Vous serez bientôt tous juges... (à propos de la loi sur les citoyens assesseurs)
Par Michel Huyette
Vient d'être publiée au journal officiel la loi du 10 août 2011 (lire ici) intitulée "Loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs" (1) qui, notamment, prévoit la participation de citoyens assesseurs dans les juridictions correctionnelles.
Résumons succinctement les principales dispositions.
Des citoyens de plus de 23 ans seront tirés au sort sur les listes électorales (comme déjà les jurés des cours d'assises). Ils siègeront au maximum 10 jours par an sans pouvoir être appelés une nouvelle fois pendant un délai de 5 ans. Ils bénéficieront d'une formation (dont les modalités seront ultérieurement précisées par un décret et sont donc à ce jour inconnues).
Par deux, il siègeront aux côtés de trois magistrats professionnels. Les citoyens assesseurs resteront donc minoritaires, ce qui était l'une des exigences du Conseil Constitutionnel. (2)
Les citoyens assesseurs ne seront appelés que pour juger les atteintes à la personne, les violences, les destructions. Le Conseil Constitutionnel (décision ici) a refusé qu'ils jugent les infractions trop techniques exigeant d'importantes connaissances juridiques comme par exemple les infractions à l'environnement. Les citoyens assesseurs ne connaîtront donc pas les autres domaines du droit pénal et notamment les infractions financières, les abus de confiance, le droit des affaires, le droit de la santé, la diffamation etc..
Nous avions souligné déjà (lire ici, ici) que dans certains dossiers apparaissent des questions juridiques procédurales très délicates. Le parlement a finalement décidé que les citoyens assesseurs n'interviendront que sur la qualification des faits, la culpabilité, et le choix de la sanction. A contrario cela signifie que seuls les magistrats professionnels trancheront les questions de procédure et les autres question de droit.
Ces nouveaux juges non magistrats n'étant pas recrutés en fonction de leur compétence juridique, à la différence de ce qui existe dans les conseils de prud'hommes, les tribunaux paritaires des baux ruraux, ou les tribunaux des affaires de sécurité sociale, la loi précise que le président du tribunal doit "veiller à ce que les citoyens assesseurs puissent prendre utilement connaissance de tous les éléments du dossier".
Il est également indiqué que le délibéré doit en principe avoir lieu aussitôt les débats terminés, sauf si le président décide de le reporter à un autre moment.
Ce nouveau dispositif appelle quelques commentaires.
- Le principe de la participation de citoyens au fonctionnement de la justice n'est pas contestable en soi, dans son principe. C'est déjà le cas dans plusieurs juridictions comme rappelé plus haut, et à la cour d'assises, là où siègent des jurés non professionnels, cela fonctionne globalement bien et à la satisfaction de tous. Il n'existe donc pas de raison de s'opposer a priori à une telle participation. Mais encore faut-il que, concrètement, cela ne pose pas de difficultés trop importantes.
- Si les magistrats étudient le droit pendant tant d'années, ce n'est pas sans raison. Le droit est une matière technique, parfois ardue, en permanente évolution. Les magistrats doivent non seulement avoir acquis les bases, mais ils doivent continuellement suivre les évolutions jurisprudentielles et s'intéresser aux débats doctrinaux autours des questions juridiques nouvelles et controversées. En plus, les magistrats doivent prendre connaissance et mettre en oeuvre les lois successives, dont la rédaction et la cohérence sont de moins en moins souvent des modèles du genre (lire ici). Tout cela impose une mise à jour permanente des connaissances et des analyses théoriques parfois complexes.
Les citoyens assesseurs seront informaticien, enseignant, infirmier, commerçant, agriculteur, musicien, électricien, chauffeur routier, postier, technicien, représentant, etc.... La quasi totalité arrivera sans aucune connaissance juridique.
