Qui seront les citoyens assesseurs demain ?
Par Michel Huyette
Revenons une fois encore (lire not. ici) sur le projet de loi actuellement en débat et qui prévoit à l'avenir la présence de "citoyens assesseurs" dans les tribunaux correctionnels.
Souvenons nous d'abord qu'il s'agit d'une demande du chef de l'Etat et que le ministère de la justice a été contraint, sans grand enthousiasme, de rédiger hâtivement un texte qui est soumis au Parlement selon la procédure d'urgence, alors que d'urgence il n'y en pas évidemment pas. Et que l'objectif mis en avant est clairement une plus grande sévérité des décisions, comme cela vient d'être de nouveausouligné par un député de la majorité (Le Monde du 5 mai 2011) qui insiste sur la nécessité de "mettre fin aux incompréhensions et au fossé qui ne cesse de se creuser entre l'institution judiciaire et nos concitoyens". Cela signifie en langage non codé que ce que l'on attend des citoyens assesseurs c'est essentiellement de condamner plus sévèrement que ne feraient les magistrats professionnels. Comme nous l'avions déjà souligné, cela n'est pas forcément flatteur pour nos concitoyens que l'on semble estimer incapables de réflexions et de nuances...
Quoi qu'il en soit, nous nous arrêterons aujourd'hui sur un point particulier du projet, la sélection des "citoyens assesseurs".
Le projet de loi (texte ici) prévoit que les citoyens assesseurs doivent notamment, comme les actuels jurés, avoir plus de 23 ans, savoir lire et écrire en français, et ne pas avoir été condamnés à une peine supérieure à 6 mois de prison.
Ce qui est original dans le projet de loi, c'est qu'il est écrit que les citoyens assesseurs doivent " Présenter des garanties d'impartialité et de moralité". Pour cela, il est prévu, après le premier tirage au sort sur les listes électorales, que " Le maire adresse en outre aux personnes inscrites sur la liste préparatoire un questionnaire dont le contenu est fixé par décret en Conseil d'État, destiné à vérifier qu'elles présentent des garanties d'impartialité et de moralité et qu'elles ne sont pas inaptes à l'exercice des fonctions de citoyen assesseur".
Ensuite, le projet qui prévoit l'établissement d'une liste annuelle de citoyens assesseurs par une commission départementale ajoute que celle-ci "ne peut inscrire une personne sur la liste annuelle des citoyens assesseurs sans avoir fait procéder à une enquête, dont les modalités sont fixées par décret en Conseil d'État, destinée à vérifier que l'intéressé présente les conditions de moralité et d'impartialité requises."
Le lecteur du projet de loi remarque tout de suite la complexité du dispositif, qui prévoit l'envoi d'un questionnaire plus une véritable enquête avant toute nomination de citoyen assesseur. L'envoi et l'exploitation des questionnaires, ainsi que la conduite et l'exploitation des enquêtes vont engendrer un travail considérable dans les services municipaux, policiers et judiciaires, puisque l'on sait que si l'expérimentation limitée dans un premier temps à une partie du territoire est ensuite étendue, ce sont des milliers de citoyens assesseurs qui seront recrutés.
Mais la question qui se pose fondamentalement est celle du contenu des critères mentionnés dans la loi : impartialité et moralité, étant relevé, en passant, qu'aucune démarche ne semble destinée à vérifier que les personnes tirées au sort ont la moindre compétence dans le domaine du droit alors que l'on sait que des questions juridiques complexes sont régulièrement soumises aux juridictions correctionnelles. Mais c'est un autre aspect de la problématique laissé de côté aujourd'hui.
Commençons par la moralité. Selon les dictionnaires, la "moralité" c'est l'aptitude à se conformer à un ensemble de principes moraux. Nous voilà bien avancés. Car de quels principes s'agit-il ? Quelles vont être les valeurs de référence ? Il ne s'agit pas de l'absence de condamnation pénale puisque ce critère est déjà inclus dans une autre disposition du texte. Mais alors quelles questions vont être mentionnées dans le questionnaire et sur quoi va porter l'enquête administrative ?
Imagine-t-on un document comportant les questions suivantes : "Etes-vous de bonne moralité ?", ou "Vous comportez-vous correctement dans la vie courante ?", ou encore "Avez-vous parfois des comportements contraires à la morale ?", ou "Etes vous un bon citoyen", ou d'autres encores... On attend avec autant d'impatience que de curiosité le décret qui, si le texte est adopté en l'état, viendra préciser le contenu du questionnaire.
La notion d'impartialité est plus familière au juriste. L'impartialité, toujours selon les dictionnaires, c'est la capacité à aborder une problématique sans aucun parti pris, sans préjugé. C'est pourquoi, par exemple, un juge ne peut pas intervenir dans une affaire s'il a un lien particulier avec l'une des parties.
Mais s'agissant de citoyens jusqu'à présent inconnus des services judiciaires, et dont on ne sait pas au moment du recrutement quelles affaires ils auront à juger, comment leur "impartialité" va-t-elle, dès la phase du recrutement, être recherchée et analysée ? On peut diffilement concevoir qu'ils soient à l'avance interrogés sur toutes leurs relations professionnelles, familiales ou amicales de façon générale, sans lien avec un quelconque procès.
