Petite synthèse finale à propos du mariage pour tous
Par Michel Huyette
Avant de passer à un autre sujet (pour les épisodes précédents lire ici, ici, ici, ici, et ici), parce qu'il existe quand même d'autres préoccupations au moins aussi importantes, tentons de faire pour finir une brève synthèse des éléments en notre possession autour des sujets tellements controversés du mariage pour tous et de l'homoparentalité.
Ce que l'on constate, et qu'il faut commenter, c'est surtout l'incohérence ou la faiblesse de certains argumentaires.
Un juge, c'est quelqu'un qui est indifférent au résultat d'un litige, et dont le travail consiste uniquement à repérer, parmi les arguments qui lui sont proposés en faveur de chaque thèse, ceux qui sont pertinents et ceux qui ne le sont pas.
Il en va ainsi du mariage pour tous et de l'homoparentalité. Pour tous ceux qui ne se sentent pas spécialement concernés par la "cause" homosexuelle, l'intérêt du débat n'est que dans l'appréciation de la valeur des arguments en présence. Il s'agit d'une certaine façon d'une démarche intellectuelle, et non militante.
Autrement dit, peu importe que la conclusion soit favorable ou défavorable aux demandes des homosexuels. La seule chose qui compte c'est que le raisonnement qui conduit à l'une ou à l'autre de ces conclusions possibles soit construit, logique, cohérent, et par voie de conséquence peu discutable.
C'est en cela qu'il y a manifestement encore du chemin à parcourir. Et cela apparaît quel que soit l'angle d'approche.
1. Le mariage
Le mariage c'est le fait, pour deux personnes qui s'aiment profondément, de vouloir d'une part officialiser leur engagement (pour eux et pour les tiers) et d'autre part bénéficier d'un cadre juridique plus approprié et plus sécurisant que tous les autres en ce qui concerne leurs biens présents et à venir.
Si l'on considère que l'amour que peuvent se porter deux hommes ou deux femmes est identique dans sa nature, dans sa profondeur et dans sa durée à l'amour que se portent un homme et une femme, si la notion d'engagement à le même sens pour eux, si le but d'organiser et de prévoir la dévolution de leurs biens est légitime, alors il ne reste plus de raison convaincante d'interdire à ces couples de même sexe de procéder comme les couples de sexe différent.
Affirmer que la mariage comprend forcément la volonté de faire des enfants est inexact, même si cela correspond à la réalité dans une très grande majorité de cas. Certains couples hétérosexuels font le choix de ne pas avoir d'enfant. D'autres ne le peuvent pas pour des raisons médicales. Evidemment, le mariage ne leur est pas refusé au motif qu'ils n'engendreront pas d'enfant.
Le mariage entre personnes de même sexe est autorisé dans de nombreux pays (1), le premier chronologiquement depuis 2000. Personne n'a jamais démontré que le mariage de personnes de même sexe ait conduit ces pays à leur perte. Jamais ne sont signalées de difficultés spécifiques découlant de l'existence de couples homosexuels mariés dans telle ou telle société. A tel point que dans certains de ces pays le débat haineux qui se déroule en France est totalement incompréhensible. En tous cas, l'argument consistant à prédire la fin de la civilisation parce que des adultes de même sexe peuvent se marier civilement est sans aucun fondement.
C'est sans doute pourquoi de nombreux opposants indiquent qu'ils ne sont pas véritablement opposés au mariage entre personnes de même sexe et que ce qu'ils n'acceptent pas c'est l'homoparentalité.
Toutefois, une partie des couples homosexuels choisiront de se marier et ne souhaiteront pas élever d'enfant. De la même façon que certains couples hétérosexuels n'ont pas d'enfant. Pour cette raison, il ne semble pas possible de rejeter le mariage pour tous au motif que, dans tous les cas, un tel mariage ne sera que la première étape vers l'homoparentalité.
