La garde à vue et la (future ex ?) CNDS
Par Michel Huyette
La publication du rapport 2009 de la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité (CNDS) est l'occasion de s'arrêter quelques instants sur deux points importants.
D'abord sur le contenu du rapport, qui souligne notamment les difficultés persistant autour de la garde à vue.
La CNDS ne s'interroge pas sur la compatibilité du cadre juridique français applicable à la garde à vue avec la convention européenne des droits de l'homme (sujet plusieurs fois abordé sur ce blog), parce que cela ne relève pas de sa compétence. Par contre, le coeur de sa mission est de rechercher si les forces de sécurité agissent conformément aux règles juridiques et déontologiques qui leur sont applicables.
En 2009, comme l'indique le communiqué de presse, la CNDS "a été conduite à constater des manquements graves à la déontologie relatifs à la garde à vue (43 % de ses dossiers police/gendarmerie concernent notamment la garde à vue cette année, contre 33 % l'année dernière), à la fois quant à l'opportunité du recours à cette mesure et aux conditions de son déroulement."
La CNDS ajoute que "la seule application des textes normatifs existants et de la jurisprudence suffirait à éviter les manquements les plus fréquents. Le caractère récurrent de ces derniers conduit toutefois à craindre un recours à des pratiques condamnables plus généralisé que le seul nombre des cas soumis à la CNDS pourrait le donner à penser."
Elle remarque que "Si les recommandations d'ordre général émises par la Commission ont pu être prises en compte par la hiérarchie des forces de sécurité et donner lieu à des circulaires ou autres instructions, il n'en a malheureusement pas été de même pour les propositions de nature individuelle portant sur l'engagement de poursuites disciplinaires à l'encontre des responsables des irrégularités constatées." La CNDS semble regretter l'impunité dont ont bénéficié certains auteurs de pratiques inacceptables, dans une période pourtant de "tolérance zéro".
Mettant l'accent sur la fouille à nue pendant la garde à vue, la CNDS relève que "La Commission a constaté, pour la neuvième année consécutive, la banalisation et le caractère quasi- systématique des fouilles à nu de personnes privées de liberté, prises en charge par des fonctionnaires de police et des gendarmes. Les critères d'appréciation qu'elle a dégagés, au regard de l'analyse des pratiques, ont été repris par les instructions du directeur général de la police nationale du 9 juin 2008, rappelant la circulaire du ministre de l'Intérieur du 11 mars 2003. Force est cependant de constater que les circulaires et instructions précitées ne sont pas respectées. La Commission reçoit régulièrement des réponses des autorités, qui, bien que partageant son analyse quant au caractère abusif de certaines fouilles, se contentent d'indiquer qu'elles procèderont à une nouvelle diffusion des instructions, en faisant le choix de ne pas engager la responsabilité des auteurs du non-respect des instructions. (..) La Commission a par ailleurs déploré la répétition des fouilles à nu subies par les personnes placées au dépôt du palais de justice de Paris, ainsi que les modalités de ces fouilles pratiquées de façon simultanée, plusieurs fonctionnaires de police et personnes fouillées étant présentes dans le même local".
Autrement dit, le gouvernement diffuse des consignes mais fait comprendre indirectement aux fonctionnaires de police et de gendarmerie qui ne les respectent pas qu'ils ne feront l'objet d'aucune sanction.
Et elle ajoute : "La Commission rappelle une fois encore que la fouille à nu est une pratique attentatoire à la dignité et qu'elle doit dès lors être proportionnée au but à atteindre : la découverte d'objets illicites et dangereux pour la sécurité des personnes (de l'intéressé, des agents et des tiers), et que toute personne privée de liberté n'est pas susceptible de dissimuler de la drogue ou des armes dans les parties intimes de son corps. Dès lors, la fouille à nu doit être exceptionnelle et effectuée dans les seuls cas où il existe des circonstances laissant sérieusement penser que l'ntéressé dissimule des objets illicites ou dangereux insusceptibles d'être détectés par un autre moyen (palpation, détecteur de métaux..)."
A plusieurs reprises, la CNDS a fait l'objet d'attaques virulentes de la part de syndicats de policiers. Malheureusement, il semble que ceux-ci n'ont pas compris l'essentiel : c'est en maintenant des exigences déontologiques élevées, en admettant les dérives et en essayant de les corriger puis de les prévenir que tout corps de fonctionnaire a qui sont confiées des prérogatives d'autorité conforte sa légitimité et renforce son efficacité. Autrement dit, les forces de police ne peuvent pas, en même temps et sans se contredire, contester vigoureusement les critiques qui leur sont justement adressées et refuser tout mécanisme de contrôle, rendu nécessaire par l'absence de mécanisme efficace de prévention des dérives. Ou pour le dire plus simplement, la politique de l'autruche n'a jamais prouvé son efficacité.
D'autant plus qu'en s'en prenant aux autorités de contrôle, les forces de police peuvent donner le sentiment aux citoyens qu'elles veulent dissimuler les dysfonctionnements, ce qui est une façon, bien maladroite, de confirmer qu'ils existent. Car il n'y a rien à craindre d'un regard extérieur quand il n'y a rien à cacher. Or dès l'école, ce ne sont que les mauvaises élèves qui craignent les contrôles.
Mais cela nous conduit à la seconde préoccupation.
Cela a également déjà été souligné ici, le projet du gouvernement est de créer un "Défenseur des droits", nommé par le Président de la République, et qui - c'est encore en discussion - se verrait attribuer les compétences de plusieurs actuelles commissions indépendantes. Il est donc question de supprimer la CNDS et de transférer tout ou partie de ses missions à ce futur Défenseur des droits.
La CNDS a publié un communiqué pour s'inquiéter de ce projet et en souligner les risques pour la démocratie et au-delà pour tous les citoyens français.
Elle y souligne avec force que le nouveau système n'offre aucune des garanties d'indépendance dont elle bénéficiait, que sa compétence spécifique reconnue va être diluée dans une compétece générale indifférenciée, que le bénéfice de la présence de membres d'horizons différents va disparaître, et conclut, ce qui est le plus important, que la volonté de l'Etat de la supprimer conduira à "un recul des garanties démocratiques qu'elle offrait aux citoyens pour le respect de leurs droits fondamentaux".
Il est vrai que la CNDS menait des investigations complètes, maintenait un seuil élevé d'exigences déontologiques, et pointait tout manquement grave aux droits fondamentaux des citoyens français (et au-delà de toute personne se trouvant sur notre territoire).
Alors pourquoi faire disparaître une commission devenue à ce point indispensable à notre démocratie ?