Pourtant, même dans le contentieux qui leur a été réservé, et quand bien même leur champ d'intervention a été limité, de délicates questions de droit leur seront posées. Quels sont les différents cas de complicité ? Qu'en est-il des conditions de la récidive ?Quelles sont les conséquences d'une condamnation non avenue ? La légitime défense des biens est-elle recevable ? Peut-on retenir une circonstance aggravante non mentionnée dans une décision de renvoi ? Quels sont les contours de l'intention en droit pénal ? Qu'est-ce que le cumul d'infractions, en quoi se distingue-t-il du concours d'infractions et quelles sont ses conséquences sur le choix des sanctions ? Quand peut-on prononcer des peines alternatives, et des peines complémentaires ? Dans quels cas le tribunal peut-il aménager lui-même une peine qu'il prononce ? Dans quels circonstances une juridiction doit-elle retenir une peine-plancher et quelles exceptions existe-il à cette obligation ?
- La présence de citoyens assesseurs va inéluctablement modifier considérablement le déroulement des audiences. Non seulement la durée des débats va être fortement augmentée puisqu'il faudra leur expliquer beaucoup plus en détails le contenu des dossiers, mais le procureurr de la République comme les avocats (partie civile et défense) vont devoir expliciter avec bien plus de détails leurs points de vue successifs. Ensuite, c'est le délibéré qui va être inéluctablement plus long, afin que les citoyens assesseurs reçoivent suffisamment d'explications sur tous les aspects du dossier, et notamment sur les questions juridiques, tout ceci afin qu'ils puissent statuer en connaissance de cause.
De fait, le nombre de dossiers par audience va devoir être fortement réduit. Par voie de conséquences, les délais d'audiencement risquent d'être rallongés jusqu'à, le risque est réel, devenir insupportablement longs. Alors que la convention européenne des droits de l'homme impose un traitement des affaires pénales dans un délai "raisonnable", surtout quand le prévenu est en détention provisoire en attente de son jugement.
Cela pourrait aboutir dans un délai assez rapide à un engorgement de certaines juridictions correctionnelles, notamment dans les plus grandes villes qui jugent un très grand nombre d'affaires d'atteinte aux personnes et de violences.
L'une des solutions serait alors, pour éviter l'accumulation des dossiers en attente de jugement, de multiplier les audiences. Mais cela ne serait possible qu'en multipliant de la même façon le nombre de magistrats et de greffiers, ce qui n'est pas envisagé pour l'instant.
- Le risque est alors que, pour éviter un tel dysfonctionnement, les magistrats professionnels soient tentés de maintenir un rythme soutenu et, pour cela, consciemment ou non, imposent leur point de vue de telle façon qu'il ne soit plus nécessaire de prévoir un long temps d'explication et de réflexion au bénéfice des citoyens assesseurs qui, minoritaires et se retrouvant face à des professionnels, ne seront pas forcément en capacité de contester un traitement trop rapide des dossiers.
Ce serait réduire les citoyens-assesseurs à un rôle de figurants, d'où, au-delà d'un détournement complet de la loi, de possibles ressentiments, frustrations, ou humiliations chez des personnes constatant qu'elles n'ont ni véritable place ni véritable rôle.
- Quoi qu'il en soit, la question reste posée de l'influence de deux citoyens assesseurs qui ne se connaissent pas, qui proviennent d'horizons différents, et qui n'ont aucune connaissance des dossiers judiciaires, sur les décisions finales prises après débat avec trois magistrats professionnels qui ont une longue pratique de la matière pénale.
Certains magistrats professionnels sont soucieux de préserver au fil des audiences successives une certaine cohérence entre les décisions. Leur préoccupation est qu'en présence de dossiers semblables il n'existe pas de réponses judiciaires trop différentes, afin que le passage devant le tribunal ne ressemble pas à une loterie incertaine. C'est pourquoi, à supposer que l'un ou l'autre des citoyens assesseurs ait une vision exagérément indulgente ou répressive, qui se distingue trop de la jurisprudence habituelle, les magistrats peuvent être tentés de ne pas la prendre en compte. Cela d'autant plus que les jugent sauront que la prochaine fois ils seront accompagnés de citoyens asseurs différents qui auront encore une autre vision des affaires pénales.
Autrement dit, quelle pourra être l'influence sur les décisions judiciaires de citoyens ne venant faire qu'un très bref passage et qui, du fait de la brièveté de leur intervention, ne seront jamais en situation d'acquérir une expérience minimale, condition préalable pour être en situation d'argumenter efficacement.