Ce qui n'empêche pas, une fois le mariage pour tous accepté, de discuter de l'opportunité d'autoriser la PMA et l'adoption pour les couples hétérosexuels.
2. Le "droit à l'enfant"
Jouant sur les mots, les opposants à l'homoparentalité déclarent être contre le "droit à l'enfant" qui serait la principale revendication des couples homosexuels. Pourtant ce "droit à l'enfant" est tout autant revendiqué par les couples hétérosexuels. Et mis en oeuvre tous les jours.
Qu'est-ce que le "droit à l'enfant", dans ce débat, si ce n'est le droit d'un couple de concevoir par des biais détournés ou de recevoir un enfant issus d'autres adultes quand la nature ne permet pas à ce couple d'engendrer ensemble un enfant ? Or tel est bien le cas, notamment, en cas de défaillance biologique de l'un de ses membres.
Le recours à la PMA (avec donneur anonyme) est accepté parce que l'on estime que ce couple a quand même "droit à un enfant" même s'il ne peut pas en concevoir.
Il en va de même avec l'adoption. Les couples qui ne peuvent pas avoir d'enfant ont recours à l'adoption non pas principalement pour venir en aide à un enfant qui n'a pas le soutien de ses parents biologiques, dans une démarche humanitaire, mais parce que l'impossibilité pour ce couple d'avoir ensemble son propre enfant engendre une béance et une grande souffrance. On considère donc cette fois encore que le couple qui ne peut pas avoir d'enfant conserve un "droit à l'enfant", et pour répondre à ce droit on lui confie un enfant issu d'un autre homme et d'une autre femme.
Rejeter le concept de "droit à l'enfant" pour les homosexuels, autrement dit revendiquer de laisser faire la nature, devrait avoir pour conséquence la suppression de la PMA et de l'adoption pour tous, y compris les hétérosexuels.
3. Les droits de l'enfant.
Les opposants au projet de loi invoquent souvent les "droits de l'enfant", sans autre précision.
Il s'agit d'une notion magique, d'une sorte de joker, que dans de nombreux domaines invoquent ceux qui veulent faire obstacle à tous les autres arguments, le "droit de l'enfant" étant brandi comme la référence suprême qui relègue toutes les autres au second plan.
Mais alors, si le "droit de l'enfant" est la référence, que répondre aux enfants qui affirment qu'en cas d'accouchement sous x, d'adoption plénière, de recours à la PMA, ils se voient privés de leur droit le plus fondamental qui est, selon eux, le droit de connaître leur géniteur(s) biologique(s) ?
Personne, parmi les opposants au mariage pour tous, n'ayant jusqu'à présent proposé de modifier notre législation pour permettre l'accès de tous les enfants à leurs origines, cela signifie que la notion de "droit de l'enfant" n'est dans ce contexte qu'une notion prétexte.
Les tenants des "droits de l'enfant" devraient vouloir les garantir dans toutes les situations. Mais tel n'est pas le cas. La notion est utilisée quand elle arrange. Et remisée au fond de la poche quand elle dérange.
Un "droit de l'enfant" à géométrie variable n'a plus beaucoup de sens.
4. Le droit à "un père et une mère"
Il est constamment avancé qu'un enfant a "droit à un papa et à une maman" ou, dans l'une des variantes du slogan, de "connaîre son papa et sa maman". Ce que l'on veut nous dire c'est que les enfants doivent être élevés par deux adultes. Et, dans la variante, que ces adlultes doivent être d'abord et avant tout son père et sa mère biologiques. Cela est pourtant en contradiction flagrante avec le cadre juridique actuel.
Une femme qui se retrouve enceinte d'un homme qui n'est pas son mari n'est pas obligée d'informer ce dernier qu'il va être père. La femme a donc le droit de priver l'enfant à naître de l'accès à son père (et le père de l'accès à son enfant). Ainsi certaines femmes choisissent d'élever seules leur enfant, et pendant des années Celui-ci n'a alors qu'un seul parent. Personne ne s'en offusque alors que l'on pourrait imaginer contraindre juridiquement toute femme enceinte à déclarer le nom du père géniteur, pour ce dernier et pour assurer le "droit de l'enfant" de connaître "son papa" (cf. plus haut).
