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Publié par Parolesdejuges

Par Michel Huyette



   Devant la cour d'assises de Paris comparaissent plusieurs personnes poursuivies pour avoir attaqué une prison avec des armes lourdes dans le but de faire évader quelques détenus. Certains des accusés ont déjà été sévèrement condamnés pour des délits ou des crimes. Tel est le cas de Monsieur Ferrara, le plus connu de tous et qui est souvent décrit comme un individu très dangereux.


   Mais ce procès ne s'est pas déroulé comme la plupart des autres. Car si les procès d'assises traversent toujours des moments de tension à cause des faits, de la personnalité des accusés, ou des enjeux notamment en terme de peine encourue, il n'est pas fréquent que les soubresauts soient aussi nombreux et importants que ceux qui viennent de se produire à Paris. Dernièrement, à cause de l'interception maladroite par un gendarme d'un message que Monsieur Ferrara voulait faire passer à son avocat, une violente bagarre a éclaté dans le box des accusés,  cela a déclenché des incidents dans la salle et l'évacuation de celle-ci, puis l'audience a été suspendue pendant plusieurs heures.


   A la reprise du procès, certains des accusés ont indiqué ne plus vouloir être jugés par cette cour d'assises et ont récusé leur avocat. La présidente a alors commis d'office ces mêmes avocats, mais ceux-ci ont décidé de quitter la salle et de ne plus assister aux audiences. Il a alors été décidé de poursuivre le procès sans certains des accusés et sans leurs avocats.


   Essayons d'analyser brièvement cette situation d'un point de vue juridique, et interrogeons nous sur la façon de gérer ces situations.


   Sur le plan juridique, les compte-rendus des medias montrent que les avocats intervenant dans ce procès ne sont pas tous très à l'aise, et cela se comprend. En effet la règle est schématiquement la suivante : un accusé doit obligatoirement être assisté d'un avocat (art. 317 du code de procédure pénale), si l'accusé récuse son avocat celui-ci peut être commis d'office par le président de la cour d'assises (même article), et un avocat ne peut pas décider seul de refuser cette commission d'office. Son devoir lui impose d'assurer sa mission, sauf à convaincre la cour de l'impossibilité de l'exercer. Tout ceci conduit à penser que l'avocat qui une fois commis d'office par un président de cour d'assises refuse de défendre un accusé présent ou absent commet une faute susceptible d'engager sa responsabilité.


   En l'espèce, les avocats commis d'office étant ceux qui avaient été préalablement choisis par les accusés, ils connaissent déjà parfaitement leur dossier. En plus, les accusés ne les ont pas récusés par méfiance envers eux, mais uniquement pour obtenir le renvoi du procès. Les avocats ne sont donc pas dans une situation ne leur permettant pas d'assurer la défense de leurs clients du fait d'un insoluble conflit avec ces derniers.


   Dans un important arrêt du 20 octobre 1993, la cour de cassation, dans une situation proche de la nôtre, avec un avocat ayant quitté la salle d'audience après avoir été commis d'office du fait de sa récusation par son client a jugé :

   «  si l'article 6.3 c de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales reconnaît à l'accusé le droit à l'assistance d'un défenseur de son choix, l'obligation d'assurer la continuité du cours de la justice et de permettre le jugement des accusés dans un délai raisonnable fait obstacle à ce que l'absence de l'avocat initialement choisi entraîne nécessairement le renvoi de l'affaire ;

   Qu'il en est ainsi dans les cas où, comme en l'espèce, l'accusé, qui a disposé avant et pendant les débats du temps nécessaire à la préparation de sa défense, se livre, dans la partie ultime du procès, avec le concours, délibéré ou non, de son avocat, à des manoeuvres destinées à en différer l'échéance ;

   Que dans de telles circonstances, en l'absence de l'avocat initialement choisi puis commis d'office qui, au mépris de ses devoirs, a quitté la salle d'audience, il appartient à l'accusé, s'il l'estime utile, ce que n'exclut pas l'article 6.3 c précité, de se défendre lui-même. »


   Beaucoup plus récemment, en 2008, la cour de cassation a jugé dans le même sens que «  l'absence de l'avocat d'un accusé pendant tout ou partie des débats n'entraîne la nullité de la procédure qu'autant qu'elle est le fait de la cour, du président ou du ministère public ». (lire aussi dans le même sens cet arrêt de 1997).


