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Publié par Parolesdejuges

 

Dans la salle la sonnette vient de retentir. Chacun se fige après une attente jugée trop longue. Le silence est à cet instant impressionnant.

Les membres de la cour d’assises, juges et jurés, s’installent à leur place. Le président oriente son micro vers lui et annonce que l’audience est reprise.

Puis il regarde l’écran de son ordinateur et dit : « A la question n°1 sur la culpabilité [1] la cour d’assises a répondu non, en conséquence de quoi l’accusé est acquitté ».

L’accusé serre la main de ses avocats et, si le procès a été médiatisé, ceux-ci vont rapidement retrouver les journalistes, se poussent un peu pour être bien en face de la caméra, et disent : « C’est un grand succès, personne n’a cru que notre client a fait ce qui lui était reproché, et logiquement la cour et les jurés ont reconnu qu’il n’a commis aucun crime. »

Certes l’accusé n’a pas été déclaré coupable. Mais derrière une apparence simplicité de la décision, c’est plus compliqué que cela.

Les règles de prise de décision à la cour d’assises

Nous avons déjà expliqué dans un précédent article les modalités de prise de décision à la cour d’assises, et le lecteur est invité à s’y reporter (article ici).

Nous rappellerons qu’en première instance la cour d’assises est composée de 9 personnes, soit 3 magistrats et 6 jurés, et que pour qu’un accusé soit déclaré coupable il faut que 7 personnes au moins votent « oui » à la question sur la culpabilité [2], soit un peu plus des deux tiers. En appel, la cour d’assises est composée de 12 personnes, 3 magistrats et 9 jurés, et 8 au moins doivent voter « oui » pour que l’accusé soit déclaré coupable, soit les deux tiers [3].

Cela a pour conséquence, en première instance, que quand 6 personnes sur 9 votent oui à la question sur la culpabilité et que 3 personnes votent non, la décision annoncée par le président est une non-culpabilité. Alors pourtant que les deux-tiers des membres de la cour d’assises sont convaincus que l’accusé est coupable. Et ce sera la même décision si, à l’inverse, 2 votent pour la culpabilité et 7 pour la non-culpabilité.

Si dans le deuxième cas (2 pour et 7 contre la culpabilité) il n’est pas aberrant de dire que « la cour d’assises » a estimé que l’accusé n’a pas commis de crime, cela est bien différent quand les deux-tiers (6 sur 9) ont voté oui. Dans ce cas il n’est plus exact, au regard des votes, de dire que « la cour d’assises », sous-entendu dans sa totalité, l’a estimé non-coupable. Le résultat est juridiquement exact. Mais cela ne correspond pas du tout à la répartition des votes. Pourtant, en présence d’une telle phrase, tout le monde peut penser, ou prétendre, que tous les juges et tous les jurés ont voté non.

Le contenu de la feuille de questions

Le président de la cour d’assises doit, pendant le délibéré et à la suite des votes, remplir un document intitulé « Feuille de questions » qui comporte deux colonnes : dans celle de gauche figurent la ou les questions posées [4], et dans celle de droite les réponses. Ce document est après le procès accessible à tous les protagonistes.

Le code de procédure pénale impose les modalités de rédaction des réponses à droite. Il n’existe que deux possibilités dans notre cadre juridique actuel.

En première instance, s’il y a 7, 8 ou 9 votes « oui » sur la culpabilité, donc quand l’accusé est reconnu coupable, il est toujours écrit à droite en face de la question « X…est-il coupable de… » : « Oui à la majorité de 7 voix au moins ». L’accusé est alors déclaré coupable. Et s’il y a 6 « oui », ou moins, il sera seulement écrit : « non ». Et l’accusé est déclaré acquitté.

Il est donc interdit de faire apparaître le nombre exact de votes dans un sens (oui) ou dans l’autre (non).

En conséquence, s’il est écrit « non » à droite sur la feuille de questions, personne ne saura si sur la culpabilité il y a eu par exemple 2 votes « oui » et 7 « non »,  ou 6 votes « oui » et 3 « non ».

Les raisons du secret sur la répartition des votes

En droit français, personne en dehors des membres de la cour d’assises ne connait la répartition exacte des votes. Et le secret du délibéré est absolu. Ce secret interdit sous peine de sanction à un membre de la juridiction de dire à un tiers comment les votes ont été répartis, et encore moins qui a voté quoi.