Après divorce, de nombreuses femmes et de nombreux hommes ne se remettent pas en couple. Les enfants sont alors pendant des années élevés uniquement par un homme ou uniquement par une femme. Et dans certains cas, pour diverses raisons, ils n'ont plus de contact avec l'autre parent. Personne n'a jamais prétendu que l'absence d'un adulte de l'autre sexe, trop dommageable, impose qu'il soit interdit à ces parents d'élever seuls leurs enfants.
L'adoption plénière, c'est l'effacement complet de la réalité biologique. Par ce biais l'enfant est définitivement privé du droit de connaître ses véritables "papa et maman". On lui supprime même son état civil. C'est un mensonge juridiquement organisé.
En plus et surtout, actuellement, l'adoption plénière est possible par un célibataire. Dans un tel cas, l'enfant a un seul "parent" juridique, homme ou femme, sans présence de l'autre parent, femme ou homme. L'enfant n'a donc pas "un papa et une maman". Jusqu'à présent, y compris chez les opposants au projet de loi, personne n'a suggéré d'interdire l'adoption par les célibataires.
Avec la PMA (utilisation du sperme d'un donneur anonyme), l'enfant est privé de tout droit de connaître son père biologique. Il ne connaît jamais "son papa".
L'accouchement sous x permet à une femme d'interdire à son enfant de connaître sa mère, et encore plus son père. L'enfant ne connaît ni "son papa" ni "sa maman".
Dès lors, peut-on de façon convaincante soutenir à propos du mariage pour tous qu'un enfant doit être élevé par deux parents quand, en droit et en fait, d'innombrables enfants sont élevés par un seul adulte sans que personne n'y décèle de difficulté particulière ?
Peut-on soutenir à cette même occasion qu'un enfant doit avoir la possibilité de connaître ses deux véritables parents quand notre législation prévoit de multiples hypothèses interdisant à des enfants de connaître l'un de leurs parents ou même leurs deux parents biologiques ?
L'absence de cohérence d'ensemble affaiblit considérablement les arguments, dans un sens ou dans un autre. Autrement dit, il est peu plausible de s'opposer à quelque chose le lundi tout en l'acceptant tous les autres jours de la semaine.
5. Les compétences éducatives des adultes hétérosexuels et homosexuels
Nous sommes là au coeur de la problématique, où le débat est le plus vif.
S'interroger sur les compétences de deux adultes de même sexe vivant en couple à élever des enfants de façon aussi performante que des couples de sexe différent est légitime. Se demander si un enfant risque de pâtir de l'absence d'un adulte/parent de sexe différent de l'autre est nécessaire.
Ce qui est nettement plus discutable, c'est de répondre oui ou non pour des raisons uniquement de principe. Affirmer que l'on est pour, ou que l'on est contre, un point c'est tout, ne peut certainement pas suffire.
S'il s'agissait de mettre en place quelque chose de nouveau, jamais expérimenté jusqu'à ce jour, quelque chose n'ayant rien de commun avec ce qui s'est fait jusqu'à présent, d'importantes précautions seraient indispensables. Mais la réalité n'est pas celle-là.
Depuis des années, en France, des homosexuel(le)s vivent en couple de façon durable. Selon l'INSEE ils seraient environ 200.000 (lire ici). Parmi ces couples, un certain nombre élève des enfants. Il y en aurait quelques dizaines de milliers (lire ici).
Cela signifie qu'il est, dès à présent, tout a fait possible d'examiner la façon dont ces enfants grandissent auprès de personnes de même sexe et d'en tirer les conclusions utiles, positives ou négatives. Pourtant, jamais les opposants au mariage pour tous et à l'homoparentalité ne prennent l'exemple de vraies familles homoparentales, de vrais enfants grandissant dans ces familles, pour démontrer, vérifications faites et éléments objectifs à l'appui, que, concrètement, c'est effectivement nuisible pour des enfants de grandir auprès de deux hommes ou de deux femmes.
