Le mariage homosexuel et les droits de l'enfant
Par Michel Huyette
Si l'on écoute bien, il semble y avoir deux catégories principales de personnes opposées au mariage de deux hommes ou de deux femmes.
Il y a d'abord ceux, minoritaires, qui considèrent que l'homosexualité est une tare insupportable. Ce n'est pas le mariage qui les révulse, c'est le seul fait que deux personnes de même sexe puissent cohabiter. Même si les mots ne sont pas employés, le message transmis est simple et clair : l'homosexualité c'est sale, c'est honteux, c'est un vice. Ce qui explique les propos de ce religieux au cours d'une récente manifestation : "Il ne faut pas autoriser le mariage pour tous car cela risquerait d'encourager l'homosexualité".
Mais oublions cela bien vite, même s'il est un peu désolant de constater, une fois encore, que toutes les sociétés "modernes" conservent leur part d'obscurantisme.
Il y a ensuite ceux, beaucoup plus nombreux, qui sont contre le mariage entre homosexuels, mais sans l'être vraiment. Ou, plus exactement, ceux qui ne sont pas spécialement effarouchés par une union entre deux hommes ou deux femmes mais qui sont absolument opposés à ce que des enfants soient élevés par des homosexuels. Le mariage est refusé non pas pour lui même mais parce qu'il est considéré comme une étape incontrôlable vers la procréation médicalement assistée (PMA), l'adoption, voire le recours à des mères porteuses pour deux adultes de même sexe.
Nous ne nous arrêterons pas aujourd'hui sur la (l'in)capacité des couples homosexuels à élever des enfants aussi bien que des couples hétérosexuels (lire ici). Nous signalerons toutefois que dans un arrêt du 11 janvier 2013 la cour de cassation italienne vient de juger, à propos d'une affaire de garde d'un enfant dont la mère est homosexuelle qu'il n'existe pas de « certitudes scientifiques ou d'éléments tirés de l'expérience » démontrant qu'il est «préjudiciable pour l'équilibre et le développement de l'enfant » de « vivre dans une famille composée d'un couple homosexuel », qu'est un « préjugé » le fait de penser le contraire, et que soutenir qu'il existe un danger pour un enfant relève du postulat du fait que l'on « donne pour évident ce qui est au contraire à démontrer, à savoir le danger de ce contexte familial pour l'enfant » (1).
Ce qui nous intéresse ce jour, c'est le débat autour des "droits des enfants". En effet on lit ou on entend que : "un enfant doit avoir un papa et une maman", ou, et c'est ce qui intéresse le juriste, que "le droit de l'enfant doit primer sur le droit à l'enfant", ou encore que le projet gouvernemental "tend à promouvoir un droit à l'enfant qui fait passer celui-ci de sujet à objet de droit" (2).
Le "droit de l'enfant" est à la mode depuis des années. L'expression est présente dans les esprits, les livres, les normes internationales, de même que dans nos lois françaises et la jurisprudence de nos tribunaux. Il y est même parfois question "d'intérêt supérieur de l'enfant". Comment ne pas être d'accord dans l'absolu pour défendre ces fameux "droits de l'enfant".
Le problème, c'est qu'il s'agit d'un concept à géométrie variable, et c'est peu dire. Prenons en rapidement quelques exemples.
Une femme non mariée qui a croisé l'itinéraire d'un homme et a eu avec lui une ou plusieurs relations sexuelles a le droit de ne pas lui révéler sa grossesse puis la naissance de ce qui, pour l'homme et père biologique, restera toujours "son" enfant. Dès lors l'enfant ne connaîtra son père que si la mère accepte de lui donner quelques informations. Existe-t-il alors un droit de l'enfant de connaître son géniteur et à entrer dans sa famille paternelle ? Non.
Si dans une telle configuration la femme informe l'homme qu'il va être/est père, celui-ci n'est en rien obligé de reconnaître l'enfant qui est pourtant biologiquement le sien. Et la mère peut ne rien dire à l'enfant à propos de son père. Existe-il alors un droit de l'enfant à connaître son père quand celui-ci, avec l'accord de la mère, préfère l'ignorer ? Non.
Les femmes ont le droit d'accoucher anonymement. Dans ce cas l'enfant est accueilli par les services de l'aide sociale à l'enfant et ensuite placé dans une famille en vue de l'adoption. Existe-t-il un droit de l'enfant de connaître au moins sa génitrice, la femme qui l'a porté puis qui l'a mis au monde ? Non.
Dans les couples dont l'homme est stérile, la PMA permet l'insémination de la femme avec le sperme d'un tiers donneur anonyme. Existe-t-il un droit de l'enfant de connaître son père biologique et par voie de conséquence sa famille paternelle ? Non.
L'adoption plénière supprime définitivement tout lien entre un enfant et ses parents biologiques. Existe-t-il dans ce cas un droit de l'enfant de connaître ses deux géniteurs, sa famille, son histoire ? Non.
Tout cela ne serait pas bien grave si les enfants concernés, une fois devenus adultes, n'étaient pas aussi nombreux à dire l'immense souffrance générée par l'impossibilité de connaître et d'appréhender leur histoire à travers leurs origines. Ils nous expliquent les uns après les autres à quel point est douloureux le fait de ne pas savoir d'où ils viennent, qui ils sont, qui leur a transmis telle particularité physique, tel trait de caractère, de devoir se contenter d'imaginer que quelque part se trouvent un père, une mère, un demi frère ou une demi soeur, qu'ils ne pourront jamais connaître, ni interroger, ni embrasser.
C'est au demeurant ce qui explique que dans de nombreux pays l'anonymat des géniteurs masculins ou féminins a été supprimé. Quitte à rendre plus difficile la mise en oeuvre du "droit à l'enfant".
Quoi qu'il en soit, en France, dans ces situations souvent dramatiques, il n'y a plus aucun "droit de l'enfant". Ces enfants ne peuvent que subir les choix des adultes, parents et législateur, et ce sont bien les droits des adultes qui sont considérés comme prioritaires.
Qu'est-on obligé de constater alors ? Qu'un jour, quand cela arrange, les "droits de l'enfant" sont brandis comme l'argument ultime, et que dès le lendemain les "droits de l'enfant" sont enfouis au fond des poches avec les mouchoirs par dessus parce que la notion n'intéresse/n'arrange plus.
Que l'on débatte des "droits de l'enfant" et que l'on veuille en faire le coeur de l'argumentation est parfaitement légitime. Une fois cette notion replacée là où elle doit l'être, c'est à dire en tête des préoccupations, chacun en tirera les conclusions qui lui sembleront les plus justes A condition d'aboutir à des "droits de l'enfant" cohérents, généraux, et permanents.
En attendant, comme le montrent les discussions à l'occasion du projet de mariage pour tous, le débat opportuniste sur les "droits de l'enfant" continuera à être ce qu'il est depuis la nuit des temps : une gigantesque hypocrisie.
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1. Recueil juridique Dalloz, 2013 p. 177
2. Avis de l’Académie des sciences morales et politiques sur le projet de loi ouvrant le mariage aux personnes du même sexe., 21 janvier 2013.