L'adoption par les homosexuels
Par Michel Huyette
Cet article a été mis en ligne une première fois en octobre 2009. Le débat autour du mariage entre personnes de même sexe et par ricochet autour de l'adoption par les couples homosexuels étant relancé, il est de nouveau proposé aux visiteurs, après avoir été légèrement modifié.
Une femme (et non deux, cf. art 343-1 du code civil), vivant en couple avec une autre femme, a sollicité de son Conseil Général un agrément pour pouvoir adopter un enfant. Un refus lui ayant été opposé, elle a saisi (je simplifie les étapes procédurales qui importent peu) la Cour européenne des droits de l'homme qui, dans une décision du 22 janvier 2008, a jugé ce refus contraire à la convention européenne.
La Cedh a considéré que la procédure de "demande d'agrément (poursuit) un but légitime, à savoir protéger la santé et les droits des enfants pouvant être concernés par une procédure d'adoption", que "les autorités nationales disposent d'une large marge d'appréciation lorsqu'elles sont appelées à se prononcer dans un tel domaine", qu'elle avait déjà "noté la division de la communauté scientifique, qui était partagée sur les conséquences éventuelles de l'accueil d'un enfant par un ou des parents homosexuels", que "S'agissant du recours, par les autorités internes, au motif tiré de l'absence de référent paternel ou maternel dans le foyer d'un demandeur à l'agrément en vue d'adopter, la Cour estime que cela ne pose pas nécessairement problème en soi. Toutefois, dans les circonstances de l'espèce, il est permis de s'interroger sur le bien-fondé d'un tel motif qui a finalement pour conséquence d'exiger de la requérante qu'elle justifie, dans son entourage proche, de la présence d'un référent de l'autre sexe, risquant ainsi de vider de sa substance le droit qu'ont les célibataires de demander l'agrément, dès lors que la présente affaire ne concerne pas une demande d'agrément en vue d'adopter présentée par un couple, marié ou non, mais par une célibataire. Aux yeux de la Cour, un tel motif aurait donc pu conduire à un refus arbitraire et servir de prétexte pour écarter la demande de la requérante en raison de son homosexualité", que "dès lors que le demandeur ou la demanderesse, bien que célibataire, a déjà constitué un foyer avec un ou une partenaire, la position de ce dernier et la place qu'il occupera nécessairement au quotidien auprès de l'enfant qui viendra vivre dans le foyer déjà formé commandent un examen spécifique, dans l'intérêt supérieur de l'enfant.", que "La Cour constate donc que les juridictions administratives ont eu soin de juger que les orientations sexuelles de la requérante, bien que prises en compte, ne fondaient pas la décision litigieuse et ne faisaient pas l'objet d'une position de principe hostile.", que "Cependant, de l'avis de la Cour, le fait que l'homosexualité de la requérante ait été aussi présente dans les motivations des autorités internes est significatif.", que "certains avis étaient rédigés en des termes révélateurs, s'agissant de la prise en compte, de manière déterminante, de l'homosexualité de la requérante", que "malgré les précautions de la cour administrative d'appel de Nancy, puis du Conseil d'Etat, pour justifier la prise en compte des « conditions de vie » de la requérante, force est de constater que les orientations sexuelles de cette dernière n'ont cessé d'être au centre du débat la concernant et qu'elles ont été omniprésentes à tous les niveaux des procédures administrative et juridictionnelle".
Et la cour conclut : "Compte tenu de ce qui précède, force est donc de constater que les autorités internes ont, pour rejeter la demande d'agrément en vue d'adopter présentée par la requérante, opéré une distinction dictée par des considérations tenant à son orientation sexuelle, distinction qu'on ne saurait tolérer d'après la Convention." et que "En conséquence, compte tenu de ce qu'elle a indiqué au paragraphe 80 ci-dessus, la Cour estime que la décision litigieuse est incompatible avec les dispositions de l'article 14 combiné avec l'article 8."
Ecartons nous maintenant de cette affaire locale pour réfléchir plus largement sur le devenir de telles situations.
La position de la cour européenne des droits de l'homme est considérée par les associations homosexuelles comme une victoire. Cela est sans doute vrai si la question posée est : "Un adulte homosexuel peut-il se voir refuser l'agrément à l'adoption pour le seul motif de son orientation sexuelle ?", puisque la réponse est dorénavant clairement non.
