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Publié par Parolesdejuges

 

La cour criminelle départementale (CCD), et les problématiques qui ont accompagné la création puis la mise en oeuvre de cette nouvelle juridiction, qui juge sans les jurés les crimes punis de 15 et 20 ans de prison auparavant jugés par la cour d'assises avec jurés, ont été de nombreuses fois évoquées sur ce blog (cf. not ici et les renvois).

Depuis la création des CCD, et quand bien même le bilan de l'expérimentation n'a fait apparaître aucune difficulté dans le traitement des affaires par cette juridiction, une pluralité de critiques ont été émises.

Certaines de ces critiques ont récemment été reprises à l'occasion de questions prioritaires de constitutionnalité (sur les QPC lire ici), présentées devant la cour de cassation (son site) avec demande de transmission au Conseil Constitutionnel (son site). Ce que la cour de cassation a accepté.

Sur son site, la cour de cassation résume ainsi (doc. ici) les décisions prises le 20 septembre 2023 :

"Pourquoi la Cour de cassation renvoie-t-elle ces QPC au Conseil constitutionnel ? Ces QPC invoquent la violation d’un principe constitutionnel selon lequel le jugement des affaires criminelles devrait faire intervenir des jurés. Or, cette question est nouvelle, le Conseil constitutionnel n’ayant encore jamais eu l’occasion de dire si un tel principe constitutionnel existe ou non. Ces QPC interrogent par ailleurs la différence de traitement entre les accusés, selon qu’ils sont jugés ou non par des jurés. Or, la question est sérieuse, notamment parce que les règles concernant la détermination de la majorité nécessaire pour prononcer un verdict de culpabilité ou la peine maximale encourue sont différentes selon que les accusés sont jugés par une juridiction comprenant ou non des jurés."

Notons, avant d'aborder le fond, que la première difficulté concernait la recevabilité de telles QPC devant la CCD. En effet, à propos de ces QPC, dont le principe est inséré dans l'article 61-1 de la Constitution (texte ici), il a été précisé dans l'article 23-1 de l'ordonnance sur le Conseil Constitutionnel (texte ici) qu'une QPC ne peut pas être présentée devant une cour d'assises. Mais il n'y a rien sur la CCD, qui n'existait pas quand ce texte a été rédigé. Alors fallait-il raisonner par analogie et considérer que l'esprit du texte étant ne ne pas permettre de retarder le procès criminel, l'interdiction de la QPC devant la cour d'assises devait s'appliquer à la CCD ? La cour de cassation a préféré une analyse littérale du texte et a jugé que : "Aucune exception au principe selon lequel un tel moyen peut être posé devant toute juridiction de jugement relevant de la Cour de cassation n’est prévue pour la cour criminelle départementale." (arrêt ici). Et elle a déclaré les QPC recevables. (1)

Venons en maintenant au fond. Les QPC posées mettent en avant des problématiques qui se résument en deux thèmes. Ces QPC sont énumérées dans les deux décisions du 20 septembre 2023 de la cour de cassation (décision 1 ; décision 2)

- La première question à laquelle devra répondre le Conseil Constitutionnel est celle de l'existence, ou non, d'un principe constitutionnel imposant la participation des jurés dans tout processus judiciaire criminel. Et si la réponse est affirmative, s'il peut y avoir une dérogation pour la CCD.

Dans une décision de 1986 (doc. ici), le Conseil Constitutionnel avait admis que la cour d'assises chargée des affaires de terrorisme ne soit composée que de magistrats professionnels. Il a donc déjà accepté une dérogation à la présence des jurés dans le jugement des affaires criminelles. Mais l'argument à l'origine de cette dérogation, à savoir la particularité et la dangerosité des affaires de terrorisme, ne semble pas pouvoir s'appliquer aisément aux affaires relevant de la CCD, d'autant plus que jusque récemment ces affaires étaient jugées par des cours d'assises comprenant des jurés.

- Une deuxième série de questions concerne l'existence d'une éventuelle inégalité de traitement entre des personnes poursuivies et placées dans des situations pourtant semblables.

La cour de cassation, dans ses deux décisions, retient qu'une telle inégalité existe de fait : parce qu'à la cour d'assises de première instance il doit y avoir une majorité qualifiée de 7 votes sur 9 pour déclarer l'accusé coupable et pour lui infliger la peine maximale, alors que devant la CCD il suffit dans les deux cas d'une majorité simple et en plus de seulement 3 magistrats sur 5 ; parce qu'un même accusé peut se retrouver soit devant la CCD soit devant la cour d'assises sans motif dépendant de sa situation personnelle.

Dans le plus récent article (cf. ici) nous avions déjà mis en avant les différences de traitement susceptibles d'exister entre des personnes poursuivies qui sont pourtant, au départ, dans des situations semblables. Arrêtons nous brièvement sur ce qui est peut-être l'exemple le plus flagrant.

Deux personnes participent ensemble à un viol ou à un vol avec arme, crimes punis de 20 ans de prison (2). Elles relèvent donc de la CCD et vont y comparaître si aucun autre élément n'intervient dans l'orientation du dossier. Mais si un seul des deux est en état de récidive, alors sa comparution devant la CCD n'est plus possible, il doit être jugé par une cour d'assises. Et comme le sort des deux est indissociable, l'autre accusé qui n'est pas en récidive va être jugé par la cour d'assises. Donc il y a des auteurs de viol ou de vol avec arme non récidivistes qui sont jugés par la cour criminelle, et en même temps des auteurs de viol ou de vol avec arme non récidivistes qui sont jugés par la cour d'assises.

Cette situation est-elle acceptable ou constitue-t-elle une inégalité injustifiable ? Le Conseil Constitutionnel rendra sa décision dans quelques semaines.

Notons que la cour de cassation a écarté l'argument relatif à la possession du dossier pendant le délibéré à la CCD. Comme cela a déjà été rappelé ici, le fait que le dossier soit conservé ne change rien au principe du contradictoire (3), que la cour de cassation n'a toutefois pas mentionné alors qu'il est encore plus important et plus générateur de limites que celui de l'oralité des débats qu'elle rappelle. Principe du contradictoire qui interdit, en délibéré, de consulter et de prendre en compte un document du dossier non soumis antérieurement à la contradiction.

Enfin, comme cela a été écrit dans le précédent article (lire ici), l'essentiel n'est peut-être pas là. Les visiteurs qui souhaitent approfondir la problématique des CCD sont invités à se référer aux articles antérieurs.

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1. Dans une affaire les QPC ont été déposées devant une CCD, et dans l'autre affaire portée devant la cour de cassation les QPC ont été déposées à l'occasion d'un pourvoi contre la décision d'une chambre de l'instruction ayant décidé le renvoi d'un accusé devant une CCD.

2. Le viol est puni de 15 ans de prison mais le viol à plusieurs est puni de 20 ans.

3. Le principe du contradictoire figure parmi les principes les plus essentiels de la procédure pénale dès la première phrase de l'article préliminaire du code de procédure pénale (texte ici).

 

 

 

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