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Publié par Parolesdejuges

Cet article a été mis en ligne le 17 avril. Il a été mis à jour et de nouveau publié le 20 avril 2021

 

- Nous avons déjà abordé ici la problématique liée à la création expérimentale des cours criminelles départementales, ces juridictions criminelles sans juré mais avec cinq magistrats, ayant compétence pour juger les auteurs des crimes punis de 15 ou 20 ans de prison, c'est à dire essentiellement les auteurs de viols, secondairement de coups mortels et de vols avec arme (lire ici, ici).

La période d'expérimentation était prévue de mi-2019 à mi-2022. Elle s'est déroulée dans quelques départements uniquement.

Mais récemment le ministre de la justice a présenté un projet de loi (sur lequel nous reviendrons ultérieurement) dans lequel il est décidé la généralisation à toute la France de la cour criminelle départementale.

- Avant d'aborder plus en détails un point crucial au moment de cette généralisation, deux remarques préalables s'imposent, une anecdotique, l'autre plus importante.

En premier lieu, comme de nombreux commentateurs l'ont souligné, parfois avec une certaine férocité (lire. not. ici), il est un peu surprenant que celui qui organise la généralisation des cours criminelles départementales en soit l'un des premiers et des plus farouches opposants.

En second lieu, il est troublant que la généralisation soit décidée avant que soit fait le bilan complet de l'expérimentation, qui devait commencer maintenant.

Mais les deux remarques doivent être liées, et la seconde explique sans doute la première.

En effet, s'il a été estimé qu'il n'y avait pas vraiment besoin de bilan de cette expérimentation, c'est probablement parce que depuis 2019, et jusqu'à ce jour, pas un seul professionnel (magistrat ou avocat) ou justiciable ayant participé à une cour criminelle départementale n'a trouvé une seule critique à formuler contre cette nouvelle juridiction. Il est indiscutable aux yeux de tous ceux qui ont pratiqué les cours criminelles qu'elles apportent aux problématiques qui leur sont soumises des réponses parfaitement appropriées.

Comme nous l'avons déjà souligné dans un précédent article (lire ici), ce qui est essentiel pour les justiciables concernés par un procès criminel, leurs proches, et au-delà la société toute entière, n'est pas qu'une juridiction soit composée de telle ou telle façon, mais que le procès soit conduit de manière adéquate, que chacun y ait tout le temps nécessaire pour s'exprimer, que se déroulent des débats ouverts et contradictoires, et que son issue judiciaire soit adaptée au regard des particularités de l'affaire jugée.

Ou pour le dire autrement, une décision prise par une cour d'assises et qui serait considérée comme parfaitement en phase avec le dossier ne devient pas une décision aberrante si on remplace pour la même affaire et avec la même décision finale la cour d'assises par la cour criminelle.

Sur la base de ces critères, il est logique que cette juridiction, qui fonctionne pour l'instant parfaitement bien, ne soit pas supprimée et soit même généralisée.

Ce qui, à côté, n'enlève rien à la nécessité du débat autour de la place des citoyens dans la justice française. Mais qui est un débat autre que celui autour de la qualité du travail des cours criminelles.

On remarque toutefois, pour s'en étonner encore, que dans l'étude d'impact diffusée par le même ministre de la justice (document accessible ici), il n'est jamais fait la moindre allusion à l'intérêt que peut présenter pour les citoyens jurés la découverte des affaires de viol, alors que depuis de nombreux mois les préoccupations autour des agressions sexuelles, notamment sur les mineurs, sont au coeur de l'actualité française. Est-il indispensable qu'un juré découvre une affaire de meurtre mais inutile qu'il découvre une affaire de viol ? C'est même l'inverse qui aurait dû être retenu. Les jurés devraient en priorité être appelés dans les affaires de viols, celles qui comme citoyens les intéressent prioritairement.

Oui mais....

- Il n'en reste pas moins que, en dehors de cette problématique autour des jurés, si les praticiens des cours criminelles départementales sont pour l'instant satisfaits de leur fonctionnement, des raisons de s'inquiéter qui n'existaient pas au début de l'expérimentation sont en train d'apparaître, et sont source de profondes préoccupations.

La cour criminelle est composée de cinq magistrats. Pour le président et les deux premiers assesseurs magistrats professionnels, c'est exactement comme à la cour d'assises. Il n'y a aucun changement sur les modalités de participation des uns ou des autres.

