Vers un modèle réduit de cour d'assises ?
Par Michel Huyette
Le gouvernement a initié une énième réforme de la procédure pénale (texte initial ici), qui comprend, notamment, plusieurs modifications des règles applicables à la cour d'assises (cf. ici, et ici). (1)
Plus précisément, le texte prévoit que les crimes punis de 15 ou 20 ans de réclusion criminelle et qui ne sont pas commis en récidive (c'est à dire par une personne ayant déjà été condamnée) pourront être jugés par une cour d'assises réduite, composée de 3 magistrats professionnels, comme aujourd'hui, et, c'est l'innovation, de 2 citoyens assesseurs qui ne sont plus qualifiés "jurés". Le texte précise que le renvoi devant la cour d'assises ordinaire (3 juges et 9 jurés) restera possible si l'accusé le demande à la fin de l'instruction, ou sera de droit si le procureur de la République a requis le renvoi pour un crime puni de plus de 20 ans de prison ou commis en récidive (le juge d'instruction ayant fait une analyse juridique différente du dossier).
Les crimes sont les infractions considérées comme les plus graves (par distinction avec les délits et les contraventions), et les peines encourues sont de 15 années de prison et plus (2).
Pour ce qui concerne les crimes les plus souvent jugés par les cours d'assises, les peines encourures sont :
- la réclusion criminelle à perpétuité pour les meurtres aggravés (meurtre commis avec autre crime, assassinat c'est à dire meurtre avec préméditation, meurtre sur mineur de 15 ans, sur ascendant, sur conjoint etc..), le vol avec violences ayant entraîné la mort,
- 30 ans de prison pour le meurtre, le viol ayant entraîné la mort de la victime
- 20 ans de prison pour le vol avec arme, les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner sur un mineur de 15 ans, une personne vulnérable, un ascendant, un conjoint etc.., le viol avec circonstance aggravante (sur mineur de 15 ans, sur personne vulnérable, par ascendant, par plusieurs personnes, avec arme, par conjoint etc)
- 15 ans de prison pour les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, les violences ayant entraîné une mutilation ou infirmité sur un mineur de 15 ans, une persone vulnérable, un conjoint etc.., le viol sans circonstance aggravante.
La nouvelle règle semble donc susceptible de faire basculer vers la cour d'assises simplifiée quasiment tous les viols, les vols avec arme, et les violences aggravées. Or on sait que les viols, à eux seuls, sont à l'origine de près de la moitié de l'activité des cours d'assises. Plus précisément, en 2009 les condamnations pour viol représentaient 50,8 % des condamnations pour crime et les vols aggravés 18,3 % (cf. ici). Ce sont donc près de 70 % des affaires jugées par les cours d'assises qui pourraient entrer dans le champ de compétence de la cour d'assises réduite.
Ceci appelle plusieurs commentaires.
Le projet de loi prévoit par ailleurs la participation de citoyens assesseurs au jugement de certains délits (cela sera abordé ultérieurement, et cf. ici). Il y est indiqué que le tribunal correctionnel sera alors composé de 3 magistrats professionnels et de 2 citoyens assesseurs. C'est donc la même composition que celle de la cour d'assises réduite.
Ce qui surprend, c'est qu'il est indiqué dans l'exposé des motifs du projet de loi que la création d'une cour d'assises réduite a pour raison d'être "d'éviter la pratique de la correctionnalisation, qui conduisait à renvoyer des procédures avec des qualifications minorées pour de simples contraintes de saturation des rôles des cours d'assises".
Mais alors, puisque le but est de s'assurer que les crimes sont bien jugés par une cour d'assises et ne sont pas artificiellement transformés en délit, comment comprendre que demain on les fasse juger par une formation identique à la formation correctionnelle ? Car, concrètement, en termes de visibilité, quelle différence y aura-t-il entre les 3 juges et les 2 citoyens assesseurs jugeant les délits et les 3 juges et les 2 citoyens assesseurs jugeant certains crimes ?
Par ailleurs, la question se pose de la perception des crimes orientés vers la cour d'assises simplifiée. Faire juger les viols par 5 personnes et non plus par 12, et par une juridiction identique à la juridiction correctionnelle, n'est-ce pas une façon de considérer que finalement les viols ne sont pas des infractions très graves puis qu'ils seront jugés demain comme certains vols ou certaines agressions ?
Alors qu'à la cour d'assises ordinaire il existe un mécanisme de récusation des jurés (lire ici), ce mécanisme n'est pas conservé pour la cour d'assises réduite. Cela pourrait justifier un examen de cette question par le conseil constitutionnel autour de la notion d'égalité entre les justiciables.
La cour d'assises, c'est jusqu'à présent une juridiction dans laquelle les magistrats professionnels sont très minortaires (3 sur 12 en première instance et 3 sur 15 en appel). Et c'est très bien ainsi, car si l'on veut que les décisions soient réellement l'émanation d'une volonté "populaire", il faut inéluctablement que les représentants du peuple soient majoritaires. Au demeurant, le système est parfaitement rôdé et donne globalement satisfaction (lire ici).
Le projet du gouvernement prévoit une cour d'assises en modèle réduit dans laquelle les citoyens assesseurs sont cette fois-ci minoritaires (2 sur 5). C'est donc une profonde remise en question des caractéristiques fondamentales de la cour d'assises. A tel point que l'on peut se demander si l'appellation "cour d'assises" est encore appropriée, d'autant plus que le terme de "jury" disparaît et qu'il n'existe plus que des assesseurs, ce qui est, au niveau même du vocabulaire, une rétrogradation de la place de ceux-ci.
