Quelle cohérence dans le débat autour du "mariage pour tous" ?
Par Michel Huyette
Comme nous l'avons déjà écrit ici, on peut être pour ou contre le mariage entre deux personnes de même sexe, pour ou contre la procréation médicalement assistée et/ou l'adoption au bénéfice des couples homosexuels, l'important est de présenter un argumentaire sérieux et cohérent. La cohérence consiste alors à présenter des arguments qui s'accordent avec le droit et les pratiques déjà en vigueur ou, en cas de désaccord, à profiter du débat autour du "mariage pour tous" pour re-visiter le droit actuel et modifier ce qui doit l'être.
Nous avons vu récemment à quel point cette cohérence est inexistante en ce qui concerne la notion de "droits de l'enfant", qui est mise en avant quand cela arrange et délibérément écartée quand elle dérange (lire ici). Ces prises de position à géométrie variable, qui paraissent alors purement opportunistes, enlèvent une grande part de sa valeur à l'argumentaire qui nous est soumis.
Les échanges de ces deniers jours nous fournissent encore quelques occasions de nous interroger sur le bien fondé de certains arguments.
Il nous est d'abord prédit, en cas de légalisation du mariage homosexuel, la fin de notre civilisation dans une sorte de décadence inéluctable. Rien de moins.
Dès lors il n'est sans doute pas inutile de rappeler que plusieurs pays ont déjà autorisé le mariage homosexuel : Pays-Bas (2000) ; Belgique (2003) ; Espagne et Canada (2005) ; Afrique du Sud (2006) ; Norvège (2008) ; Suède (2009) ; Portugal, Luxembourg, Islande, Argentine et Mexique (2010) ; Danemark et Uruguay (2012). Et aux États-Unis, huit États l'ont déjà adopté : Connecticut, Massachusetts, Iowa, Vermont, Maine, New Hampshire, Washington, New York. (1)
Il serait peut être un peu hâtif de prétendre que ces pays sont composés d'être humains pervertis qui ont choisi d'aller vers l'abîme. Dès lors, même si un vaste débat autour des problématiques nouvelles reste tout à fait légitime, il est des arguments qui, outre le mépris affiché envers les citoyens et les parlementaires de ces pays, ne renforcent pas toujours le crédit de ceux qui les utilisent.
Dans un registre assez proche, il est prétendu que la classique famille formée d'enfants grandissant aux côtés de deux parents hétérosexuels est un repère essentiel à protéger en ce sens que c'est cette configuration qui offre aux enfants l'environnement le plus épanouissant.
Cela pourra, malheureusement, faire tristement sourire les professionnels de la justice. Dans la quasi totalité des cas, les violences entre conjoints (qui aboutissement à plusieurs dizaines de décès de femmes chaque année), les violences physiques sur les enfants, les agressions sexuelles sur ces mêmes enfants, les carences éducatives graves, le désintérêt ou l'abandon des enfants par les adultes, les manipulations outrancières des enfants pendant et après le divorce etc... sont constatés dans des familles composées de deux parents hétérosexuels. Les centaines de milliers d'enfants gravement en danger signalés par les services sociaux et suivis par les juges des enfants ont des parents hétérosexuels.
Prétendre que la famille classique, avec deux parents hétérosexuels, est un gage de paix, de bonheur et de sérénité n'est qu'une fiction aux antipodes de la réalité..
Il a été également avancé, par les responsables d'un important parti politique, que le mariage entendu comme l'union d'un homme et d'une femme est un "fait historique", et que pour cette raison il est absolument impossible d'y changer quoi que ce soit et notamment de permettre l'union de personnes du même sexe. Alors revenons un peu en arriière, et projetons nous au siècle précédent, plus exactement dans les années 70.
