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Publié par Parolesdejuges

  Par Michel Huyette


   De tous temps, les gouvernants se sont méfiés de la justice (entendue au sens le plus large et comprenant toutes les juridictions de toutes sortes internes et internationales), vue souvent par eux comme une limite trop importante à leur capacité de faire ce qu'ils veulent, quand ils veulent, et comme ils veulent. Il ne faut donc pas s'étonner que de façon récurrente les élus contestent telle ou telle décision qui ne leur convient pas. Et même si parfois la critique va au-delà de la seule désapprobation de la décision et a pour objet d'atteindre l'institution dans sa globalité, dans une tentative souvent désespérée de masquer la faiblesse de l'argumentaire contre la décision mal acceptée, il est rarement utile d'y accorder beaucoup d'attention.

  Il n'empêche que parfois la remarque critique n'est pas immédiatement injustifiée et mérite quelque attention. Il en va ainsi quand le gouvernant affirme que le juge a débordé de son périmètre de compétence et empièté sur le sien. Car cela peut être parfois le cas. 

  Une situation récente nous invite à aborder une nouvelle fois le sujet délicat du périmètre d'intervention légitime des juges.



  En 2005, saisie par un citoyen britannique purgeant une peine de prison, la CEDH a jugé qu'une législation telle celle de Grande Bretagne et qui supprime le droit de vote de tous les condamnés, sans distinction entre les faits poursuivis et la gravité de la peine prononcée, est contraire à l'article 3 du protocole n° 1 qui prévoit des élections libres et "la libre expression de l'opinion du peuple". (décision ici , not. § 56 svts).

  La Grande Bretagne n'ayant pas modifié sa législation après cette première décision, la CEDH a jugé de la même façon et pour le même pays dans une décision du 23 novembre 2010 (décision ici, en anglais). Mais le gouvernement britannique a de nouveau exprimé son refus d'appliquer cette jurisprudence, qui n'est précisons le qu'un aspect d'un principe plus large posé par la CEDH selon lequel une personne condamnée et emprisonnée ne peut pas, de ce seul fait, être privée de ses principaux droits.

  Cela appelle plusieurs observations.


  Sur le fond du débat, qui n'est pas l'essentiel de notre interrogation aujourd'hui, chacun peut se faire son opinion. Schématiquement, soit l'on considère que l'emprisonnement c'est la mise à l'écart provisoire d'un individu et que cela le prive non seulement du droit d'aller et venir, de vivre en famille, de travailler.. mais aussi du droit de vote. C'est alors une mise à l'écart physique mais aussi juridique. Soit l'on estime que l'emprisonnement n'est que la privation des droits incompatibles avec l'enfermement et dès lors que le détenu conserve tous les droits importants qu'il est en mesure d'exercer, comme le droit de vote (ou le droit de se marier, de reconnaître un enfant, de faire un testament etc..).

  En France, les personnes condamnées ne sont pas privées de leurs droits civiques par le seul effet de cette condamnation. Le principe est clairement énoncé à l'article 132-21 du code pénal : "L'interdiction de tout ou partie des droits civiques, civils et de famille mentionnés à l'article 131-26 ne peut, nonobstant toute disposition contraire, résulter de plein droit d'une condamnation pénale (texte ici).

   Pour que le droit de vote soit supprimé au détenu, les juges doivent, dans une espèce particulière, décider de faire application de l'article 131-26 du code pénal : "L'interdiction des droits civiques, civils et de famille porte sur : 1° Le droit de vote (..)". (texte ici)


  Revenons en maintenant à la problématique du jour.

   Les droits fondamentaux des citoyens français sont inscrits dans plusieurs textes, au premier rang desquels la constitution (en France) et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (en Europe). L'impact de la première a été considérablement augmenté par la création de la question prioritaire de constitutionalité (cf. la rubrique QPC). Et régulièrement la CEDH nous apporte d'utiles précisions quand à la nature des droits protégés par la convention européenne.

  Quand des normes juridiques fondamentales sont écrites dans des textes, au bénéfice des citoyens, il faut, si l'on ne veut pas en faire des règles sans valeur et sans effet, que d'une façon ou d'une autre quelqu'un dise si telle pratique ou tel texte appliqué est conforme à ces normes. Par principe, toute règle juridique d'une importance minimale impose le contrôle de sa mise en oeuvre et de son respect. Tous les jours des citoyens se présentent à la porte des tribunaux pour obtenir que soit constatée la violation d'un de leur droit civil, commercial, social, pénal ou autre. Le rôle des juges est alors de dire si le cadre juridique a été ou non respecté.

  Que la décision judiciaire plaise ou déplaise, que celui qui gagne sont procès soit satisfait et celui qui le perd mécontent importe peu si le processus judiciaire s'est déroulé convenablement. Le but du juge n'est pas d'obtenir un satisfecit mais de faire respecter le droit.

 
  Il n'empêche que la réflexion ne peut pas s'arrêter là. Il nous faut aller plus loin et nous demander si, parfois, on ne passe pas un peu trop vite de l'interprétation du droit à la création du droit, autrement dit il nous faut nous attarder sur la ligne de partage des compétences entre le juge et le législateur élu.