Cela n’est pas propre à la cour d’assises. Cette règle du secret du délibéré s’applique à toutes les juridictions françaises, sans aucune exception.

Deux raisons principales sont mises en avant pour justifier un tel secret.

La première raison est la sécurité physique des membres de la juridiction.

Les noms et prénoms de tous les jurés tirés au sort et leurs métiers figurent dans les documents judiciaires accessibles aux accusés [5]. Certes il n’y a pas leur adresse mais leurs lieux d’habitation ou de travail pourraient être parfois découverts sur internet à partir de leur identité ou de leur activité professionnelle.

Dès lors, si l’on suppose qu’un accusé peut en théorie en vouloir à ceux qui l’ont déclaré coupable, le secret du délibéré et l’absence d’indication des votes sont prévus pour qu’il ne sache pas qui a voté comment. Toutefois, en cas d’indication de la répartition des votes, le risque n’existerait réellement que s’il était annoncé que tout le monde a voté oui. A l’inverse, dès que qu’une seule personne a voté non, personne ne peut savoir qui a voté quoi.

Mais cet argument a quelques limites.

Au sein de l’institution judiciaire française, de nombreux magistrats prennent des décisions seuls, et donc il n’y a aucun de secret sur qui a décidé quoi. Parmi eux se trouvent au pénal les juges d’instruction, les juges des libertés et de la détention, les magistrats qui jugent seuls à l’audience (appelés « juge unique ») (textes ici) [6], et parfois le président de la chambre de l’instruction.

Certes, les actes d’intimidation vis-à-vis des magistrats sont plus nombreux aujourd’hui que par le passé, mais ils restent rares (cf. not. ici ; ici ; ici ). Et de tels comportements contre les jurés sont quasiment inexistants (cf. ici).

Au-delà, il existe des pays dans lesquels des décisions pénales doivent être prises à l’unanimité des jurés, dont les personnes condamnées connaissent les identités (cf. ici). Et il ne semble pas que cela place ces jurés dans une situation de particulière dangerosité.

La seconde raison, plus importante, est que les jurés se sentent plus libres de s’exprimer en sachant que personne, en dehors des membres de la cour d’assises, ne saura jamais ce qu’ils ont dit et voté. Et pas uniquement par peur de l’accusé. Cette confidentialité les rassure et les encourage à parler.

Sur les limites du secret du délibéré, il faut noter que la Cour de cassation a récemment entamé une réflexion sur l’opportunité d’admettre et de publier les opinions minoritaires séparées c’est-à-dire celles de magistrats qui n’approuvent pas la décision majoritairement retenue (cf. ici). Même si l’anonymat de l’auteur de l’opinion divergente est une piste envisagée, cela est une atteinte au secret du délibéré puisqu’il sera connu qu’au moins une personne n’approuve pas la solution annoncée.

En dehors de nos frontières, à la Cour européenne des droits de l’homme (son site) chaque décision rendue est accompagnée de l’indication du nombre de juges qui ont voté pour et du nombre de ceux qui ont voté contre. Et certaines décisions sont publiées avec des opinions minoritaires comportant le nom des signataires. Ici encore le secret du délibéré est réduit.

Quoi qu’il en soit, notre système actuel conduit à quelques interrogations.

L’analyse de la décision et ses conséquences

Rappelons-le, quand en première instance le président de la cour d’assises indique que la réponse à la question sur la culpabilité est « non », il y a peut-être eu 6 votes « oui » et 3 votes « non ».

Connaître le résultat exact des votes serait une information importante pour tous les participants au procès.

Cela peut-être un paramètre essentiel pour le ministère public au moment d’apprécier l’opportunité de faire appel d’une décision d’acquittement. Sa décision peut être différente s’il sait qu’il y a eu 2 « oui » et 7 « non » (il hésitera beaucoup à faire appel) ou 6 « oui » et 3 « non » (il sera tenté de faire appel). Mais aujourd’hui il n’en sait rien.

Dans le cas particulier d’une personne ayant porté plainte pour viol, profondément déçue par la décision d’acquittement si le viol a bien eu lieu, cela peut avoir un impact psychologique très important de savoir si elle a été crue par les seules 2 personnes qui ont voté « oui », oui si elle a été crue par 6 personnes [7] en première instance ou 7 personnes en appel, soit à chaque fois une majorité de la cour d’assises. Le choc de l’acquittement peut être en partie atténué par la connaissance de la répartition des votes.

