Du baiser volé à l'agression sexuelle
Par Michel Huyette
Nous nous souvenons parce que cela est récent des poursuites engagées à New York contre un ancien directeur du FMI, pour le viol d'une femme de chambre dans un hôtel de grand luxe, poursuites finalement abandonnées par le procureur du lieu.
A la même époque, une femme, en France, a porté plainte pour viol contre l'intéressé. Le Parquet de Paris a ordonné une enquête de police à l'issue de laquelle il a fait savoir qu'il a pris la décision de classer la procédure sans suite. Mais en même temps le procureur a indiqué dans son communiqué que l'intéressé a reconnu avoir tenté d'embrasser la jeune femme sur la bouche, que cela constitue une agression sexuelle au sens du code pénal, pour conclure qu'en conséquence de la date des faits ceux-ci sont prescrits et donc qu'il n'est plus possible aujourd'hui d'engager des poursuites pénales (1).
Aussitôt le qualificatif d'agression sexuelle a été discuté. Cela justifie quelques précisions sur les contours de l'infraction.
Dans le code pénal il existe plusieurs infractions de nature sexuelle. La plus connue est le viol dont la définition est : "Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol." Le viol est puni de 15 ans de prison, 20 en cas de circonstance aggravante (textes ici).
Le code pénal mentionne ensuite que "Les agressions sexuelles autres que le viol sont punies de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende." (textes ici). Les peines vont de 5 à 10 ans de prison en présence d'autres circonstances.
Enfin, s'agissant de la protection des mineurs les plus jeunes, il existe l'atteinte sexuelle prévue à l'article 227-25 du code pénal en ces termes : "Le fait, par un majeur, d'exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de quinze ans est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende." (texte ici)
La définition de l'agression sexuelle, qui nous intéresse tout particulièrement aujourd'hui, est donnée par l'article 222-22 du code pénal : "Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise."
Par ailleurs, l'article suivant précise que "La contrainte (..) peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime." (textes ici).
Revenons en maintenant à la question du jour : quand un homme tente d'embrasser ou embrasse sur la bouche une femme qui n'a rien demandé et refuse un tel contact, est-on en présence d'une agression sexuelle ?
Le premier mot, "agression", ne fait pas difficulté. Est agressif ce qui est imposé à un tiers. Mais ce qui pose question est la nature de l'acte. Le baiser imposé est-il un acte "sexuel" au sens du code pénal ?
Une première réponse peut être négative si l'on considère, restrictivement, qu'est "sexuel" seulement ce qui est en lien avec le sexe entendu comme organe spécifique du corps. Ne serait dès lors une agression sexuelle que ce qui atteint le sexe de la femme, ou plus largement met en jeu le sexe de l'homme (2).
Une deuxième réponse peut encore être négative même si l'on élargit la catégorie des actes sexuels aux contacts avec le corps de la femme sur d'autres endroits que le sexe quand la connotation sexuelle du geste est relativement évidente. Est alors une agression sexuelle, par exemple, un caresse imposée sur la poitrine d'une femme, mais ne le serait pas une caresse sur son visage.
Une troisième réponse est positive si on s'attarde non pas tant sur la nature du geste et notamment la partie du corps de la femme qui est la cible de l'homme, mais sur l'aspect plus psychologique de la démarche. Ainsi, si l'on estime que la volonté d'embrasser la femme est avec certitude la première étape d'un processus voulu par l'homme et devant conduire à une relation sexuelle, alors il peut être éventuellement considéré qu'en voulant l'embrasser de force l'homme l'agresse "sexuellement". Ce qui au demeurant, quelque soit l'état d'esprit de l'homme, peut être ressenti comme tel par la femme. Au delà même, des femmes parlent parfois de regards "qui déshabillent" et qu'elles ressentent comme une forme d'agression de nature sexuelle.
Faut-il donc pour découvrir si l'acte avait une nature "sexuelle" sonder l'esprit et les intentions de l'homme, et tenter de savoir s'il voulait seulement montrer - certes maladroitement - son attirance pour la femme ou avait en tête tout un processus clairement sexuel dont le baiser n'était pour lui que la première phase ?
Doit-on pour aller plus loin s'attarder aux circonstances, notamment le lieu des faits, par exemple pour retenir la connotation sexuelle quand le baiser a lieu dans une chambre, ou sur une femme déjà couchée, pour l'écarter quand le baiser se produit de jour et à l'extérieur sur une femme normalement vêtue ?
Doit-on faire la différence entre le "baiser volé" et le baiser appuyé, intrusif, malsain ?
Ce qui précède reviendrait au final à considérer qu'un homme qui souhaite uniquement embrasser une femme (les deux pouvant être jeunes), puis passe à l'acte avant qu'elle ne le repousse, ne commet pas forcément une agression "sexuelle".
Les juridictions pénales ont eu à se poser cette délicate question.
Des tentatives de baisers ou des baisers sur la bouche ont parfois été retenus, mais souvent avec d'autres actes, rarement véritablement seuls (cf. not ici, ici, ici, ici, ici)
Autrement dit, les banques de données ne font apparaître quasiment aucune décision ne mentionnant que des baisers à l'exclusion de tout autre geste équivoque.
Le débat reste donc ouvert.
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1. Le Monde du 13 octobre 2011.
2. Une fellation imposée à une femme par un homme est un viol.