Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué (à propos de la récente loi de simplification du droit)
Par Michel Huyette
Les lois votées par le Parlement ont parfois de jolis titres. Il en va ainsi d'une loi du 17 mai 2011 intitulée "Loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit" (texte ici). Sans doute n'est-ce pas de la grande littérature, ni même de la poésie, mais quand même, il s'agit de simplifier et d'améliorer. Donc de faire nettement mieux qu'avant.
Oui mais.
Au milieux de cette longue loi qui modifie de très nombreuses dispositions de nos codes, quelques lignes concernant la cour d'assises retiennent l'attention. Pour bien comprendre l'enjeu, il faut faire un petit retour en arrière.
Devant la cour d'assises, de nombreux accusés arrivent détenus, parce que pendant la phase d'instruction ils ont été placés sous le régime de la détention provisoire. Mais quelques autres se présentent libres, parce qu'une telle détention avant jugement n'a pas été estimée indispensable au regard des critères légaux. Ces accusés conservent leur liberté pendant le procès, ce qui fait qu'entre les audiences et pendant les pauses ils peuvent aller où bon leur semble.
La difficulté concerne leur sort quand ils sont déclarés coupables et condamnés à une peine de prison par la première cour d'appel.
L'article 367 du code de procédure pénale (texte ici) jusqu'à présent en vigueur nous indiquait que "le mandat de dépôt délivré contre l'accusé continue de produire ses effets ou la cour décerne mandat de dépôt contre l'accusé, jusqu'à ce que la durée de détention ait atteint celle de la peine prononcée, sans préjudice pour l'accusé de son droit à demander sa mise en liberté".
En clair pour l'accusé déjà détenu le mandat de dépôt continue à être applicable sans que la cour d'assises ne dise quoi que ce soit. Et pour les accusés libres, il était prévu que la cour "décerne" un mandat de dépôt, et par ce biais ordonne l'emprisonnement immédiat de l'accusé. D'où ces accusés arrivés libres et menottés puis conduits en prison dès l'annonce de la condamnation. Parfois sans rien d'autre que leurs vêtements du jour.
Il n'empêche que les accusés qui contestent leur culpabilité peuvent interjeter appel de la décision de la cour d'assises. Et il arrive plusieurs fois par an que la cour d'assises d'appel décide d'acquitter la personne déclarée à l'inverse coupable par la première cour d'assises. Ce qui a pour conséquence qu'il arrive régulièrement qu'une personne finalement jugée innocente ait fait de la prison alors que, juridiquement, il n'existe plus rien qui puisse lui être reproché.
C'est pourquoi certains magistrats, analysant l'article 367 au regard des normes contenues dans la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (texte ici), ont considéré que cet article était non conforme à cette convention et ont refusé de décerner un mandat de dépôt pour tous les accusés libres condamnés, en s'autorisant à décider, au cas par cas, si l'emprisonnement avant la décision d'appel était ou non opportun (lire l'argumentaire ici).
Cela permettait de disposer d'une pluralité de possibilités en fonction de chaque cas particulier et, surtout, d'éviter que des personnes laissées libres pendant l'instruction soient emprisonnées après la première décision puis libérées à la suite d'un acquittement en appel. Tout le monde le sait, ce qui peut détruire des personnes, ce n'est pas tant la mise en examen, même honteuse, que l'emprisonnement qui trop souvent altère ou anéantit les liens sociaux et professionnels.
Tout semblait donc plutôt bien.
La loi du 17 mai 2011, dans son article 156 (texte ici) modifie la rédaction de l'article 367. La phrase "le mandat de dépôt délivré contre l'accusé continue de produire ses effets ou la cour décerne mandat de dépôt contre l'accusé" est supprimée. Elle est remplacée par cette autre : "l'arrêt de la cour d'assises vaut titre de détention".