  Par exemple, quand il est écrit dans le code du travail qu'un salarié peut-être licencié pour "faute grave" et perdre alors le droit à certaines indemnités liées à la rupture d'un contrat de travail, le législateur ne peut pas aller beaucoup plus loin dans la rédaction du texte. Il serait en effet illusoire et absurde de tenter d'énumérer toutes les situations et tous les comportements pouvant être qualifiés de faute grave, la liste en étant infinie. C'est pourquoi seul le juge peut, au cas par cas, et même avec un peu de subjectivité, dire si dans la situation particulière qui lui est soumise il y a ou non une faute qui peut être qualifiée de grave au sens du code du travail. Le tout sous le contrôle de la cour de cassation qui a notamment pour objectif d'uniformiser la jurisprudence en énonçant des interprétations applicables sur tout le territoire.

  Mais il en va tout autrement, dans d'autres domaines, quand il ne s'agit plus vraiment d'interpréter une norme existante mais de créer du droit, concrètement d'extrapoler à partir d'un texte existant pour élaborer une règle nouvelle pour laquelle il n'a pas forcément été rédigé.


  Prenons par exemple la question de l'adoption d'un enfant par un couple de personnes de même sexe, question qui fait débat depuis longtemps et qui a été soumise tant au Conseil constitutionnel qu'à la CEDH.  Sans doute les demandeurs vont-ils mettre en avant un texte de droit civil ou un article de la CEDH. Mais il est à peu près certain que quand les rédacteurs des normes internes et européennes ont rédigé dans le code civil les articles relatifs à l'adoption et dans la convention européenne les paragraphes concernant le droit à la vie familiale, il n'avaient pas en tête cette problématique. Il en va de même de la question du mariage de deux personnes de même sexe. Ou de celle du statut de l'embryon au regard du droit à la vie.

  C'est pourquoi il est permis de s'interroger sur la légitimité du juge à non plus interpréter des normes mais à véritablement en créer de nouvelles. Autrement dit, qu'est-ce qui permet à une poignée d'hommes et de femmes, même de compétence juridique reconnue, de fixer la règle quand la question posée relève beaucoup plus voire uniquement d'un choix de société plutôt que d'une pseudo interprétation de cette règle, paravent à une fabrication du droit.


  Dans sa décision du 28 janvier 2011 relative au mariage de personnes de même sexe  (décision ici), le Conseil constitutionnel avait pris soin de mentionner dans sa motivation :  "Considérant, d'autre part, que l'article 6 de la Déclaration de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; qu'en maintenant le principe selon lequel le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, le législateur a, dans l'exercice de la compétence que lui attribue l'article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d'un homme et d'une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation."

  La CEDH laisse aussi une forte marge d'appréciation aux parlements nationaux pour statuer sur des questions particulièrement controversées, en soulignant souvent qu'il n'existe aucune unanimité en Europe pour aller dans telle direction plutôt qu'une autre. Il en va ainsi, encore, du mariage entre personnes du même sexe (cf. décision de 2010 ici, en anglais, et l'article sur le site du Credof ici).


  Alors au final, où se situe la ligne de partage entre la création d'un droit nouveau qui est du ressort exclusif des élus, et l'interprétation d'un droit existant qui est de la compétence des juges ? Ce pourrait être le rattachement de la problématique à des questions essentielles de société dont la solution n'est pas principalement juridique mais humaine, sociale, autrement dit réellement politique au sens le plus noble du terme, le droit n'étant alors que la mise en oeuvre des choix du peuple par l'intermédiare de ses élus. Ou par recours au référendum quand cela est possible et judicieux.


  Et le droit de vote des détenus alors ? Dans quelle catégorie se situe-t-il ?

  Il est assez difficile d'énoncer en quoi cette question, qui ne concerne que les détenus, est d'un enjeu tel qu'il s'agit d'une question fondamentale de société. C'est pourquoi il ne semble pas aberrant que la CEDH, faisant son travail naturel d'interprétation de la convention, comme tout juge chargé d'appliquer une norme, ait indiqué que rien ne permet de priver les détenus de ce droit en se fondant sur les termes du protocole précité qui ne sont assortis d'aucune restriction.

  Au demeurant, puisqu'il est admis que la condition des détenus doit leur permettre de se préparer à la réinsertion dans la société, il ne semble pas non plus absurde qu'ils n'en soient pas totalement coupés et que, par le biais du vote, ils aient encore une place, même symbolique, auprès de leurs concitoyens.

  C'est pourquoi un système juridique tel le système français, qui pose le principe du maintien des droits des détenus compatibles avec la détention, mais qui en même temps permet aussi au juge de supprimer provisoirement certains de ces droits, et notamment les droits civiques, au cas par cas et dans des décisions motivées (1), peut sembler un système équilibré à préserver.


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1. Voici quelques exemples de décisions réduisant les droits civiques de condamnés (pas nécessairement emprisonnés) :   iciici, ici, ici, ici, ici, ici, ici. De fait, dans la plupart des décisions les juges suppriment tous les droits mentionnés à l'article 131-26. Rares sont les décisions qui ne suppriment que certains droits, surtout le droit de vote.