Car de deux choses l'une. Ou bien l'absence d'un référent adulte de l'autre sexe engendre des manques, des troubles, des désordres chez les enfants, et cela doit inéluctablement se percevoir. Ou bien les enfants grandissent tout aussi bien auprès d'adultes de même sexe qu'auprès d'adultes hétérosexuels et c'est alors tout l'argumentaire des opposants qui s'écroule.
Dès à présent nous disposons de quelques éléments de réflexion utiles.
Aujourd'hui l'adoption est permise par des adultes homosexuels célibataires. Cela signifie qu'en France d'une part un adulte homosexuel est considéré comme parfaitement apte à élever un enfant, et d'autre part le fait que cet adoptant puisse se mettre en couple avec une personne de même sexe n'est pas un argument jugé suffisant pour faire obstacle au processus d'adoption. Au demeurant, si deux hommes ou deux femmes, pris séparément, sont tous deux considérés aptes à élever un enfant, il est difficile de saisir en quoi ils deviendraient incompétents ou généreraient des troubles chez leurs enfants au seul motif qu'ils se mettraient en couple avec une autre personne compétente mais de même sexe (2).
Dans de nombreux couples de femmes l'une d'entre elles se rend actuellement dans un pays étranger pour bénéficier d'une PMA. Ce sont alors deux femmes qui élèvent l'enfant mis au monde par l'une d'elles. Or personne (membre de la famille, voisin, services sociaux, enseignants, médecins etc..) n'a jamais demandé à la justice d'enlever ces enfants à ces couples de femme au motif qu'ils seraient dans une situation dangereuse et dès lors inacceptable. Cela signifie qu'aujourd'hui on considère que deux femmes peuvent élever correctement un enfant.
Quand dans un couple hétérosexuel l'un des deux s'en va pour aller vivre avec une personne de même sexe, personne n'a jamais soutenu qu'il fallait à tout prix empêcher cet homme ou cette femme, dorénavant en couple avec une autre personne de son sexe, d'exercer son droit de visite et d'hébergement et même de voir fixer à son domicile la résidence permanente de l'enfant. Cela signifie, encore une fois, que personne ne considère que deux personnes de même sexe sont inaptes à élever un enfant.
A l'inverse, en France, chaque année, des dizaines de millers d'enfants sont considérés comme en danger au sens de l'article 375 du code civil (texte ici). Mais les familles dans lesquelles les juges des enfants trouvent des enfants qui grandissent dans des situations souvent catastrophiques sont des familles composées de parents hétérosexuels. On ne sait pas vraiment à quel point les familles sont déstructurantes pour un nombre considérable d'enfants. Les services éducatifs sont débordés, les services de pédo-psychiatrie sont pleins. C'est pourquoi présenter la famille aux parents hétérosexuels comme un modèle de havre de paix pour les enfants est l'une des pires supercheries du débat.
Mais venons en à l'essentiel.
Puisque des milliers d'enfants grandissent auprès de parents de même sexe, qu'est-ce qui empêche de regarder ce qui se passe concrètement dans ces familles ?
Ces enfants élevés par des adultes homosexuels vont à la crèche, à l'école, dans des clubs de sport, consultent des médecins, se rendent dans les familles des copains et, bien sûr, dans la famille élargie (grands-parents, oncles et tantes, cousins etc..). Comme tous les autres enfants, ils sont vus, regardés, examinés par de nombreux adultes.
Combien de fois des enseignants ont-ils alerté leur académie, ou les services sociaux, en constatant que certains de leurs élèves grandissent mal, sont perturbés dans leurs apprentissages ou dans leur socialisation, parce qu'ils sont élevés par des adultes de même sexe ? Le ministère de l'éducation nationale pourrait sans doute fournir des indications utiles.
