La cour d'assises et l'emprisonnement immédiat de l'accusé, condamné, qui comparaissait libre
nb : ce texte a été publié le 16 décembre, puis mis à jour le 18 décembre
Après l’annonce du verdict du procès Ferrara, des commentaires ont été émis concernant le mandat de dépôt (l’ordre d’emprisonnement) décerné contre certains accusés qui comparaissaient libres au début du procès. C’est l’occasion de s’attarder quelques instants sur une question très délicate et mal connue du public.
Mais d’abord rectifions une erreur qui a de nouveau été commise. En effet certains journalistes ont insisté sur le fait que « la présidente de la cour d’assises » a décidé de décerner mandat de dépôt contre certains accusés libres. Dans des articles il est affirmé qu’elle a décidé seule. Or cela est le contraire de la règle en vigueur. En effet, l’article 367 du code de procédure pénale prévoit que : « Si l'accusé est exempté de peine ou acquitté, s'il est condamné à une peine autre qu'une peine ferme privative de liberté, ou s'il est condamné à une peine ferme privative de liberté couverte par la détention provisoire, il est mis immédiatement en liberté s'il n'est retenu pour autre cause. Dans les autres cas (..) le mandat de dépôt délivré contre l'accusé continue de produire ses effets ou la cour décerne mandat de dépôt contre l'accusé, jusqu'à ce que la durée de détention ait atteint celle de la peine prononcée, sans préjudice pour l'accusé de son droit à demander sa mise en liberté ». En clair et pour ce qui nous intéresse, cela signifie que quand un accusé qui comparaît libre est condamné à une peine de prison, c’est la cour, composée du président et des deux magistrats professionnels (sans les jurés), et non le seul président de la cour d’assises, qui décide de décerner mandat de dépôt. Les commentaires à propos du procès Ferrara imputant à la seule présidente la décision d’incarcérer certains prévenus sont donc juridiquement aberrants.
Mais l’essentiel n’est pas là.
Ce que l’on doit retenir surtout, c’est que quand une cour d’assises prononce une peine de prison contre un accusé arrivé libre, elle dispose d’une faculté, et non d’une obligation, de l’emprisonner immédiatement. Bien que l’article 367 mentionne « … la cour décerne mandat de dépôt … », et non pas "peut décerner..", la cour n'est pas contrainte de délivrer un mandat de dépôt après toute condamnation à de la prison. Lacirculaire du 21 septembre 2004 du ministère de la justice considère que, du fait de la rédaction de la loi, la décision de ne pas emprisonner immédiatement un condamné libre ne peut être que « très exceptionnelle faisant suite à un choix délibéré des magistrats » (pargraphe 3.1.5). A contrario cela signifie que les juristes du ministère estiment que le mandat de dépôt n'est pas obligatoire. Au demeurant, lui supprimer toute liberté d'appréciation et imposer à un juge d'emprisonner un individu qui dispose du droit de faire appel, qui si tel est le cas redevient présumé innocent, et qui n'est pas définitivement condamné, pourrait être considéré comme contraire à la convention européenne des droits de l'homme (au moins dans ses articles 6.2 et 6.3,a) .
La cour doit donc faire un choix. Elle peut d'abord, malgré la peine prononcée, laisser le condamné en liberté. Deux options se présentent alors. Si le condamné ne fait pas appel, la décision est mise à exécution (il est conduit en prison) à expiration du délai de recours, c'est-à-dire dans notre jargon quand la décision sera devenue « définitive ». Si le condamné fait appel, il reste en liberté jusqu’à l’audience de la cour d’assises d’appel et, à l’issue de celle-ci, le même choix se présente s’il est de nouveau condamné à une peine de prison. Mais elle peut aussi décider qu'il doit aller immédiatement en prison et pour se faire décerner mandat de dépôt.
Mais ces remarques textuelles masquent le fond du débat, autrement plus essentiel.
En effet, quand un condamné comparaît libre, c’est parfois parce que même s'il a été considéré qu’il existait contre lui des charges importantes, justifiant son renvoi devant une juridiction, il y a quand même une part d’incertitude quand au caractère inéluctable d’une déclaration de culpabilité. Autrement dit, certains accusés sont laissés en liberté parce qu’il n’est pas absolument certains qu’ils seront condamnés. Il est donc souhaitable, quand on sait qu’il arrive que des cour d’assises d’appel acquittent des personnes condamnées par la première cour d’assises, que devant la seconde cour d’assises la situation de l’accusé soit la même que lors du premier jour du procès de première instance. N'oublions surtout pas que si la cour d’assises d'appel décide d’un acquittement contrairement à la première qui a condamné et décerné mandat de dépôt, les mois de prison effectués pour rien ne pourront jamais être effacés. Et on sait combien ils peuvent être destructeurs, c’est peu dire.
