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Publié par Parolesdejuges

 

- Deux évènements sont à mettre en lien pour appréhender une importante problématique judiciaire, celle de l'exécution des peines et plus particulièrement des longues peines.

Il y a quelques mois, un bref article dans un journal mentionnait l'étonnement et l'incompréhension de la famille d'une personne tuée, à cause de la date de sortie de prison de l'auteur du meurtre, très antérieure à la date théorique de sa fin de peine au regard de la peine prononcée par la cour d'assises. L'auteur du crime avait bénéficié notamment d'une libération conditionnelle.

Ces jours-ci, le ministère de la justice a fait connaître son projet de supprimer le système des crédits de réduction de peine automatiques, pour le remplacer par le système ancien d'octroi des réductions au mérite.

Ces deux mécanismes sont à mettre en lien parce que tous les deux impactent considérablement la peine de prison réellement effectuée. C'est pourquoi il s'agira aujourd'hui de s'interroger sur la différence parfois considérable entre la peine de prison prononcée et la peine de prison réellement effectuée.

Nous partirons d'un exemple pour la clarté de la discussion.

- Une personne a commis un crime puni de 20 ans de prison et comparaît devant la cour d'assises. Au cours d'un délibéré approfondi et minutieux, après avoir analysé la gravité de l'infraction commise et la personnalité de l'auteur, magistrats et jurés retiennent que les faits sont très graves mais que la personnalité et le parcours de l'auteur permettent de faire preuve d'une certaine bienveillance à son égard. Allant au maximum de cette bienveillance, juges et jurés décident de limiter la peine à 12 années de prison. Tout en considérant, c'est le point essentiel, qu'il s'agit là du minimum en dessous duquel il serait déraisonnable de descendre et qu'une peine inférieure serait inacceptable au regard des éléments de l'affaire.

- Dans le système actuel, tout condamné bénéficie automatiquement et sans aucune demande de sa part d'un crédit de réduction de peine (textes ici).

Cette réduction de peine est de 3 mois la première année, et de 2 mois les années suivantes. Le condamné à 12 ans de prison bénéficie donc automatiquement et immédiatement d'une réduction de peine de 25 mois, soit un peu plus de 2 années. A peine prononcée par le président de la cour d'assises, la peine de 12 ans devient une peine de 10 ans de prison (1).

Le condamné, s'il se comporte bien et fait des efforts en détention, peut bénéficier de réductions supplémentaires de peine. A hauteur de 3 mois par année de prison. Si dans notre exemple le condamné en bénéficie quatre fois, sa peine à effectuer est réduite d'une année supplémentaire et devient donc 9 ans.

- A côté il existe le mécanisme de la libération conditionnelle (textes ici).

Sur sa demande et sur décision judiciaire, et si les conditions prévues par la loi sont réunies, un condamné peut bénéficier d'une libération conditionnelle et donc sortir de prison avant la fin de peine.

Ce droit apparaît quand le condamné est à mi-peine, la peine de référence étant celle qui reste à effectuer après déduction des crédits de réduction de peine automatiques et supplémentaires.

Cela veut dire dans notre exemple que la peine à subir étant de 9 ans, la libération conditionnelle peut être envisagée après que le condamné ait effectué la moitié soit 4,5 ans de prison.

Donc en droit pénal français actuel, en théorie et dans la meilleure des situations, un criminel poursuivi pour avoir commis un crime puni de 20 ans de prison, et qui est condamné par la cour d'assises à 12 ans de prison, peut sortir après 4,5 ans de détention.

D'importantes nuances doivent être apportées à ce qui précède. En effet l'octroi d'une libération conditionnelle à mi-peine ne concerne qu'une minorité des condamnés et n'est aucunement systématique. D'autre part, pour certains crimes il existe une période de sûreté qui a priori ne peut pas être grignotée par les réductions de peine ou la libération conditionnelle. Mais même cette période de sûreté peut être réduite dans certains cas.

Il n'empêche que de nombreuses peines sont fortement amputées au moment de leur mise à exécution.