Une autre interrogation découle de la lecture de l'étude d'impact qui accompagne le projet de loi (texte ici). On y lit page 52 : "Le temps d’audience des affaires passant devant la cour d’assises simplifiée devrait être réduit (une journée contre deux jours en moyenne pour un procès d’assises avec un jury complet)".
Cela laisse perplexe, c'est peu dire. En effet, de quoi dépend la durée d'une audience en cours d'assises ? Essentiellement du nombre de témoins et d'experts cités par le ministère public et la défense, bref du nombre de personnes à entendre. Autrement dit, la durée des audiences ne dépend en rien de la composition de la juridiction. Considérer que, quand pour une affaire audiencée devant la cour d'assises actuelle il faut aujourd'hui deux journées pleines pour l'appréhender et la juger, il suffira demain d'une seule journée avec le même dossier et les mêmes auditions, est pour le moins incompréhensible. Et réduire ainsi les délais est tout simplement impossible.
Les rédacteurs ont-ils prévu, en même temps qu'une cour d'assises réduite dans sa composition, une qualité des débats réduite d'autant ? Le but non mentionné dans l'exposé des motifs du projet de loi est-il de faire juger plus vite les affaires, au risque de diminuer considérablement la qualité des débats ?
Cela serait d'autant plus aberrant que les affaires de viol, notamment, sont souvent des affaires compliquées et qui nécessitent d'entendre de nombreuses personnes, en clair de prendre du temps pour étudier sereinement et complètement chaque aspect de l'affaire. Et dès qu'au moins un non professionnel (juré ou citoyen assesseur ce qui de fait est exactement la même chose) intervient, il faut prévoir un temps supplémentaire pour lui/leur permettre de comprendre le déroulement d'un affaire et d'aborder progressivement toutes ses composantes.
L'affirmation contenue dans l'étude d'impact est donc particulièrement préoccupante en ce qu'il y est écrit, et ce qu'elle pourrait suggérer, quant à l'état d'esprit des rédacteurs du projet de loi.
Un autre aspect de la problématique est celui des moyens. En effet, il va falloir indemniser les très nombreux citoyens assesseurs qu'il est prévu de faire siéger en correctionnelle.
Il est possible de se demander d'abord si, alors que la justice manque déjà cruellement de moyens faute des financements adéquats (cf. ce qui a été dit après l'affaire "de Pornic, lire ici), il est judicieux d'engager de nouvelles dépenses plutôt que de prévoir la mise à niveau des moyens actuels toujours insuffisants. De réelles améliorations de l'existant sont autrement plus urgentes, comme le renforcement des services de l'application des peines.
Par ailleurs, puisque les budgets des services publics sont de plus en plus limités, on se demande si la création d'un modèle réduit de cour d'assises avec seulement deux citoyens assesseurs et non plus 9 jurés n'est pas un moyen, indirect, de réduire le budget des cours d'assises et de permettre en tout ou partie le financement des citoyens assesseurs.
Autrement dit, vouloir faire juger certains crimes par une juridiction proche de la correctionnelle n'aurait pas une raison d'être théorique noble et convaincante, mais serait un choix contraint, en clair serait une altération du système existant pour une simple raison d'argent, de fait un moyen envisagé uniquement pour pouvoir procéder à un transfert de charges.
Le fait que personne jusqu'à présent, ni les praticiens de la cour d'assises toutes catégories confondues, ni les professionnels du droit, ni les associations de toutes sortes et notamment les associations de victimes, ni les parlementaires n'aient envisagé de créer un modèle réduit de cour d'assises va dans ce sens.
On relèvera aussi que le fait de rendre les citoyens assesseurs minoritaires dans une fausse cour d'assises va à l'encontre de l'objectif mis en avant pour expliquer l'introduction des citoyens assesseurs dans les tribunaux correctionnels, à savoir contrebalancer une supposée trop grande mansuétude des magistrats professionnels (qui n'est aucunement une réalité comme le montrent toutes les statistiques pénales).
Une dernière remarque s'impose.
Comme cela est écrit en tout début du projet de loi, celui a été déposé au Parlement en vue d'être traité selon la procédure "accélérée". Il est pourtant évident qu'il n'existe aucune raison imposant de modifier le plus vite possible notre procédure pénale.
Cela veut-il dire qu'une fois encore, comme on l'a déjà vu trop souvent et comme certains parlementaires eux-mêmes l'ont dénoncé, le projet qui est susceptible d'entraîner des modifications considérables de notre architecture pénale et dont l'opportunité peut être discutée va devoir être examiné à la va-vite sans que soit garanti le temps d'un débat approfondi, serein, intelligent, quel qu'en soit la conclusion ? La justice des français mérite sans doute mieux que cela.
Il faudra donc suivre attentivement le devenir de ce projet de loi et les arguments développés à propos de chacune des modifications précitées.
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1. Pour une étude complète du projet de réforme, vous pouvez prendre connaissance de l'argumentaire de l'Union syndicale des Magistrats (USM) : texte ici
2. Etant précisé que les peines qualifiées de criminelles commencent à 10 années de prison (textes ici).