D’autre part, si aucun argument du type ordre public ou risque pour les parties civiles n’a été retenu dans la période qui a précédé le premier procès pour justifier un emprisonnement, sauf élément nouveau il n’y a pas forcément de raison de faire différemment en attendant le procès en appel.
Enfin, il est autrement plus aisé pour un accusé de préparer sa défense en étant libre qu’en étant en prison. Or être en mesure de se préparer du mieux possible en attendant le procès qui arrive est l’un des droits les plus fondamentaux de tout citoyen.
C’est pourquoi il me semble particulièrement contestable de considérer que par principe et sauf exception admise du bout des lèvres, tout individu arrivé libre et qui est condamné à une peine de prison en première instance doit se voir systématiquement décerner mandat de dépôt et être immédiatement incarcéré. C’est donc le mécanisme inverse qui m’apparaît approprié : Tant que la décision définitive n’est pas intervenue, parce que la décision en appel peut être inverse de la décision de première instance, dès lors que l’accusé conteste sa culpabilité et qu’il existe un réel débat sur celle-ci, c’est le maintien en liberté qui doit être la règle, et le mandat de dépôt l’exception.
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Mise à jour
Après la publication du précédent article, j'ai reçu de nombreux messages de collègues, qui pour la plupart se résument ainsi : il n'y a pas matière à débat, la loi dit qu'il faut mettre les accusés qui comparaissaient libres et qui ont été condamnés en prison, alors on doit toujours décerner un mandat de dépôt un point c'est tout.
Mais je crains que cela ne soit pas aussi simple que cela....
Les juges français doivent, dans toutes les matières du droit et spécialement en droit pénal, vérifier en permanence que les textes qu'ils appliquent sont conformes aux principes énoncés par la convention européenne des droits de l'homme. Et quand un juge constate que la règle interne n'est pas conforme, à la règle européenne il doit juger que la première est inapplicable et l'écarter.
Il y a quelques années (la règle n'existe plus aujourd'hui), quand un accusé condamné par une cour d'assises était en fuite alors qu'il avait formé un pourvoi devant la cour de cassation, sa demande n'était examinée que s'il allait d'abord se présenter à la porte d'un établissement pénitentiaire pour être incarcéré. S'il ne le faisait pas son pourvoi était jugé irrecevable (il n'était pas examiné).
Interrogée sur la conformité de cette règle avec la convention européenne des droits de l'homme la CEDH a répondu négativement en jugeant que :
"La cour ne peut que constater que l'irrecevabilité d'un pourvoi en cassation, fondée uniquement, comme en l'espèce, sur le fait que le demandeur ne s'est pas constitué prisonnier en exécution de la décision de justice faisant l'objet du pourvoi, contraint l'intéressé à s'infliger d'ores et déjà à lui-même la privation de liberté résultant de la décision attaquée, alors que cette décision ne peut être considérée comme définitive aussi longtemps qu'il n'a pas été statué sur le pourvoi ou que le délai de recours ne s'est pas écoulé. On porte ainsi atteinte à la substance même du droit de recours, en imposant au demandeur une charge disproportionnée, rompant le juste équilibre qui doit exister entre, d'une part, le souci légitime d'assurer l'exécution des décisions de justice et, d'autre part, le droit d'accès au juge de cassation et l'exercice des droits de la défense."
Revenons maintenant à notre mandat de dépôt obligatoire et modifions seulement quelques mots à cette motivation de la CEDH. Cela donne :
"La cour ne peut que constater que l'obligation de décerner mandat de dépôt contraint la cour d'assises de première instance à infliger à l'accusé une privation de liberté alors que cette décision ne peut être considérée comme définitive aussi longtemps qu'il n'a pas été statué sur l'appel ou que le délai de recours ne s'est pas écoulé. On porte ainsi atteinte à la substance même du droit d'appel en imposant au demandeur une charge disproportionnée, rompant le juste équilibre qui doit exister entre, d'une part, le souci légitime d'assurer l'exécution des décisions de justice et, d'autre part, l'exercice des droits de la défense."
Car il existe bien des points communs entre les deux situations. Ce que dit la CEDH, avec plein de bon sens, c'est qu'il n'existe aucune raison majeure d'imposer obligatoirement à un accusé qui a formé un recours, et qui donc n'est pas définitivement condamné, d'exécuter à l'avance une durée d'emprisonnement alors que finalement il pourra être déclaré non coupable. Et peu importe qu'en droit français l'accusé condamné et placé sous mandat de dépôt puisse demander à la chambre de l'instruction une remise en liberté avant le procès en appel car s'il est déclaré finalement innocent les mois de sa vie perdus en prison pour rien ne lui seront pas restitués...
C'est pourquoi je maintiens que le juge français n'est en aucune façon tenu d'appliquer un texte qui pourrait bien être jugé contraire à l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme. En tous cas que l'éventualité d'une contradiction entre droit interne et droit européen doit au moins être discutée...