S'agira-t-il d'obtenir des renseignements pour, au moment de les affecter dans telle ou telle audience, vérifier que rien dans leur profil ne peut les faire suspecter de partialité ? Par exemple, si des citoyens assesseurs doivent venir siéger dans une affaire d'agression d'un commerçant, devra-t-on écarter tous ceux qui dans la case "profession" auront inscrit "commerçant" ? (lire aussi ici) Mais cela est-il vraiment un motif suffisant ? Et pour continuer avec le même exemple, faudra-t-il aller jusqu'à écarter pour le même motif le conjoint d'un commerçant, voire un membre plus éloigné de la famille d'un commerçant ? Et si la victime est un marchand de journaux, considérera-t-on qu'il faut écarter un autre marchand de journaux mais pas un commerçant qui a une boutique de vêtements ? Et les clients de ce buraliste, devrait-on les écarter du fait de l'éventuelle sympathie qu'ils peuvent avoir envers lui ? Mais si tel est le cas, combien de dizaines de questions faudra-t-il prévoir dans le questionnaire ?
De la même façon, devra-t-on écarter le conjoint d'un policier au motif qu'il n'est jamais exclu qu'à l'audience le prévenu ou son avocat conteste le comportement des enquêteurs ? Ou le conjoint d'un avocat ?
Et que devra-t-on faire quand il s'agira de juger une personne étrangère et que le citoyen assesseur prévu apparaîtra, bien que de nationalité française, être familialement originaire du même pays ?
Plus largement, un quelconque questionnaire ou une enquête de quelque nature qu'elle soit suffiront-ils à déceler ceux parmi les tirés au sort qui ont la plus grande ouverture d'esprit ?
Par ailleurs, se pose la question du contrôle des réponses aux questionnaires et du résultat des enquêtes. Tant qu'il s'agira de réponses données par écrit (questionnaire) ou oralement (enquête) par les personnes tirées au sort, quels moyens auront les services judiciaires pour vérifier ce qui a été dit ? Car de deux choses l'une. Ou bien les réponses données sont considérées par principe comme conformes à la réalité, et cela rend les investigations peu utiles. Ou bien il doit être procédé à une vérification du bien fondé des réponses et l'on peut se demander par quel biais cela peut être réalisé (enquête auprès des proches, des voisins, des collègues ?). Sans même aborder la question du temps indispensable et des moyens pour le faire.
Au-delà de ce projet de loi, se pose également la question de la cohérence du mécanisme avec celui qui est applicable à la cour d'assises. En effet, existe-t-il des raisons convaincantes d'envisager différemment le recrutement des citoyens susceptibles de devenir des "jurés" à la cour d'assises de ceux qui peuvent devenir des "citoyens assesseurs" dans les tribunaux correctionnels ? Ce sont à chaque fois des citoyens qui évoluent en dehors de l'institution judiciaire et à qui on demande de juger une affaire pénale. Il semble donc plauisble d'envisager dans toutes les configurations des exigences et des modalités de recrutement identiques.
Or le projet de loi ne modifie pas le mécanisme de recrutement des jurés de la cour d'assises. (lire ici et ici). Ceux-ci ne reçoivent aucun questionnaire détaillé et ne font l'objet d'aucune enquête. Le seul moment où ils peuvent être écartés est pendant le tirage au sort du jury en début de chaque affaire, quand s'exerce le droit de récusation (lire ici).
S'agissant plus précisément de cette récusation qui est envisagée aussi pour eux, la règle prévue dans le projet de loi pour les citoyens assesseurs est très différente de celle qui concerne les jurés. En effet, si la récusation de ces derniers se fait de façon discrétionnaire, sans que le ministère public ou les avocats de l'accusé aient à énoncer une quelconque raison (il leur est même interdit de le faire), il est prévu pour les premiers un mécanisme identique à celui de la récusation des juges (textes ici). En clair la partie qui voudra récuser un citoyen assesseur devra en exposer publiquement les raisons, et la demande sera examinée par les magistrats composant le tribunal.
D'où cette question : qu'est-ce qui justifie fondamentalement une différence de modalité de recrutement aussi importante, en plus avec des exigences moindres pour le jugement des affaires les plus graves ? Autrement dit, est-on assuré de la cohérence de l'ensemble des mécanismes visant à associer des citoyens au travail des magistrats ?
A de nombreuses reprises au cours des années passées, des voix se sont élevées pour dénoncer la trop faible qualité de textes rédigés dans la précipitation à la suite d'un fait divers ou d'une exigence exprimée au sommet de l'Etat (lire ici), sans réflexion approfondie préalable.
On peut souhaiter, si l'arrivée des citoyens jurés est confirmée, que le cadre réglementaire entourant cette participation soit élaboré sans précipitation, afin qu'au final les textes soient d'une qualité, d'une cohérence et d'une efficacité minimales.
Il faudra donc dans les prochaines semaines observer ce qui résultera du travail parlementaire.