Sur un marché persan....à Paris !
Par Raymond Levy
Notre amie Shéhérazade vient de rentrer toute excitée de sa première promenade dans Paris. Elle était voilée comme il sied à toute jeune fille honorable, et escortée par notre ami Mustapha, dont tu connais l'allure imposante. Des femmes, intimidées (ou attirées?) par lui, ont parlé à Shéhérazade, qui était avide de connaître les nouvelles du Palais de l'Elysée, résidence du shah de ce pays, Nicolas Premier, qui comme je te l'ai dit dans ma dernière lettre, porte le titre de Sarkozy, hérité d'un seigneur hongrois.
Le shah serait d'une humeur massacrante et très indisposé contre certains de ses serviteurs, chargés de faire régner l'ordre dans son royaume afin que rien ne vienne altérer l'amour de ses sujets pour leur monarque, et de réprimer sans indulgence toute atteinte à la quiétude du royaume. Or voici qu'un manant se serait permis, après avoir abusé d'elle, de tuer et de découper en plusieurs morceaux une jeune fille près des rivages du royaume, alors que ce sort cruel ne peut normalement être infligé qu'aux ennemis du shah !
Cette insolence a mis le monarque dans une colère épouvantable. Il était déjà de fort mauvaise humeur, après avoir appris qu'une dame de son souverain sérail avait à deux reprises utilisé le tapis volant d'un ami du bey de Tunis, alors que le royaume de France fabrique des tapis volants fort réputés (les tapis monoplaces sont plus difficiles à vendre que les tapis volants de larges dimensions, utilisés pour les groupes de pèlerins), et n'est pas près d'oublier ce comportement «à la frange».
Il a été furieux d'apprendre que le manant avait auparavant été condamné pour outrage à ses serviteurs, chargés de la férocité souveraine, qu'on appelle des «magistrats» ou des «juges de l'application des peines», et que ses représentants avaient manqué de déférence envers le saint nom du shah en tolérant que ce fait ne soit pas suivi d'une surveillance étroite de son auteur, qualifié de «présumé coupable», terme de mépris intense inventé par le souverain.
Il a donc décidé de punir cet irrespect, en organisant jeudi prochain une cérémonie de la Parole Souveraine, à l'occasion de laquelle il fera couper quelques têtes pour réjouir ses partisans, et recevra l'hommage des porteurs d'encens, qu'on appelle dans ce pays «journalistes» ou «directeurs de l'information». Cette cérémonie est très formelle, car personne n'écoute réellement la parole du souverain. Le shah a donc souhaité l'égayer par la mise en vente, sur le marché aux esclaves, de quelques uns des «magistrats» dont il est le plus mécontent. Ce marché aux esclaves, qu'on appelle «Soldes de printemps», connaît un engouement extraordinaire! Organisé par la D.S.J. (Direction des Servitudes Judiciaires), il a lieu sur la Place Vendôme, ou sur le Quai Branly.
Les magistrats, serviteurs du shah chargés de décider des punitions de ses ennemis, revêtus de robes noires ou rouges, n'ont pas une grande valeur marchande, car on leur croit un caractère un peu difficile et «indépendant», un mot que personne n'a su me traduire en Persan. On achète avec plus de confiance ceux à qui le shah avait accordé des fourrures blanches, car on y voit un signe rassurant de docilité. Shéhérazade est toute excitée à la perspective d'assister à une vente d'esclaves, qui devient de plus en plus rare en Perse, car nos gouvernants préfèrent pendre ou lapider les personnes condamnée, que de leur infliger l'humiliation de la servitude.
C'est à de tels signes que l'on reconnaît la supériorité de la civilisation Perse, sur celle des pays européens !