S'il est un fait historique incontestable, depuis la nuit des temps, partout, et sous à peu près toutes les civilisations, c'est que l'homme est le "chef de famille", qui exerce sur tous les autres membres de cette famille sa "puissance paternelle". Dès lors, puisqu'il s'agit d'un "fait historique" majeur et indiscutable, ce que nous disent nos élus d'aujourd'hui c'est qu'ils n'auraient jamais accepté, au siècle dernier, une quelconque évolution du droit de la famille et que, si c'était à refaire, afin de préserver ce "fait historique", ils auraient, avec la même vigueur qu'aujourd'hui, empêché toute modification de la législation tendant à supprimer la notion de chef de famille et à accorder aux femmes une égalité de droits avec les hommes.
Parce que cela aurait anéanti, à tort selon eux, ce "fait historique" qu'est la domination des hommes.
Les femmes apprécieront, et, n'en doutons pas, certains hommes ressentiront une petite pointe de nostalgie en lisant ceci. (2)
Plus sérieusement, il est affirmé qu'au coeur du mariage se trouve la procréation, autrement dit que le mariage est l'union officialisée d'un homme et d'une femme dont l'un des premiers objectifs est d'avoir ensemble un enfant. il est rappelé que la conséquence en est, dans le code civil, la présomption de paternité bénéficiant au mari (texte ici).
Il n'empêche que cela n'est plus qu'une fiction, et depuis un long moment. En effet, quand dans un couple hétérosexuel l'homme est stérile, il est permis de faire appel à l'insémination artificielle avec donneur, et l'on parle alors de procréation médicalement assistée (PMA). Dans ce cas le mari de la mère n'est en rien le père biologique de l'enfant, qui, génétiquement, est issu d'un autre homme et plus largement est issu d'une autre lignée paternelle. A elle seule, l'introduction de la procréation artificielle a fait disparaître la fiction d'un couple uni principalement pour faire ensemble des enfants.
En plus, cette assistance à la procréation est autorisée au bénéfice de concubins, donc d'un homme et d'une femme non mariés (textes ici). La mariage avec comme composante l'union charnelle des deux conjoints n'est donc plus, loin s'en faut, l'obligatoire voie de passage vers l'arrivée d'un enfant même dans un couple hétérosexuel.
C'est bien pourquoi il n'est plus possible, au moins juridiquement, d'affirmer que la filiation biologique dans un couple stable est aujourd'hui encore au coeur de notre société. C'est, déjà, de l'histoire ancienne. Et les couples homosexuels ne sont en rien à l'origine de cette rupture fondamentale.
Cette PMA c'est, actuellement, la possibilité offerte à une femme qui ne peut pas avoir d'enfant avec la personne avec qui elle vit de se faire inséminer grâce au don de sperme d'un tiers. Ce tiers ne saura jamais qu'il est le père biologique de l'enfant et l'homme avec qui cette femme vit ne sera père que grâce à une fiction juridique non conforme à la réalité biologique.
Si l'on se place maintenant dans un couple homosexuel féminin, la PMA de l'une des deux femmes c'est la même chose. C'est l'insémination par don d'un tiers parce que cette femme ne peut pas avoir d'enfant avec la personne avec qui elle vit. Sauf que "la personne" est ici une femme.
Aujourd'hui, même les plus farouches opposants au "mariage pour tous" ne proposent pas la suppression de l'actuelle PMA. Dès lors, la logique impose de conclure que si la PMA d'une femme vivant avec un homme est acceptée alors que la PMA d'une femme vivant avec une femme ne l'est pas, c'est non pas à cause de cette PMA, en elle-même, mais parce que l'on ne veut pas que l'enfant grandisse auprès de deux femmes.
Alors de deux choses l'une. Soit il existe des raisons de penser qu'un enfant grandira inéluctablement "mal" auprès de deux femmes (ou plus largement de deux personnes de même sexe), mais alors il faut apporter des éléments convaincants en ce sens. Et, pour l'instant, il ne nous en a pas encore été présenté de suffisamment sérieux pour emporter l'adhésion sans hésitation. Soit rien ne permet de penser que cet enfant grandirait plus mal que s'il était né dans un couple hétérosexuel et il ne reste plus comme explication de l'opposition à cette PMA d'une femme vivant avec une autre femme que de l'homophobie au sens premier du terme.