Le nouvel article 367 est donc rédigé ainsi :
"Si l'accusé est exempté de peine ou acquitté, s'il est condamné à une peine autre qu'une peine ferme privative de liberté, ou s'il est condamné à une peine ferme privative de liberté couverte par la détention provisoire, il est mis immédiatement en liberté s'il n'est retenu pour autre cause. Dans les autres cas, tant que l'arrêt n'est pas définitif et, le cas échéant, pendant l'instance d'appel, l'arrêt de la cour d'assises vaut titre de détention, jusqu'à ce que la durée de détention ait atteint celle de la peine prononcée, sans préjudice pour l'accusé de son droit à demander sa mise en liberté conformément aux dispositions des articles 148-1 et 148-2.
Cela pourrait avoir l'effet suivant : Puisque le mandat de dépôt n'existe plus, la cour ne peut plus décider de ne pas le délivrer. Et puisque c'est à l'avenir la décision de condamnation qui, en elle-même, devient un document juridique qui "vaut titre de détention", les accusés arrivés libres pourraient sans doute être tous emprisonnés. Et dans ce cas tant pis pour ceux qui seront acquittés en appel.
Mais c'est alors que cela se complique un peu.
En effet, si le texte en lui-même est à l'affirmatif ("vaut"), d'où l'impression que la cour n'a aucun choix, aucune marge d'appréciation, il a été indiqué lors des débats parlementaires que : "Il est proposé de modifier le deuxième alinéa de l’article 367 afin qu’il soit précisé que, dans le cas où la cour d’assises prononce une peine d’emprisonnement supérieure à la durée de la détention provisoire déjà subie, cette condamnation vaut, sauf décision contraire, titre de détention de l’accusé. Celui-ci sera ainsi détenu en application de la décision de la juridiction criminelle, qui, par la condamnation qu’elle vient de prononcer, même si elle n’est pas définitive, vient de transformer totalement la situation juridique de l’intéressé. Il s’agit par cette disposition d’introduire une plus grande cohérence dans la procédure. " (texte ici ; le Sénat a émis le même avis, texte ici).
Ainsi donc, les parlementaires semblent avoir envisagé de donner la faculté aux magistrats de décider que leur décision ne vaut pas titre de détention, donc de laisser l'accusé condamné en liberté. Et ils rappellent qu'en modifiant ainsi la loi ils reprennent à leur compte une suggestion que la cour de cassation avait mentionné dans son rapport de 2008 (documents ici). En effet, il y était déjà écrit de la même façon que "Il est proposé une modification de l’article 367, alinéa 2 du Code de procédure pénale afin qu’il soit précisé que, dans le cas où la cour d’assises prononce une peine d’emprisonnement supérieure à la durée de la détention provisoire subie, cette condamnation vaut, sauf décision contraire, titre de détention de l’accusé (..)"
Que retenir de tout ceci au final ? Qu'avant la récente loi les juristes se disputaient à propos du droit des magistrats de ne pas décerner mandat de dépôt. Qu'avec la nouvelle loi, dans laquelle l'expression "sauf décision contraire" n'a pas été reprise, la discussion va probablement réapparaître, avec à la clé des pratiques éventuellement variables. Et qu'il aurait été bien plus simple de reprendre dans son intégralité, sans rien y enlever, la suggestion de la cour de cassation et d'inscrire cette expression clairement dans le texte.
Et l'on continuera à se demander pourquoi, quand le but est une "amélioration" de la loi, les parlementaires ne prennent pas le soin d'éviter toute difficulté ultérieure en la rédigeant de la façon la plus claire possible.
Sauf à supposer que les parlementaires, sous couvert d'une prise en compte de la suggestion de la cour de cassation, aient délibérément expurgé cette proposition de l'expression "sauf décision contraire" afin que tous les accusés condamnés aillent en prison dès la première condamnation même s'ils font appel.
Mais non, un tel état d'esprit ne peut pas exister au Parlement. C'est donc très certainement une simple maladresse de rédaction dans une loi.... d'amélioration du droit.