Le véritable enjeu derrière le mariage pour tous
Par Michel Huyette
A supposer que cela en soit une, la "cause" des homosexuel(le)s n'est probablement pas l'une de celles qui instinctivement mobilise le plus.
La mobilisation est d'autant moins encouragée que l'enjeu, quoi que l'on en dise, semble presque dérisoire. Cela pour plusieurs raisons.
- Aujourd'hui 15 pays dans le monde et 8 Etats aux USA (1) permettent le mariage entre personnes de même sexe, certains depuis plus de dix années. Et personne n'a prétendu, et encore moins démontré, que cela a conduit ces pays au désastre qui en France nous est prédit chaque jour.
- Au moment du débat sur le PACS en 1999 (cf. ici et ici), une grande partie de ceux qui aujourd'hui s'opposent à une évolution de la législation nous avaient déjà promis l'apocalypse. Le PACS est entré dans les moeurs et n'a entraîné aucun bouleversement dans notre société. Depuis longtemps plus personne n'y prête attention.
- Une fois la loi prochainement votée et les tensions retombées, des couples d'hommes et de femmes qui s'aiment et qui ont choisi une vie commune iront à la mairie pour s'y marier. Très vite personne n'en parlera plus, et il n'y aura même pas trois lignes dans les journaux locaux. Le fait que ces hommes et ces femmes aient un document signé du maire de leur commune dans le tiroir de leur bureau n'empêchera pas la planète de continuer à tourner. Rapidement, plus personne n'y prêtera attention.
- Demain, comme déjà aujourd'hui, des d'enfants grandiront auprès de personnes de même sexe (2). Certains seront issus d'une aide médicale à la procréation, déjà autorisée dans notre législation pour les couples hétérosexuels et permise pour les homosexuelles dans d'autres pays, certains seront adoptés comme cela est également permis actuellement à des personnes célibataires homosexuelles. Célibataires qui peuvent évidemment, après l'arrivée de l'enfant adopté, se mettre à tout moment en couple avec une personne de même sexe sans que quiconque pense nécessaire d'éloigner l'enfant adopté.
Au demeurant et jusqu'à présent, il n'est jamais venu à l'idée de quiconque de demander à un procureur de la République ou à un juge des enfants d'intervenir dans une famille au seul et unique motif qu'un enfant grandit auprès de deux parents de même sexe. Ce qui suffit à démontrer, si besoin était, que ce genre de situation n'inquiète personne.
Et, comme pour tous les enfants, ce qui comptera par dessus tout sera la qualité de l'affection, du soutien, de l'encouragement que leur apporteront les adultes qui les entourent, et non leurs orientations sexuelles (lire ici et ici et ici).
Ces enfants continueront à grandir correctement et, dans peu de temps, plus personne n'y prêtera attention.
C'est bien pourquoi, dans quelques années, la prochaine génération aura bien du mal à comprendre pourquoi, ce qui lui apparaîtra banal et sans enjeu, a entraîné un tel déchainement de violences en 2013.
Tout cela pour souligner combien l'ampleur des oppositions, et surtout les formes de leur manifestation, sont disproportionnées, c'est peu dire, par rapport à la faiblesse des enjeux réels. Depuis des semaines, il n'y a pas de débat. L'échange d'arguments a été remplacé par une succession permanente d'invectives, de grossièretés, de dénonciations outrancières, d'agressions verbales et maintenant physiques. Quand bien même la civilisation n'est pas en péril, c'est peu dire.
Cela incite à penser que la raison d'être de toutes ces manifestations n'est réellement ni le mariage pour tous, ni la situation des enfants élevés par des adultes de même sexe. C'est ailleurs qu'il faut aller chercher la racine de telles férocités.
Ce que l'on observe, une fois encore, c'est le rejet de l'autre différent. Et la revendication d'une civilisation uniforme, dans laquelle aucune tête n'a le droit de dépasser du rang.
Ce qui est reproché aux homosexuels, ce n'est pas vraiment de vouloir se marier et parfois de fonder une famille. Non, ce qui leur est reproché, consciemment ou non, c'est d'être différents. D'être trop différents. De ne pas être dans la norme. Ou plus exactement de ne pas être dans la norme de ceux qui refusent tout droit à la différence.
Et c'est alors que commence à poindre une certaine inquiétude.
Aujourd'hui, toutes nos règles juridiques nationales et internationales s'opposent aux discriminations fondées sur l'origine, la religion, les opinions, ou, pour ce qui nous intéresse, les orientations sexuelles.
Ainsi, par exemple, l'article 225-1 du code pénal (textes ici) relatif aux discriminations en général prévoit que :
"Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs moeurs, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée."
De façon plus générale encore, l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (texte ici) rappelle que :
"La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation."
Ce que nous disent ces textes, c'est que l'acceptation de la différence est (devrait-être, faudrait-il sans doute écrire plus justement) dans notre pays et plus largement dans tous les pays européens, une de nos valeurs les plus essentielles.
Non pas seulement parce que la rencontre avec un autre différent est chaque fois un enrichissement puisque cet autre non identique nous apporte toujours quelque chose que nous n'avons pas. Mais parce que le refus de la différence conduit inéluctablement au rejet, puis à la haine, puis à la violence.
Pourtant, nous savons trop bien où cela peut nous mener.
Le véritable enjeu, contrairement aux apparences, n'est pas dans le mariage de personnes de même sexe ni dans l'homo-parentalité, qui ne constituent que la surface en trompe l'oeil d'un débat alimenté par des courants bien plus profonds, et bien plus dangereux.
L'enjeu véritable peut se résumer en une seule question : le refus de la différence, la discrimination, et la haine de l'autre conduisent-ils une société vers le progrès ?
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1. cf ici. S'y ajoute la Nouvelle Zelande depuis 2013.
2. Ils seraient entre 50.000 et 200.000 aujourd'hui (cf. ici)