin 2024
Ce n'est pas le nombre de ses pages qui fait l'intérêt d'un livre. Si l'épaisseur d'un ouvrage permet d'augmenter le champ de la réflexion, de multiplier et de développer les idées qui y sont présentées, le risque est toujours pour le lecteur de se noyer dans les détails et de perdre de vue l'essentiel. Outre la crainte, pour celui qui est intéressé par un sujet, de passer trop de temps avec un livre trop fourni, et la décision par voie de conséquence de ne pas s'y plonger.
Le livre qui est présenté ici est une illustration de l'intérêt des livres synthétiques. Il fait partie d'une collection de livres courts (environ 80 pages) créée par les éditions Dialogues (leur site), réunis dans une rubrique "Mercuriales" consacrée à l'univers judiciaire (page dédiée ici). D'autres livres de cette collection seront présentés sur ce blog.
Depuis plusieurs années, l'attention de la société est tournée vers les violences physiques et sexuelles contre les femmes tant l'ampleur du phénomène est élevée, persistante et insupportable. Même si du chemin a déjà été parcouru, il y a encore bien des progrès à faire (lire not. ici) et le débat reste vif.
C'est pour alimenter cet indispensable débat que Gwenola Joly-Coz, magistrate (1) a publié le livre :
Elle l'a bien cherché
La justice et la lutte contre les violences faites aux femmes
Le livre est présenté ainsi sur la page de l'éditeur (page ici) :
"La justice est interpellée par le peuple des femmes. Les mouvements sociétaux en cours depuis 15 ans, qui ont trouvé leur acmé dans le mouvement Me Too (2017), mettent l’institution judiciaire au centre de la conversation mondiale sur le traitement des faits dénoncés par les victimes mais aussi sur les sanctions infligées aux auteurs. Cette histoire récente mais bouillonnante doit être racontée pour rendre compte des évolutions majeures qu’a connues la justice française. Assaillie par la demande sociale, elle est bousculée par la remise en question, parfois vigoureuse, de grands principes procéduraux tels que la prescription, la présomption d’innocence, le contradictoire, les règles de preuve. Dès lors elle s’est adaptée, formée, transformée pour faire face à l’afflux de plaintes et à la multiplication des audiences consacrées au jugement des infractions sexistes, violentes et sexuelles. Dans ce contexte nouveau et actif, les juges ne peuvent que s’interroger sur leur déontologie. L’indépendance est-elle adossée à une forme d’isolement? L’impartialité est-elle confondue avec l’indifférence? L’obligation de réserve est-elle une assignation au silence? Il s’agit aussi de faire évoluer le vocabulaire juridique et médiatique : à quoi sert le mot féminicide ? qu’est-ce que le consentement ?"
Outre une introduction, le livre comporte 7 chapitres : Le juge entre loi et jurisprudence, Le juge dans la tourmente de la loi, Le juge et la chronique des féminicides, Le juge en interactions, La justice questionnée en ses principes, La justice en mouvement, L'avenir judiciaire.
Sous ces intitulés, Gwenola Joly-Coz aborde, très concrètement, les principales problématiques actuelles du débat sur les violences physiques et sexuelles contre les femmes.
Dès son introduction elle rappelle à quel point le discours des hommes, entendu au fil des audiences judiciaires, est l'un des révélateurs des dysfonctionnements qui conduisent aux violences. Et parmi les phrases entendues, le "Elle l'a bien cherché", décliné sous tous les tons, "résume l'inversion de la culpabilité et la responsabilité de la femme dans les violences qu'elle subit".
Parmi d'autres sujets abordés, l'auteure présente l'évolution des lois en la matière, seul moyen de comprendre d'où nous venons et le chemin législatif qui reste à parcourir.
Elle analyse le "féminicide" et ses composantes, notamment le phénomène d'emprise (et l'évolution vers la notion de contrôle coercitif) (2). Ce qui la conduit à parler de "crime de propriétaire" et à écrire que "le féminicide est (..) un crime misogyne et machiste incarnant le système d'écrasement généralisé des femmes".
Elle questionne la violence masculine et la virilité, le déséquilibre et la domination, en lien avec l'éducation des hommes et les représentations biaisées des femmes.
Elle analyse les conséquences pour les enfants des violences entre adultes dont ils sont les témoins.
Elle aborde aussi les problématiques juridiques de la prescription, de l'amnésie, de la présomption d'innocence (sur ce dernier sujet lire aussi ici), du suicide forcé.
Elle interroge les nécessités pour la justice de lier de façon cohérente et efficace réponses pénales et réponses civiles. Elle présente les mesures récemment mises en oeuvre (téléphone grave danger, bracelet anti-rapprochement).
Elle propose des pistes d'amélioration vers encore plus d'efficacité.
Elle s'interroge en même temps sur la place de l'impartialité du juge, qui, tout en restant ouvert et libre d'esprit, ne peut pas être indifférent à ce qui se passe dans la société. Ce qui lui fait écrire : "Exiger que le juge soit sans préjugés sans a priori est légitime. Demander qu'il soit ignorant est un non-sens, qu'il soit isolé est un risque".
Au final, ce petit livre aborde de nombreuses problématiques au coeur du débat sur les violences subies par les femmes. Il est un point d'entrée idéal pour tous ceux qui se sentent concernés par ce sujet.
Il intéressera un très vaste public.
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1. Gwenola Joly-Coz, magistrate, est actuellement première présidente de la cour d'appel de Poitiers. Elle a fondé l'association "Femmes de justice".
2. Sous la présidence de Gwenola Joly-Coz, la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Poitiers a, le 31 janvier 2024, dans plusieurs dossiers analysés au cours d'une même audience, développé, dans la motivation de ses décisions, les éléments de faits conduisant au constat d'un contrôle coercitif de l'auteur sur la victime. Ceci pour favoriser une vision globale de la situation et mieux qualifier les situations analysées (article dans la revue Dalloz ici) (autres commentaires ici ; ici ; ici ; ici ; ici).
Et prise en compte de la notion par d'autres juridictions : lire ici