Pour l’accusé cela est aussi important. Celui qui est déclaré acquitté mais qui entend que 6 personnes l’ont estimé coupable peut se dire qu’il a échappé de peu à une sanction et être plus raisonnable à l’avenir. Alors que celui qui ignore qui a voté quoi peut penser que tout le monde a voté non, peut se sentir protégé par une totale impunité, et être par ricochet encouragé à poursuivre son activité criminelle.

Par ailleurs, même si cela n’est pas l’essentiel, il n’est pas anodin pour les enquêteurs de savoir comment leur travail a été analysé par la juridiction criminelle. Et la réponse leur est apportée en partie par la répartition des votes.

Au-delà, l’annonce de cette répartition est un élément d’analyse de la décision pour les médias et tous les citoyens qui s’intéressent à une affaire.

La motivation de la décision

A la cour d’assises, une fois le délibéré terminé, le président doit rédiger la motivation de la décision. (texte ici)

Dans tous les domaines du droit, la motivation d’une décision de justice a pour but de faire savoir comment la juridiction a analysé les faits, quels arguments elle a retenus et lesquels elle a écartés, et de mettre à disposition des intéressés et au-delà de tous les citoyens le raisonnement qui a conduit à la décision prise [8]. Pour le dire à l’envers, la motivation de la décision a pour objet d’éviter qu’elle soit mal interprétée. C’est pour cela que la décision doit a priori être le reflet fidèle de ce qui s’est discuté en délibéré.

Cela ne pose habituellement pas de difficulté majeure puisque la décision est, par définition, l’opinion d’une majorité des membres de la juridiction. Au pénal, en correctionnelle en première instance ou en appel [9], ou à la chambre de l’instruction, la décision est celle d’au moins deux juges sur les trois qui composent la juridiction. A la cour criminelle départementale, elle est celle d’au moins 3 des 5 juges qui la composent.

Mais encore une fois, la particularité de la cour d’assises est que la décision d’acquittement annoncée a pu être choisie par une minorité seulement des membres de la juridiction, surtout en première instance. D’où cette délicate question : comment le président doit-il rédiger la motivation de l’acquittement annoncé quand à la question sur la culpabilité de l’accusé 6 personnes ont répondu « oui » et 3 personnes ont répondu « non » ?

Il peut choisir une motivation minimale en indiquant très succinctement que « la cour d’assises » a estimé que les éléments débattus n’ont pas permis de retenir la culpabilité de l’accusé. Mais comme mentionné plus haut cela peut faire penser, et certains seront tentés de le faire croire, que ce sont tous les membres de la cour d’assises qui ont voté « non ». Ce qui est le contraire de la réalité.

Il peut énumérer les éléments à charge qui ont conduit la majorité des deux-tiers à voter oui. Mais dans une telle hypothèse, comment doit-il conclure pour aboutir à une déclaration de non-culpabilité ? Doit-il ajouter que ces éléments ne sont pas suffisants ? Peut-il écrire après cette liste de charges que les modalités de vote conduisent à ne pas retenir la culpabilité de l’accusé ?

Le débat est ouvert.

Conclusion

Après une longue période sans aucune obligation, la loi a imposé la motivation des décisions de la cour d’assises sur la culpabilité, puis leur motivation sur la peine. Ceci afin de favoriser la transparence, la clarté, et la bonne compréhension des décisions rendues.

Cela fonctionne bien quand l’accusé est déclaré coupable puisqu’en première instance comme en appel cela a été inéluctablement le choix d’une large majorité des membres de la cour d’assises. Il ne peut alors y avoir aucun doute sur la répartition essentielle des votes.

Il en va différemment en cas d’acquittement. Et l’enjeu est encore plus aigu depuis le passage en première instance de la majorité sur la culpabilité de 6 à 7 sur 9. La méconnaissance de la répartition des votes, quand les deux tiers de la cour d’assises ont voté pour la culpabilité mais qu’un acquittement est prononcé, ouvre la porte à une mauvaise interprétation de la décision et à toutes les manipulations dans les discours.

Seule l’indication de la répartition des votes est de nature à supprimer tous les effets dommageables de son absence. En ayant en tête que seule l’annonce d’une unanimité des votes, dans un sens ou dans un autre [10], permet de savoir qui a voté quoi, toutes les autres hypothèses ne portant aucune atteinte au secret du vote de chacun ni à la sécurité des membres de la juridiction.

Le débat est ouvert sur ce qu’il est souhaitable de faire. Les avantages d’une indication des votes doivent être comparés à leurs inconvénients.