Il est dès lors impossible d'échapper au débat ancien et récurrent autour de la légitimité d'une aussi importante différence entre peine de prison prononcée et peine de prison effectuée. Ce qui rend nécessaire de s'arrêter brièvement sur quelques points importants du débat.

- Qu'elles soient automatiques ou à l'inverse au mérite, les réductions de peine pour bonne conduite peuvent se comprendre dans le principe. C'est un bonus pour les condamnés qui font l'effort de se comporter correctement en prison. Ce qui interroge, c'est leur ampleur en terme de réduction maximale de la peine prononcée.

- Tous les professionnels sont d'accord sur un point : une sortie contrôlée réduit le risque de récidive par rapport à une sortie sans accompagnement. C'est pourquoi l'intérêt de la libération conditionnelle est incontestable. C'est sa durée qui est discutable.

La libération conditionnelle est présentée comme une mesure qui "tend à la réinsertion des condamnés et à la prévention de la récidive" (texte ici).

Pendant la durée d'épreuve, le condamné libéré va être suivi par le juge d'application des peines (JAP) et avoir comme interlocuteur un travailleur social du ministère de la justice qui va l'accompagner, l'assister, et avant tout vérifier qu'il respecte les obligations imposées par la décision de condamnation, par la loi, et par le JAP (2). Lorsque le condamné libéré se comporte bien, les rencontres avec le travailleur social peuvent être peu fréquentes.

Mais quand un condamné sort de prison, il va bien plus encore être accompagné et assisté par les nombreux services sociaux qui existent en France (aide au logement, aide au retour à l'emploi et à la formation professionnelle, aide médicale et psychologique, aide financière etc..). Ce sont ces services qui vont être les principaux acteurs de sa réinsertion, pas le service d'application des peines.

Et s'il est judicieux que l'administration pénitentiaire fasse le lien et le passage de relai entre ce qui a été fait pendant la détention et ce qui peut être fait à l'extérieur, ce relai n'a pas vocation à être de très longue durée.

De fait, parce que tous ces services existent et parce que ce n'est pas sa mission première, il n'appartient pas à la justice d'aider un condamné à se réinsérer pendant plusieurs années après sa sortie de prison.

Ou pour le dire autrement, et en partant encore d'un exemple concret, quand une personne est condamnée à 20 ans de prison, cela n'a pas de sens de prévoir que la justice va avoir pour mission de l'aider à se réinsérer pendant 10 ans, après sa sortie de prison à mi-peine.

Ce qui fait dire à de nombreux observateurs, non sans raison, que la libération conditionnelle sur une longue durée est pour partie un biais utilisé pour réduire le nombre de personnes emprisonnées.

Et, au-delà, qu'il n'existe aucun argument convainquant pour justifier que soit abandonnée au bénéfice du condamné plus de la moitié de la peine prononcée par la juridiction de jugement.

- Pour ce qui concerne les réactions de la victime, ou des proches de la victime en cas de décès, ce point du débat ne peut pas être écarté d'un revers de manche.

En effet, la vraie mesure de la gravité et de la sanction de l'infraction, c'est plus la peine réellement effectuée que la peine prononcée.

Il est trop facile de mettre en avant une volonté hargneuse de la victime de voir le criminel emprisonné le plus longtemps possible pour tenter d'empêcher le débat sur l'effectivité des peines prononcées. Toutes les victimes ne sont pas dans une démarche de haine vis à vis du criminel. Mais les victimes mesurent, à travers la peine réellement effectuée et non à travers la peine prononcée, la vision que la justice a de la peine minimale à exécuter au regard de la gravité des faits.

Pour masquer la difficulté, il est souvent répondu à ces victimes que la libération conditionnelle est une modalité d'exécution de peine et non une fin de peine. Cela est exact sur le papier et le condamné peut retourner en prison en cas de défaillance. Mais il n'empêche que le condamné en libération conditionnelle, au quotidien, vit dans son logement, va éventuellement travailler, rencontre les membres de sa famille si le contact a été maintenu, et peut aller aussi souvent qu'il veut boire un verre avec ses connaissances. Aucune personne qui croise en ville un condamné en libération conditionnelle ne peut deviner quelle est sa situation pénale.