Combien de fois les services départementaux de l'Aide sociale à l'enfance, qui quadrillent nos villes et nos quartiers, ont-ils été alertés par des personnes inquiètes, puis ont-ils constaté que des adultes de même sexe sont moins aptes que les autres à élever des enfants et que de telles configurations génèrent inéluctablement des troubles chez ces derniers ? Les présidents des conseils généraux, et notamment ceux qui ont manifesté contre le mariage pour tous, devraient nous dire ce que leurs services ont - ou n'ont pas - constaté.
Des médecins, des psychogues ayant rencontré parents homosexuels et enfants élevés par eux ont-ils décelé chez les premiers des incapacités à élever ces derniers, ou, en tous cas, constaté objectivement chez les enfants des troubles du comportement découlant de l'absence à la maison d'adultes des deux sexes ? Les organisations professionnelles pourraient nous apporter d'intéressantes informations, concrètes, allant au-delà des pétitions de principe.
Or, jusqu'à présent, et alors que le débat en cours a libéré la parole, comment expliquer que personne ne se soit encore levé pour dire : "Moi, du fait de mon métier, j'ai croisé des enfants élevés par des couples homosexuels et j'ai constaté, concrètement, qu'ils grandissent bien plus mal que dans les familles ordinaires"?
Faut-il penser dès maintenant, avant même une enquête à plus grande échelle dans les familles homoparentales, que si personne ne signale quoi que ce soit de particulier (en dehors du regard péjoratif et malsain des autres mais dont les victimes ne sont pas responsables) c'est tout simplement parce que dans ces familles il ne se passe rien de particulier qui justifie méfiance, crainte ou refus ?
Et puis, combien de ceux qui affirment péremptoirement, par principe, qu'être élevé par deux adultes de même sexe est forcément catastrophique pour les enfants ont-ils rencontré, ont-ils parlé, ont-ils observé, ont-ils passé un temps de vacances avec de telles familles ? (lisez ceci)
Enfin et peut-être surtout, pourquoi ne demande-t-on pas plus souvent à ces adultes et à ces enfants de s'exprimer, de dire comment ils vivents, quelles difficultés ils rencontrent, ce qui va bien et ce qui va moins bien ? Aurait-on peur du résultat ?
En tous cas, il y a quelque chose de surréaliste à lancer des affirmations concernant une partie de la population sans jamais tenter de savoir, concrètement, comment vit cette partie de la population. Et avant même d'avoir vérifié si les craintes de départ, légitimes, sont au final justifiées ou non.
Et c'est bien parce que certains des opposants ne sont nullement intéressés par la situation réelle des familles homoparentales qu'il faut aller chercher ailleurs les raisons de leur opposition.
5. Les raisons des tensions
Il s'agit là de la plus délicate des questions. Certaines réponses sont évidentes, d'autres le sont beaucoup moins.
Tous les commentateurs ont souligné la récupération politique du débat. Une partie de ceux qui contestent bruyamment le projet de loi n'y sont pas véritablement opposés mais trouvent dans le débat, qu'ils attisent au maximum, un moyen de s'opposer à l'autre camp politique. Le mariage pour tous n'est qu'un prétexte dans un combat de pouvoirs de plus en plus tiré vers le bas, les arguments étant remplacés par des invectives, des grossièretés, et de plus en plus des agressions verbales et maintenant physiques.
Il persiste chez certains le mythe de la famille naturelle, composée de parents hétérosexuels géniteurs, vue comme la famille idéale et éternelle. Nous avons dit plus haut de ce qu'il est en du caractère idéal de la famille ordinaire. Mais par ailleurs, force est de constater que cette famille classique a disparu depuis un long moment. Le mariage n'intéresse plus qu'une fraction des couples qui sont très nombreux à préferer le concubinage même sur le long terme, de nombreux enfants naissent chaque année hors mariage, les recompositions qui résultent des séparations font grandir des centaines de milliers d'enfants auprès d'adultes qui ne sont juridiquement rien pour eux, sans compter les nombreux enfants qui grandissent auprès d'un adulte célibataire.
