A l'école, de la réprimande à la violence
Par Michel Huyette
Alors que nous avons abordé voici quelques jours la problématique du baiser imposé, la question centrale étant celle de la qualification d'agression sexuelle (lire ici), voici qu'un autre fait divers nous incite à nous interroger sur les limites de la judiciarisation des comportements.
Les fais rapportés par un journal régional sont simples et, à les supposer conformes aux faits réels, peuvent être résumés ainsi : alors que le règlement interdit aux enfants d'une école maternelle d'avoir des sucettes avec eux, l'un des élèves, âgé de 4 ans, en apporte une et, après l'avoir mangée, pique l'un de ses camarades avec la tige ce qui fait mal à ce dernier. L'institutrice témoin de la scène prend alors la tige des mains du jeune agresseur et, selon elle pour lui faire comprendre au-delà des mots ce qu'a pu ressentir son camarade et pourquoi le règlement est ainsi fait, appuie la tige sur le bras de cet enfant.... qui a mal et se plaint à ses parents.... qui alertent l'inspection d'académie et le procureur de la République.
On peut comprendre les parents. De la part d'un adulte, le fait d'appuyer la tige d'une sucette sur le bras d'un enfant dans le but de lui faire ressentir une douleur peut certainement être qualifié de violence, probablement de violence légère au sens de l'article R 624-1 du code du travail (texte ici). Dans l'absolu l'infraction semble être caractérisée.
On comprend moins bien les parents quand on constate qu'en présence du journaliste ils n'ont pas fait allusion à la faute de leur propre enfant, ni expliqué pourquoi ils lui ont donné une sucette alors que cela est interdit. Ils ne semblent pas plus avoir indiqué qu'ils allaient par ailleurs le réprimander verbalement (sans doute pas physiquement..) pour lui rappeler que l'agression physique n'est pas le meilleur mode de communication. Mais on les comprend quand même un peu. On préfère toujours mettre en avant les fautes des autres plutôt que celles de nos propres enfants, qui nous renvoient désagréablement à nos propres limites.
On peut essayer de comprendre l'institutrice. Dire à un enfant de 4 ans que son geste a fait mal à un autre enfant n'est pas forcément de nature à le convaincre qu'il a eu un comportement reprochable. En tous cas peut ne pas suffire à lui faire comprendre dans quelle mesure la tige d'une sucette peut faire mal.
Au demeurant, on voit souvent les enfants, quand ils utilisent un objet sur un de leur camarade, l'essayer sur eux-mêmes pour voir ce que cela fait.
Ce raisonnement atteint toutefois ses limites très vite. Il est en effet difficilement envisageable de l'appliquer le jour où un enfant donne un coup de couteau à l'autre et le blesse gravement....
La question qui suit est celle de la façon de traiter ces problématiques récurrentes (lire not. ici à propos des fessées).
Tous ceux qui côtoient les enfants très jeunes le savent, leur monde est loin d'être l'univers que l'on décrit parfois dans les livres. Il y a quelques années des universitaires ont spécialement étudié les comportements des enfants de maternelle. Le résultat a été édifiant : phénomènes de groupes, rivalités, exclusions, bouc-émissaires, agressions physiques etc... Un véritable monde d'adultes en réduction, les moyens intellectuels et matériels en moins.
Au-delà, il suffit d'interroger les enseignants de maternelle pour comprendre combien leur travail est difficile quand, dans la classe, sont présents des enfants perturbés et agressifs vis à vis des autres.
Sans doute, dans une vision idéale et détachée de la réalité, peut-on concevoir de façon purement intellectuelle que les adultes, au premier rang desquels les enseignants, doivent savoir faire face en toutes circonstances et ne réagir qu'avec recul, sang froid et lucidité aux comportements des enfants.
Mais ce serait sans compter les classes parfois excessivement chargées, le manque de soutien aux enseignants (cf. ici), les incidents à répétition, la fatigue, l'énervement, et tout simplement les faiblesses de tout adulte.
Alors faut-il à chaque comportement théoriquement regrettable d'un adulte - un enseignant se contredit en disant qu'il ne faut pas faire mal et un utilisant la même méthode, et de toutes façons la violence même minimale n'est jamais judicieuse - raisonner immédiatement en termes de sanction administrative et/ou de poursuite judiciaire ?
N'y a-t-il pas place pour une réflexion en commun entre les parents des deux familles et l'institutrice, sous couvert d'un responsable de l'éducation nationale, pour qu'au final une réponse unique et cohérente soit apportée aux enfants ?
Et puis, que se passera-t-il dans la tête de l'enfant, initialement agresseur, si ses parents lui expliquent qu'au final seule l'institutrice est sanctionnée ?
Mais quelles que soient les réponses à ces questions, un dernier point mérite attention.
Comme cela avait été indiqué à propos de la fessée, quand bien même le geste réellement commis et analysé est d'une gravité très minimale, et à supposer même que des réprimandes physiques quasiment symboliques soient tolérées, ce qui gêne c'est l'absence de limite repérable entre le geste très légèrement violent (une toute petite tape sur un dos ou un bras par exemple), et l'acte de violence d'évidence inacceptable (tordre un bras, pousser et faire tomber, tirer les cheveux par exemple). Or personne ne sera jamais en mesure de fixer la ligne de partage entre les violences synboliques éventuellement acceptables et celles plus fortes qui ne le sont pas.
Nous navigons en permanence entre le "quand même, une petite réprimande même physique ce n'est pas bien grave", et le "aucune violence physique d'aucune sorte même minimale ne peut être tolérée". Et nous sommes bien en peine de trouver un juste milieu comme cette affaire locale le démontre particulièrement.
D'autant plus qu'il faut permettre aux enfants d'entendre un message clair et partagé par tous les adultes, seul moyen pour qu'ils évoluent positivement.
Ce n'est pas une mince affaire. Notamment pour le juge.