Et ce qui préoccupe les criminels, c'est plus le temps passé réellement en prison que la peine initialement prononcée.

- Ce qui fait l'essentiel de la problématique, c'est que tout ce qui précède est mis en place au mépris de la condamnation prononcée, et de ceux qui ont choisi la sanction en leur âme et conscience.

Pour reprendre notre exemple, si l'on réunissait et informait les jurés qui ont condamné l'accusé à 12 années de prison en considérant que déjà cette peine était bienveillante au regard du crime commis, la plupart d'entre eux trouveraient probablement inadmissible que la peine de 12 ans murement réfléchie et choisie par eux se concrétise au bout du compte par 4,5 années de prison suivies d'une remise en liberté.

Ce mépris pour les jurés (secondairement les magistrats) est d'autant plus déroutant que certaines personnes répètent inlassablement que les jurés sont l'émanation du peuple et que leur présence est au coeur du processus judiciaire. Jurés dont pourtant les décisions ne sont nullement respectées.

Au-delà, ce sont ces mécanismes qui expliquent que pour beaucoup de personnes le système légal actuel est incompréhensible et injustifiable. Et par voie de conséquence inacceptable.

- La réflexion à ouvrir n'est pas principalement autour des crédits de réduction de peine comme l'envisage le ministère de la justice. Qu'ils soient automatiquement octroyés et éventuellement enlevés, ou éventuellement octroyés, ne changera pas grand chose, le principal effet à venir de la réforme étant de considérablement et inutilement surcharger les juges d'application des peines qui déjà croulent sous le nombre de leurs dossiers.

Ce semblant de réforme n'est que l'arbre qui cache la forêt.

Le débat doit repartir du sens de la peine prononcée, de son effectivité concrète, et se focaliser principalement sur l'ampleur maximale de réduction de cette peine, afin que cette peine prononcée garde un minimum de sens et que le processus de sa mise à exécution soit compris et accepté par tout le monde.

Tout en conservant dans leur principe les réductions de peine et la libération conditionnelle.

Il pourrait être posé comme principe qu'une condamnation prononcée ne peut pas être réduite, tous mécanismes de réduction confondus, de plus d'un tiers.

La certitude d'une exécution de la peine aux deux-tiers permettrait de supprimer des délibérés les permanents phénomènes parasites résultant du mécanisme d'exécution des peines (3), et de favoriser le prononcé de peines moins longues parce que leur exécution serait mieux garantie.

La distorsion excessive entre peine prononcée et peine effectuée disparaitrait, et les mécanismes nouveaux écarteraient définitivement toutes les critiques justifiées découlant du cadre juridique actuel (4).

Cela permettrait, secondairement, de mettre fin à la contradiction permanente qui consiste à demander à la justice de faire preuve d'une grande sévérité, tout en organisant pour les condamnés une sortie de prison aussi rapide que possible.

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1. Les textes prévoient aussi les cas dans lesquels ces réductions de peine peuvent être supprimées. Mais ce n'est pas le sujet de cet article.

2. Par exemple ne pas se rendre dans tel lieu, indemniser les victimes, rechercher un emploi, rencontrer des spécialistes pour des soins.

3. Pendant les délibérés, quand arrive le débat sur la peine, les jurés demandent toujours ce que va devenir la peine qu'ils envisagent de choisir. Et ils sont stupéfaits quand le président leur explique les règles juridiques précitées. Il n'est pas douteux qu'un grand nombre d'entre eux augmentent la peine pour contrebalancer ces mécanismes de réduction qu'ils considèrent beaucoup trop importants. En le disant clairement et parfois de façon très critique.

4. C'est pour des raisons semblables, autour de l'effectivité de la peine prononcée, que dans l'importante loi de 2019 relative aux peines le législateur a décidé de réduire de 2 ans à 1 an de prison les peines aménageables. Auparavant, quand le tribunal correctionnel estimait les faits commis d'une telle gravité qu'ils justifiaient 2 années de prison, la personne condamnée pouvait malgré cela ne passer aucune journée en prison si cette peine était transformée en autre chose.

 

 

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H
Parfaitement éclairant. Comme toujours. Quel bonheur de disposer de ce blog. Un grand merci....
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