De fait, si l'on s'en tient au seul critère de l'orientation sexuelle, il est bien difficile de démontrer en quoi un adulte homosexuel est par hypothèse moins apte à élever un enfant qu'un adulte hétérosexuel. Le fait que chez les couples "classiques" on trouve en grande quantité des violences entre conjoints, de même que des agressions sexuelles et physiques sur les enfants, sans oublier les séparations en forme de guerillas dont les enfants manipulés par les uns et les autres sont les premières victimes, ne permet pas vraiment aux hétérosexuels de se positionner en donneurs de leçons.
Seules des oppositions de principe, pour des raisons philosophiques ou religieuses, ou plus insidieusement à cause d'un sentiment que l'homosexualité c'est "sale", autrement dit une méfiance instinctive mais non issue d'un raisonnement élaboré, peuvent conduire à considérer qu'un enfant est forcément en danger auprès d'un homosexuel ou d'un couple homosexuel.
Mais le droit européen suffit-il à ouvrir aussitôt la porte à des adoptions en nombre par des homosexuels ? Cela est bien moins certain, et cette victoire pourrait être pour partie un trompe l'oeil.
Aujourd'hui, s'agissant des enfants adoptables français, nous savons qu'il y a beaucoup plus de demandes d'adoption que d'enfants adoptables. C'est très bien côté enfants puisque cela signifie que de moins en moins de parents sont dans l'incapacité de les élever. C'est moins bien côté adoptants puisque de plus en plus d'adultes attendent désespérément de pouvoir adopter un enfant (d'où des fréquentes tentatives d'adoption d'enfants étrangers).
La nouvelle question, redoutable, qui se pose alors est la suivante : quand les services décideurs devront choisir pour un enfant son adoptant parmi plusieurs candidats aux capacités éducatives identiques, quelles raisons auront-ils de préférer un(e) célibétaire homosexuel ou un couple homosexuel (1) à un couple constitué d'un homme et d'une femme ?
Autrement dit, le fait de grandir auprès d'un homme et d'une femme vivant en couple présente-t-il incontestablement des avantages pour un enfant en terme de construction de son identité, avantages, si tel est le cas, dont il serait privé auprès d'un(e) homosexuel(le) seule ou vivant en couple avec une personne du même sexe ?
Si la réponse est positive la problématique se résume de la façon suivante : pas de critique contre les couples homosexuels considérés par principe comme parfaitement aptes à élever très correctement et sainement un enfant, mais un "plus" apporté par les couples hétérosexuels qui offrent à l'enfant élevé un double repère homme + femme.
Cela reviendrait à privilégier clairement l'intérêt "supérieur" de l'enfant, au sens des conventions internationales.
Et ce serait une nouvelle situation de conflits de droits, comme nous en avons récemment parlé à propos de l'accouchement sous x.
Mais ce qui complique encore un peu plus l'appréhension de cette problématique, c'est que les professionnels de l'enfance, notamment les psys, ne sont pas tous du même avis sur l'importance, pour les enfants, d'avoir autant que possible, et en même temps, un référent homme et un référent femme.
Deux positions extrêmes peuvent sans doute être écartées. Ni le "il faut traiter l'adoption par les homosexuels exactement comme l'adoption par les hétérosexuels sans se poser de questions", ni le "jamais les homosexuels ne pourront offrir aux enfants les mêmes avantages que les hétérosexuels" ne sont à retenir.
Il reste alors un entre-deux incertain imposant de prolonger l'analyse.
C'est pourquoi il serait intéressant et utile que des professionnels réellement objectifs observent l'évolution des enfants dans les différentes configurations et, si cela est possible, décrivent les conséquences pour les enfants des unes et des autres. Mais cela risque d'être une mission particulièrement périlleuse.
En tous cas, quelles soient les décisions finales et les éventuelles évolutions législatives, il est indispensable qu'elles prennent en compte d'abord le devenir des enfants, qui ne doivent pas devenir les enjeux, ni les victimes, de conflits de positions de principes trop réductrices.
Quoi qu'il en soit le débat reste ouvert, dans lequel chaque citoyen a son mot à dire, à condition toutefois que sa réflexion ne soit pas dévoyée par une montagne de préjugés...
--------
1. Il ne peut pas en droit y avoir adoption plénière par deux homosexuels en couple car selon les termes de l'article 343 du code civil l'adoption ne peut être demandée que par des "époux", "mariés" depuis au moins deux années. Si ces conditions étaient maintenues, l'adoption par un tel couple supposerait préalablement le droit de se "marier".