L'homosexualité dérange, comme toutes les différences. Elle dérange parce que pour beaucoup c'est un territoire inconnu donc ouvert à l'imaginaire. Elle dérange d'autant plus qu'elle impose de s'interroger sur l'intimité des êtres humains.
Aujourd'hui, l'homosexualité, est encore considérée comme un délit dans 90 Etats et un crime dans 7 pays du monde. En août 1960, l'homosexualité était inscrite dans la loi comme l'un des "fléaux sociaux" au même titre que l'alcoolisme et la prostitution. Et ce n'est qu'en 1973 que l'homosexualité a été enlevée de la liste américaine des maladies mentales. Et ce n'est qu'en 1992 que l'OMS l'a déclassifiée de la catégorie des maladies (3). Il subsiste donc aujourd'hui encore quelque chose de cette vision archaïque de l'homosexuel. Qui pourtant, pour un très grand nombre d'entre eux, sont des gens tout simplement ordinaires.
Au-delà, il existe chez certains une haine viscérale de l'autre différent. Dans tous les pays, à toutes les époques, la différence des uns ou des autres a été rejetée, méprisée, pénalisée, violentée. Au fil du temps ces autres n'ont pas toujours été les mêmes. Mais ils étaient tous des autres différents.
Conclusion
Aujourd'hui des personnes de même sexe vivent en couple et cela ne se passe ni mieux ni moins bien que dans les autres couples.
Aujourd'hui des personnes de même sexe élèvent ensemble des enfants et il se pourrait, en l'absence d'éléments contraires qui probablement ne manqueraient pas d'apparaître et d'être dénoncés si tel était le cas, que cela ne se passe ni mieux ni moins bien que dans les autres familles.
Quoi qu'il en soit la démarche qui pourrait rapprocher (un peu ?) les points de vue pourrait s'articuler autour de deux axes principaux :
- Faire l'inventaire des cas dans lesquels il a été constaté au cours des années écoulées, concrètement, que l'absence d'un adulte de l'autre sexe auprès d'enfants élevés par deux homosexuel(le)s a généré des troubles provenant exclusivement de cette configuration familiale,
- Reconstruire la notion de "droits de l'enfant" et l'appliquer de façon indifférenciée à toutes les situations, pour mettre un terme à des incohérences trop flagrantes qui ôtent leur crédibilité à de nombreux argumentaires.
Cela ne fera sans doute pas évoluer l'attitude de ceux qu'une conception définitivement figée de la société ou que la haine de l'autre empêche de bâtir un raisonnement argumenté, cohérent et indiscutable. Ni ne fera obstacle aux récupérations de toutes sortes.
Mais au moins, si l'on invite les premiers intéressés dans le débat, saura-t-on, enfin, de quoi il est véritablement question.
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1. Pays-Bas (2000) ; Belgique (2003) ; Espagne et Canada (2005) ; Afrique du Sud (2006) ; Norvège (2008) ; Suède (2009) ; Portugal, Luxembourg, Islande, Argentine et Mexique (2010) ; Danemark (2012), Uruguay et Nouvelle Zélande (2013). Et aux États-Unis, huit États l'ont déjà adopté : Connecticut, Massachusetts, Iowa, Vermont, Maine, New Hampshire, Washington, New York.
2. IL faut aussi avoir en tête que les enfants français adoptables sont de moins en moins nombreux et que les adoptants homosexuels sont en concurrence avec les adoptants hétérosexuels. L'adoption par un/des homosexuel(le)s restera probablement toujours marginale.
3. Sur toutes ces questions, reportez-vous au très intéressant livre de S. Portelli et C. Richard "Désirs de famille" (cf. ici)