Mais ce qui est certain c’est que le système actuel n’est pas pleinement satisfaisant puisqu’il est un obstacle majeur à la clarté et à la bonne compréhension de certaines décisions des juridictions criminelles.

Seuls les accusés et leurs conseils se réjouissent de notre cadre juridique actuel. Ils peuvent continuer à proclamer, après chaque décision d’acquittement et quelle que soit la répartition réelle des votes, que personne à la cour d’assises n’a cru à leur culpabilité. Quand bien même cela est parfois à l’opposé de la réalité.

Quoi qu’il en soit, tous ceux qui entendent ou lisent qu’une juridiction criminelle a acquitté un accusé doivent savoir ce qui se cache parfois derrière cette affirmation.

 

[1] Plus exactement le président lit une question qui mentionne le crime pour lequel l’accusé est poursuivi, et qui commence par « X .. est-il coupable d’avoir…. ». Puis il annonce la réponse qui est en face.

[2] Comme nous l’avons indiqué dans le précédent article, depuis très longtemps il fallait en première instance que 6 personnes sur 9 votent oui pour que l'accusé soit déclaré coupable. Mais en 2021 un avocat devenu ministre de la justice a voulu rendre plus difficile la condamnation des criminels et a souhaité que certains d'eux, qui auparavant auraient été condamnés, échappent dorénavant à la sanction. Pour cela, et sans aucune demande de quiconque, il a fait discrètement passer la majorité requise pour les déclarer coupables de 6 à 7.

[3] Ce maintien d’une majorité des deux tiers en appel rend sans justificatif autre que d’aider des criminels à échapper à la sanction la modification de la même majorité des deux tiers qui existait auparavant en première instance.

[4] Il y a une ou plusieurs questions sur la culpabilité selon qu’il est reproché une ou plusieurs infractions à l’accusé, souvent des questions sur les circonstances aggravantes, parfois une question sur le discernement au moment des faits.

[5] Les accusés ont accès à la liste de tous les jurés à partir de laquelle sont tirés au sort les jurés de chaque affaire en début de procès.  Et sur le procès-verbal des débats de chaque affaire rédigé par le greffier, auquel ils peuvent accéder, il y a la liste des noms des jurés tirés au sort.

[6] Au civil aussi des juges prennent des décisions qui parfois mettent très en colère les justiciables, notamment les juges des enfants et les juges aux affaires familiales. Qui pourtant prennent leurs décisions seuls.

[7] Les viols sont maintenant de la compétence des cours criminelles départementales en première instance (cf. les nombreux articles déjà publiés sur cette juridiction), mais quelques-uns sont encore jugés par la cour d’assises notamment quand l’accusé est juridiquement en état de récidive (parce qu’il a déjà été condamné pour crime ou pour un délit puni de 10 ans de prison).

[8] Depuis plusieurs années la Cour de cassation, toutes chambres confondues, a mis en œuvre une très importante évolution de la motivation de ses décisions, ceci afin de les rendre le plus compréhensible possible par tout le monde, et pas seulement les justiciables concernés.

[9] Hors les cas de juge unique mentionnés plus haut.

[10] L’expérience montre qu’il est très rare que tous les membres de la cour d’assises votent « non » à une question sur la culpabilité. Quand un dossier a franchi tous les filtres antérieurs (classement sans suite par le procureur, non-lieu par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction), c’est qu’il existe un minimum de charges sérieuses contre l’accusé. Qui seront jugées suffisantes ou non par la juridiction criminelle.

 

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A
Le soucis qui peut arriver, c'est l'instrumentalisation politique aux torts de la justice, ce qui n'est pas anecdotique vu l'ambiance générale... Imaginons un politique qui se porte partie civile aux assises, et l'accusé est acquitté alors qu'il y a eu 6 votes coupables. Est-ce qu'une médiatisation à outrance du type "c'est un scandale et un déni de justice car la majorité des jurés (5 ou 6) ont estimé qu'il était coupable.<br /> Bon, un politique en partie civile sur un crime, ce n'est pas tous les jours. Par contre, un politique qui instrumentalise le résultat d'un procès aux assises, on va en avoir... Et bien que la justice ne devrait pas, à mon humble avis, être soumis à cette pression, la population dans son ensemble, avec une connaissance limitée du fonctionnement, pourrait être biaisée dans son analyse...<br /> Quel est votre avis sur ce point ?
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