Mais pour les deux autres assesseurs il en va autrement. Ces assesseurs sont soit des magistrats honoraires (des magistrats à la retraite) (textes ici), soit des magistrats recrutés à titre temporaire qui sont des personnes "âgées d'au moins trente-cinq ans que leur compétence et leur expérience qualifient particulièrement pour exercer ces fonctions." Ces personnes, après un autre parcours professionnel, vont pour la première fois travailler au sein de l'institution judiciaire. (textes ici)

Si le président et les deux premiers assesseurs magistrats touchent déjà leur salaire, il n'en va pas de même des deux autres assesseurs pour lesquels sont engagées des dépenses salariales nouvelles et supplémentaires à chaque fois qu'ils participent à la cour criminelle. Or comme les deux premiers assesseurs sont des magistrats des tribunaux et que ces tribunaux ne peuvent pas en fournir plus de deux sans que cela soit catastrophique pour leur propre fonctionnement, à la cour criminelle il y a toujours deux assesseurs des deux autres catégories.

Le ministère de la justice s'est rendu compte que cela à un coût en termes de finances et de ressources humaines.

Et que cela ne devrait pas s'arranger puisque l'un des arguments présentés lors de la création des cours criminelles étant de faire obstacle à la correctionnalisation de certains dossiers (sur ce mécanisme lire ici) la cour criminelle devrait à moyen et long terme avoir plus de dossiers de viol à juger que n'en aurait eu la cour d'assises. Ce qui multiplie d'autant les dépenses liées aux assesseurs.

En plus, les heures passées à la cour criminelle départementale par les magistrats honoraires ou temporaires sont, quand le nombre de leurs vacations n'est pas augmenté, autant d'heures qu'ils ne consacrent plus à aider les tribunaux. Ce qui peut générer de graves difficultés de fonctionnement pour ces tribunaux.

C'est pourquoi les président des cours criminelles commencent à entendre de plus en plus souvent et de plus en plus fort la demande suivante, qui descend du ministère de la justice aux échelons locaux : "Il y a trop de recours au magistrats honoraires et temporaires, cela coute trop cher, il faut donc pour contenir les dépenses traiter plus d'affaires dans un même temps". A tel point que des présidents de cour criminelle, stupéfaits, se sont vus ici ou là suggérer de faire tenir des affaires sur une seule journée.

Comme si prendre deux journées avant d'envoyer quelqu'un jusque 20 ans en prison était devenu excessif et insupportable.

Pour en revenir à l'étude d'impact précitée, on constate dans le même sens que les seuls critères pris en compte par le ministère de la justice sont les délais et les coûts. L'objectif principal étant leur réduction.

Et c'est là que les inquiétudes se font de plus en plus fortes.

Ceux qui portent cette approche purement financière ne s'intéressent pas du tout à la qualité des procès. Cet aspect n'est tout simplement jamais abordé. Le message est uniquement gestionnaire. Ce qu'attendent les justiciables, le temps minimal nécessaire à un débat approfondi et complet, sont des critères volontairement écartés du débat.

La préoccupation première n'est plus que les prestations de l'institution judiciaires soient de qualité maximale. C'est de réduire les coûts.

C'est cette focalisation sur la quantité, sans aucun égard pour la qualité, qui est inquiétante.

- C'est alors que ces constats viennent sensiblement modifier le débat sur l'opportunité de maintenir les cours criminelles.

En effet, avec les jurés qui découvrent tout de la justice, il est impossible de traiter les affaires à la va-vite. Même si à la cour d'assises il y a parfois du temps inutilement perdu, il n'empêche que c'est le dernier endroit où l'approche purement gestionnaire de la justice ne réussira jamais à prendre le pas sur la qualité de la prestation.

La suppression des jurés à la cour criminelle n'est pas la suite d'une réflexion sur l'importance, ou non, de leur présence dans certaines affaires criminelles. Cette suppression a pour unique raison d'être une réduction des délais et des coûts. La problématique étant exactement la même pour les autres affaires encore traitées par les cours d'assises, on ne voit pas bien, à terme, ce qui pourrait empêcher de tenir le même raisonnement et de privilégier l'approche utilitaire entraînant inéluctablement la suppression des jurés cette fois-ci dans toutes les affaires. Donc de faire juger tous les dossiers par la cour criminelle et de faire définitivement disparaître les jurés.

Pour l'instant, la juridiction criminelle est un peu comme le village d'Astérix. Quand dans tout le reste du pays il n'est plus question que de statistiques, de flux, de coûts, de rationalisation et d'économies, sans aucun égard pour la qualité du travail et le service rendu aux citoyens, elle reste ce dernier et unique lieu protégé et différent, accroché au temps du débat et à la qualité maximale du travail judiciaire.

Les jurés en sont le mur infranchissable.

Mais la cour criminelle et les grignotages insidieux dont elle commence à être l'objet à certains endroits montrent que les défenses autour de ce village ne sont pas aussi solides qu'on pouvait le penser.

Une vigilance renforcée est dorénavant indispensable.

 

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