Il est aussi dit et répété, sur tout les tons, que pour bien grandir un enfant doit absolument avoir auprès de lui "un papa et une maman", ou, plus largement et si l'on veut éviter toute ambiguïté entre filation biologique et filiation juridique, avoir auprès de lui "un homme et une femme". Cela fin qu'il bénéficie en permanence d'une "identification masculine et féminine". Pourquoi pas. Oui mais.
En droit français actuel, tant l'adoption plénière (cf. art. 343-1 du code civil) que l'adoption simple (textes ici) sont permises à des personnes célibataires. Cela signifie, par principe, que l'on considère qu'il n'est pas essentiel pour qu'un enfant puisse être élevé dans des conditions saines et sécurisantes que ce soit un couple qui le reçoive. Il est donc écrit dans notre loi, et très clairement, qu'un enfant peut se retrouver dans une situation épanouissante quand bien même il est adopté par un(e) célibataire et donc n'aura, au moins pendant un temps, aucun référent de l'autre sexe.
En plus dans un arrêt de janvier 2008 concernant la France (document ici), la Cour européenne des droits de l'homme a jugé qu'il n'est pas possible, pour refuser un agrément en vue d'une adoption, de prendre en compte l'orientation (homo)sexuelle du demandeur, cela d'autant plus que, dans l'affaire jugée, il avait été relevé par les services sociaux spécialisés que la femme concernée et qui voulait adopter, qui partageait sa vie avec une autre femme, présentait "des qualités humaines et éducatives certaines."
C'est pourquoi il est étonnant, et assez peu cohérent, que ceux qui n'ont jamais contesté la législation française actuelle qui écarte expressément l'obligation de présence de deux adultes dans l'adoption, et qui de fait permet l'adoption par un adulte homosexuel qui ne vivra sans doute jamais avec une personne de l'autre sexe, nous disent aujourd'hui que l'inverse est une absolue nécessité.
Toujours en droit, une femme célibataire qui, après une rencontre ponctuelle et sans lendemain avec un homme tombe enceinte de ce dernier et accouche d'un enfant, n'est en rien obligée de révéler à cet homme qu'il a un enfant. Cette femme peut choisir de poursuivre sa vie de célibataire et, cela arrive, de ne jamais fonder un couple stable avec un homme.
Il ne viendrait sans doute pas à l'idée d'un seul service social de faire un signalement d'enfant en danger au procureur de la République, à ce dernier de saisir le juge des enfants en assistance éducative, au seul motif que cet enfant est élevé par une femme seule sans "modèle identificatoire masculin".
Mais alors, s'il est admis qu'un enfant peut grandir suffisamment sainement auprès d'un unique parent célibataire sur le long terme, sans avoir à ses côtés et au sein de la cellule familiale immédiate d'adulte du sexe opposé, qu'est-ce qui autorise à soutenir exactement l'inverse quand un enfant grandit auprès de deux personnes du même sexe ?
Les évolutions importantes d'une société doivent être précédées d'un débat ouvert, franc, vaste, sans tabou. Il en va ainsi de l'évolution du mariage et, sans doute plus encore, des modes de procréation et d'établissement de la filiation. Sur ce second point, il est impératif de prendre le temps indispensable et, sereinement, sans précipitation, de profiter du débat actuel pour s'interroger, globalement, sur les limites du recours à la technique scientifique et plus largement sur la parentalité. Il est toujours préférable de légiférer plus tard sur des bases solides que plus tôt sur des bases incertaines et fragiles.
Mais quelles que soient les solutions finalement retenues, ce qui est indispensable c'est de mettre en place une législation d'ensemble claire, logique, et cohérente. Et en même temps d'arrêter d'utiliser certains arguments quand ils arrangent puis de les mettre de côté quand ils dérangent.
Les futurs parents et plus encore les futurs enfants méritent mieux que ce qui se joue actuellement.
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1. Source : Sophie Paricard, Droit de la famille 2013 n° 1, dossier 8.
2. Législation en vigueur avant la réforme de l'autorité parentale de juin 1970. A lire, notamment, les articles 213 et 215...