- Il n'en reste pas moins qu'à supposer même que leur rôle et leur influence soient réduits, la présence des citoyens assesseurs présente de réels avantages.
Les citoyens appelés vont voir comment fonctionne la justice pénale dans son quotidien. La vraie justice, pas seulement celle dont on parle à l'extérieur parfois sans trop la connaître ou comme la racontent, très subjectivement, ceux qui ont perdu leur procès. Ainsi, comme l'expriment souvent les jurés de la cour d'assises, ils découvriront une réalité qui n'est pas toujours celle qui est rapportée par les medias.
De la justice concrète, ils verront les qualités et les faiblesses, et leur expérience leur permettra de se forger une opinion plus sérieusement argumentée.
Ils se rendront compte que juger est autrement plus compliqué qu'on ne l'imagine. Et même si le président de la République, seul à avoir souhaité une telle réforme, a clairement annoncé que l'objectif est d'obtenir des peines plus sévères, ce qui est assez péjoratif vis à vis des français considérés d'avance comme incapables de réfléchir avec distance et nuance, il est probable que les citoyens assesseurs qui viendront dans les tribunaux correctionnels se rendront compte que la réalité des dossiers est souvent est bien plus nuancée que ce qui en est rapporté à l'extérieur.
Le devoir des magistrats va être de tout faire pour que les citoyens-assesseurs puissent participer pleinement au jugement des affaires qu'ils vont connaître, peu important les conséquences sur l'audiencement des dossiers que le Parlement connaissait parfaitement au moment de voter la réforme.
Et si certaines juridictions se bloquent à cause de la réduction du nombre d'affaires par audience, il appartiendra à ces mêmes parlementaires d'en tirer les conséquences indispensables.
Autrement dit, par égard pour eux, les citoyens assesseurs ne devront en aucun cas être les dindons de la farce.
Notons par ailleurs que pour dégager quelques moyens humains, et parce que la réforme, après une phase d'expérimentation à Dijon et Toulouse à compter de janvier 2012, est susceptible d'être étendue à tout le territoire national, la loi a en même temps réduit le nombre des jurés à la cour d'assises. Ceux-ci passent de 9 à 6 en première instance et de 12 à 9 en appel (lire ici).
La conséquence est que les décisions les plus graves, et surtout sur la culpabilité de l'accusé, qui étaient prises par 8 ou 10 personnes (lire ici) le seront dorénavant par 6 ou 8. Par ailleurs, en première instance, ce ne sont plus une majorité de jurés (5 sur 9) mais seulement la moitié (3 sur 6) qui devront se prononcer sur cette culpabilité.
Il n'est pas certain qu'il s'agisse d'un progrès, étant relevé que pendant les débats parlementaires les élus n'ont jamais explicité les raisons d'une telle réduction qui, apparemment, n'est décidée que pour réduire le coût de l'instauration des citoyens assesseurs en limitant globalement le nombre de citoyens indemnisés. Des motifs autres que purement comptables auraient pu apparaître plus nobles.
Enfin, la réforme concerne également les juridictions d'application des peines. Les citoyens assesseurs, toujours au nombre de deux à côté de trois magistrats professionnels, vont avoir compétence pour ce qui concerne le relèvement de la période de sûreté (automatique ou facultative), la libération conditionnelle, et certaines suspensions de peines.
Là encore, l'avenir dira si la présence de deux citoyens assesseurs minoritaires a une quelconque influence sur les décisions rendues.
En tous cas, les citoyens assesseurs se rendront compte de la complexité de l'exécution des peines (lire ici, ici)
Reste à savoir si, quand un individu à qui aura été accordée une libération conditionnelle commettra une nouvelle infraction, les élus, même si le dossier était très favorable, continueront à dénoncer des décisions aberrantes et irresponsables comme ils le font parfois avec les magistrats.
Car les juges lapidés sur la place publique, cette fois-ci, ce sera vous.
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1. Le texte contient par ailleurs diverses dispositions relatives à la cour d'assises, non mentionnées dans le titre.
2. Qui a jugé autrement bien sûr pour la cour d'assises.