Faut-il criminaliser la fessée ?
Par Michel Huyette
Après une célèbre pédiatre voici quelques mois qui réclamait une nouvelle loi pour la rendre illégale, ce sont plusieurs personnalités de divers pays qui viennent de signer une pétition européenne en faveur de l'interdiction de la fessée sur les enfants. Cela fait suite à la campagne lancée par le Conseil de l'Europe intitulée "Lève la main contre la fessée", celle-ci étant considérée par cette institution comme un "châtiment corporel" qu'il faut "abolir".
La fessée est définie dans le dictionnaire Larousse et par l'Académie française comme une "série de coups sur les fesses". Plus classique, le Littré la définit comme des "coups de mains ou de verges données sur les fesses". Il s'agit donc de violences physiques exercées sur le corps d'un enfant.
Ces croisades contre la fessée appellent quelques brefs commentaires.
D'abord, il n'est pas exact de prétendre que notre législation est muette et qu'il est indispensable de la modifier.
Le code pénal, dans son article 222-13, punit, notamment, les violences sur les moins de 15 ans qui n'ont entraîné aucune incapacité de travail (1). La sanction est de 3 années de prison et de 45.000 euros d'amende. Et la peine passe à 5 ans de prison et 75.000 euros d'amende quand ces violences sur les moins de 15 ans sont habituelles, en application de l'article 222-14 du même code (2).
Notons au-delà que la convention internationale sur les droits de l'enfant, (CIDE) entrée en vigueur en France en 1990, impose dans son article 19 aux pays adhérents de prendre des mesures pour protéger les enfants contre "toutes formes de violences", dont la fessée fait partie même si dans certains cas il peut s'agir d'une violence légère.
Il semble donc possible de conclure que notre législation pénale, et plus largement nos engagements internationaux, rendent illégale la fessée entendue comme des coups portés sur un enfant (3). Et sans entrer dans un débat plus vaste que celui de cet article, rappelons que la raison d'être de la prohibition de la fessée c'est, essentiellement, d'une part de faire passer le message aux enfants que les conflits quels qu'ils soient ne doivent jamais trouver leur porte de sortie dans des gestes violents dont les conséquences ne sont pas toujours prévisibles, et d'autre part et surtout d'imposer aux adultes de rechercher d'autres façon de solutionner un conflit parent/enfant.
Mais pour ce qui nous intéresse aujourd'hui l'essentiel ne me semble pas là.
Criminaliser un comportement, c'est faire valoir qu'il est considéré comme interdit et tenter de le prévenir par la crainte de la sanction. Mais criminaliser un comportement, c'est en même temps inciter celui qui l'adopte à se dissimuler pour échapper à la sanction.
Quand un parent donne une fessée, c'est la plupart du temps à cause de la fatigue, de l'exaspération, de l'incompréhension, d'un mal être personnel, et du comportement d'un enfant que l'adulte ressent à ce moment là comme insupportable. La fessée montre chez l'adulte qui la donne une incapacité à sortir de l'épisode de tension autrement que par un geste susceptible d'un côté de mettre fin à l'attitude ressentie comme trop pénible de l'enfant, et de l'autre de faire retomber le mal-être du parent. Or chacun sait que, d'un point de vue théorique, il est toujours possible d'agir autrement, et que le coup sur l'enfant n'est jamais la seule issue envisageable.
C'est pourquoi, bien plus que de lancer des campagnes françaises ou européennes contre la fessée, et avant même de renforcer l'arsenal législatif à supposer que cela soit nécessaire, le tout au risque de culpabiliser plus encore les parents qui se savent maladroits mais n'arrivent pas à agir autrement, il est urgent de dire haut et fort, publiquement, que l'on sait que quand des enfants ont des comportements très durs, difficilement supportables, qu'en face l'adulte est exaspéré, fatigué, démoralisé, la tentation est forte de crever l'abcès par un geste de violence et que, sans l'approuver, on le comprend.
Plutôt que de débattre sur le point de savoir si ceux qui voient des parents frapper leur enfant dans un lieu public doivent aussitôt prévenir la police, il faut dès à présent dire aux parents en difficultés et qui parfois lèvent la main sur leur enfant que, sans aucun risque de poursuites, ils peuvent à tout moment s'adresser à des professionnels spécialisés qui réfléchiront avec eux à ce qui se joue dans la famille (4) et leur proposeront toute l'aide dont ils ont besoin.
Sans doute de nombreux services existent déjà. Mais favorise-t-on la démarche de parents vers de tels services en leur disant que s'ils viennent raconter qu'ils ont frappé leur enfant ils risquent à tout moment d'être dénoncés au procureur de la République ?
La fessée ne met pas en lumière une carence de la législation pénale ou même civile (5). Ce n'est pas une problématique que l'on solutionne, une fois encore, à coup de lois nouvelles ou en menaçant les parents défaillants de poursuites. La fessée n'est que le symptôme d'une incapacité parentale à au moment donné, qui doit naturellement trouver son issue dans un dialogue bienveillant entre les professionnels et les adultes concernés, sauf si, bien sûr, ceux-ci ne veulent rien entendre et que les mesures de protection des enfants doivent être plus radicales.
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1. Pour les enfants, il faut entendre par incapacité de travail l'existence de blessures qui imposent le repos ou en tous cas font obstacle aux déplacements et aux activités physiques, autrement dit aux violences qui, sur un adulte, ne permettraient pas le travail.
2. Quand elles ne sont pas commises sur un mineur de 15 ans, le code pénal punit de la contravention de 4ème classe (max. 750 euros) de l'article R 624-1 les violences sans incapacité.
3. Je ne rentre pas dans le débat qui consiste à tenter de faire la différence entre le geste fort avec la main qui fait véritablement mal à l'enfant et qui est donc un coup violent, et la "petite tape" considérée comme plus symbolique que réellement physiquement violente.
4. Il faut parfois creuser profond pour décrypter tous les rouages d'un fonctionnement familial, la fessée pouvant être en lien avec des dysfonctionnements ne concernant pas exclusivement l'enfant. Et quand un enfant se rend insupportable, on ne peut pas échapper à la question du pourquoi et se tourner, d'abord, vers les adultes supposés lui donner des repères éducatifs ne conduisant pas à des comportements déviants.
5. La député-pédiatre, Mme Antier, voulait faire inscrire l'interdiction de la fessée dans le code civil. Mais une interdiction non sanctionnée si elle n'est pas respectée au mieux n'est pas respectée, au pire se discrédite.