Le manque de moyens de la justice et ses conséquences : un exemple concret
Par Michel Huyette
Si cette semaine les magistrats de la plupart des tribunaux et cour d'appel de France ont renvoyé l'examen des dossiers audiencés (cf ici, et ici), c'est, notamment, pour faire valoir les conditions déplorables dans lesquelles ils travaillent parfois, et pour expliquer d'où proviennent certains dysfonctionnements (cf. les articles précédents).
Dans toutes ces juridictions les magistrats et les fonctionnaires (les greffiers) se sont réunis pour débattre de la situation actuelle de l'institution judiciaire, et notamment pour tenter de repérer là où le manque de moyens est le plus criant.
En voici un exemple.
Quand un individu est condamné par un tribunal correctionnel à une peine de prison, il ne va pas toujours... en prison. Pendant longtemps la loi a prévu, pour les condamnés à une peine d'une durée égale ou inférieure à 1 an de prison, la possibilité d'un aménagement immédiat. C'est ce que prévoyait l'article 723-15 du code de procédure pénale (cf. ici). En clair, le juge d'application des peines peut supprimer l'emprisonnement et le remplacer par une semi-liberté, surveillance électronique....
Ce sont autant d'individus suivis par le juge d'application des peines et par un travailleur social.
Par le biais d'une loi du 24 novembre 2009 dite "loi pénitentiaire" (texte ici), gouvernement et parlementaires ont décidé de monter à 2 années de prison les peines immédiatement aménageables (cf. art. 723-15 nouveau).
En conséquence, le nombre de personnes susceptibles de ne pas passer un seul jour en prison et de rester en liberté, et donc devant faire l'objet d'un suivi, a sensiblement augmenté, étant précisé que les peines égales ou inférieures à deux années d'emprisonnement ferme sont très nombreuses (1).
Oui mais voilà.... il y a un petit problème.
En effet, pour s'occuper de plus de personnes, il faut plus de travailleurs sociaux. Pensez-vous que le gouvernement et les parlementaires ont, avant la mise en oeuvre de la loi, prévu de recruter des juges d'application des peines et des agents de probation en nombre suffisant ? Et bien non. Il n'y a eu aucune augmentation en personnel significative (2).
Il est très important par ailleurs de rappeler, une fois de plus, que les profils des personnes suivies en milieu ouvert sont souvent proches. Il n'existe donc aucun moyen pour les professionnels de faire un tri en étant certains qu'il n'y a parmi les individus non immédiatement suivis faute de moyens aucun récidiviste potentiel. Sauf à leur distribuer une boule de cristal, et de s'assurer qu'elle fonctionne bien.
Dernière devinette : à votre avis, si un des condamnés des centaines de dossiers impossibles à suivre commet un acte grave, qui le pouvoir désignera-t-il comme responsable et menacera-t-il de sanctions ? Le juge local, le parlementaire qui a voté une loi en sachant qu'il n'y aurait pas les moyens de l'appliquer, ou le gouvernement qui a décidé de ne recruter personne ?
Ceci dit, on notera en passant une autre bizarrerie.
D'un côté le gouvernement et certains élus de la majorité demandent aux juges d'être de plus en plus sévères, envisagent d'envoyer des citoyens siéger en correctionnelle pour que les peines soient plus élevées, et d'un autre côté les mêmes font évoluer une loi pour qu'un maximum de personnes condamnées à de la prison bénéficient d'une remise en liberté et, ainsi, profitent d'une sanction beaucoup plus douce.
Allez comprendre....
Puisque vous êtes là, une dernière info pour la bonne bouche.
Au cours d'une autre réunion, il a été indiqué à des magistrats qui demandaient l'achat d'un livre de droit spécialisé que le budget tellement réduit ne permettait pas cette acquisition.
En librairie le livre est vendu 45 euros....
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1. Le pourcentage des peines de prison ferme inférieures ou égales à un an est d'environ 95 % des peines de prison prononcées.
2. Par ailleurs le nombre de psychiatres, et notamment de médecins coordinateurs (chargés de superviser le système de suivi médical au niveau départemental) est très insuffisant. Aujourd'hui, dans certains départements, le système ne fonctionne pas car il n'y a aucun médecin coordinateur. (Cf. le communiqué d'une société de psychiatrie (lire ici)