 

 

 

 

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P
<br /> <br /> Bonsoir Serge,<br /> <br /> <br /> En effet, il y a des aberrations dans le système de fixation et les conditions d'attribution de la prestation compensatoire. Plus que de demander un effort<br /> d'imagination au juge, une réforme législative serait la bienvenue pour corriger nombre d'abus.<br /> <br /> <br /> Bien à vous.<br /> <br /> <br /> Pascal Rolland<br /> <br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> J'ai été très intéressé par le commentaire de JMT qui parait sensibilisé par le problème des prestations compensatoires. Moi-même je suis la victime depuis 18 ans des rentes viagères de l'absurde<br /> loi de 75. En 18 ans je me suis présenté 3 fois en appel. La rente a représenté jusqu'à 65% de mes revenus, ma créancière a touché jusqu'à 2,5 fois mes revenus. Jamais les juges n'ont accepté de<br /> modifier ou supprimer cette PC. La loi de 2004 dit "modifications importantes" ou "avantage excessif", un flou inquantifiable qui ne semble pas emporter "la création de droit" des juges. On reste<br /> dans l'orthodoxie juridique sans tenir compte de l'évolution sociétale de la notion de responsabilité et donc de liberté individuelle. La justice française semble s'accrocher à<br /> l'assistanat irresponsable qui fait sombrer notre pays. En Allemagne (encore elle) les parties (du divorce) ont l'obligation de trouver chacune une autonomie financière...Alors, vive<br /> l'imagination constructive des juges français !!<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Bonsoir Elek,<br /> <br /> <br /> Votre évocation de l'ancien Code pénal et de la peine accessoire de privation des droits civiques, ainsi que de l'anecdote fantasmatique et bucolique qui l'illustre, m'ont distrait. J'en<br /> avais bien besoin aujourd'hui. Merci.<br /> <br /> <br /> Bien à vous.<br /> <br /> <br /> Un autre ancien.<br /> <br /> <br /> Me PR<br /> <br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Les plus anciens - dont je suis - se souviendront qu'il fut une époque où la peine accessoire de la privation du droit de vote existait dans le cadre de l'ancien code pénal (1994) et que le code<br /> électoral a longtemps tenté de faire de la résistance avec par exemple son article L7 jusqu'à ce que le Conseil Constitutionnel lui règle (définitivement?) son sort http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2010/2010-6/7-qpc/decision-n-2010-6-7-qpc-du-11-juin-2010.48397.html<br /> <br /> <br /> à l'époque on avait phantasmé en imaginant que les établissements pénitentiaires implantés à la campagne risquaient de faire élire un maire en leur sein, car ils pouvaient représenter une part<br /> non négligeable des électeurs de la commune...<br /> <br /> <br /> Avant 1994  1 à 3 mois d'emprisonnement entraînai(en)t  automatiquementla privation du droit de vote; l'INSEE chargé de notifier cette incapacité électorale omettait parfois de le<br /> faire, avec la conséquence une radiation découverte le jour du vote ....ce qui créait parfois un certain émoi local et obligeait le juge d'instance à des décisions urgentes ! Je recommance<br /> chaudement la lecture du code éléctoral qui contient quelques jolies pépites...<br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Le juge ne s'est jamais privé, quand c'était nécesaire de créer le droit, par une interprétation ultralegem, voire contra legem, s'il le trouvait judicieux. Tout le monde connaît la saga de<br /> l'article 1384 CC.<br /> <br /> <br /> En revanche, iul a aussi persisté dans des attitudes rigoureuses d'interprétation stricte, pour les mêmes raisons que précédemment, p.ex. dans les questions de nrèglement de prestation<br /> compensatoire, acculant ainsi des centaines de personnes au désespoir, ou les exposant aux sanctions pénales, et ce, jusqu'à ce que la Loi change, mais sans doute y avait-il chez la Cour de<br /> Cassation, un désir de démontrer à quel point les dispositions initiales de la Loi de 75 étaient irréalistes.<br /> <br /> <br /> On pourrait donc penser que ce que les rédacteurs des textes concernant le mariage ont imaginé est sujet à une interprétation large, ne serait-ce qu'en vertu d'ubi lex non distinguit.<br /> <br /> <br /> Ce serait simpliste, certes, et abstrait de toutes les dispositions suivantes qui impliquent la présence des deux sexes dans l'institution contractuelle ne serait-ce que le délai de viduité alors<br /> que la ntroncature de l'article 1384 se fond aisément dans le droit de la responsabilité, le succès de son application l'ayant démontré.<br /> <br /> <br /> En ce qui concerne les prisonniers, non privés par décision spéciale de leurs droits civiques, on ne voit pas très bien pourquoi ils ne pourraient pas voter, sauf à les considérer comme<br /> totalement exclus de la société ce qui était le cas en URSS. Par bonheur, la valeur du vote en URSS était si proche de zéro, malgré une constitution très libérale que personne n'aurait songé à<br /> réclamer sur le sujet.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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