   Cela fait apparaître que si comme l'ont mis en avant certains avocats du procès Ferrara la situation créée est « inhabituelle », elle ne l'est pas tant à cause d'une éventuelle entorse à une règle de droit de la part de la présidente de la cour d'assises, ce que jusqu'à présent personne ne semble avoir soutenu, que par le fait qu'ils ont décidé eux-mêmes de ne plus assurer la défense de leur client, cela, semble-t-il, contrairement à leurs devoirs.


   Mais derrière le débat juridique se profile un autre débat au moins aussi important.


   La question est la suivante : par le biais d'une récusation tactique de l'avocat, et avec le concours de ce dernier s'il décide de quitter définitivement la salle, peut-on laisser à un accusé la possibilité d'empêcher la poursuite de son procès s'il estime que la façon dont il se déroule ne lui convient pas ? Et si le procès Ferrara était renvoyé aux motifs que certains accusés et leurs avocats sont absents, qu'est-ce qui empêcherait la fois suivante aux mêmes individus d'agir de la même façon et d'obtenir un nouveau renvoi ? Autrement dit, doit-on laisser à un accusé et à ses avocats la possibilité de « tester » une puis éventuellement d'autres cours d'assises et de choisir par laquelle il consent à être jugé ? La réponse peut-elle être autrement que négative ?


   Et n'oublions pas, même si les avocats des accusés qui ont délaissé l'audience sont restés totalement muets sur ce point, que le renvoi d'un procès impose aussi aux victimes qui s'y sont préparées, qui ont organisé leur absence avec leur employeur, qui ont engagé des sommes élevées pour leur nombreux frais, de revenir une autre fois. Et cela sans qu'à aucun moment elles n'aient leur mot à dire.


   Il peut exceptionnellement arriver qu'un procès se déroule d'une façon qui soit véritablement inacceptable en ce sens que les droits fondamentaux des accusés ne sont pas suffisamment respectés. Dans ce cas il peut s'avérer utile si ce n'est indispensable que l'examen de l'affaire soit renvoyé à une autre audience au cours de laquelle sera appréciée une sérénité retrouvée.


   Mais quand des accusés qui sentent que les débats ne tournent pas à leur avantage, aidés par des avocats sans complexes pour qui la fin justifie tous les moyens  même les moins nobles, tentent sans raison acceptable d'empêcher une juridiction de les juger, alors c'est le devoir des juges de ne pas tomber dans le piège grossièrement tendu et de s'opposer fermement à des manoeuvres qui n'honorent pas ceux qui les utilisent.


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A
<br /> <br /> Dans le cas où des avocats pour protester contre le président ou autre quitte la salle, est-ce que l'accusé peut demander qu'un autre avocat lui soit commis d'office ? Parce que s'il y a bien<br /> quelqu'un qui paie les pots cassés de l'action des avocats c'est bien le client.<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> <br /> Si un avocat abandonne so client sans demande de celui-ci, le procès peut se poursuivre même sans avocat. Ce dernier commet une faute disciplinaire et civile, qui peut aboutir à des sanctions par<br /> son ordre professionnel et des dommages-intérêts versés à son client.<br /> Il n'y a donc pas à le commettre d'office puisqu'il n'a jamais été démis.<br /> En tous cas, les juges ne doivent jamais céder devant les cris, les menaces ou les stratagaèmes des parties et de leurs avocats.<br /> MH<br /> <br /> <br /> <br />
J
Juste une petite réflexion sur le dernier paragraphe, étant d'accord sur l'article.Il me semble violent, voire combattif de parler de "moyens mêmes les moins nobles" des avocats : la liberté de la défense existe, elle est fondamentale ; et le déroulement  choisi par  la défense n'a pas à être jugé .. par les juges, à mon humble avis.... Car c'est le présumé innocent avac son avocat qui choisit librement.En revanche on peut penser que tel ou tel choix de la défense peut avoir des conséquences mais c'est une autre affaire. Et l'absence de jugement de la défense par le juge me parait d'autant plus important qu'en délibéré on a à juger une personne à qui est reproché des faits, et non son système de défense. Et que c'est parfois difficile de le faire comprendre aux jurés !!!!Avec tout le respect de toute autre opinion, bien sûr .
Répondre
P
<br /> Je n'avais en tête que le choix d'un avocat de se retirer après avoir étré désigné d'office ce qui, d'après les textes et la position de la cour de cassation, semble contraire au droit et aux<br /> obligations déontologiques de l'avocat. Ce n'est plus seulement de la "défense" du client qu'il s'agit, c'est du droit. Etre défenseur affranchit-il de l'obligation de respecter de la<br /> législation ??<br /> MH<br /> <br /> <br />