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Publié par Parolesdejuges

Après ses "Chroniques malgaches" (cf. ici) et ses "Chroniques tchadiennes" (cf. ici), Patrice de Charette, ancien magistrat qui a effectué plusieurs missions de longue durée à l'étranger, nous propose ses "Chroniques congolaises" dont voici le premier chapitre. (1)

A déguster sans modération.

 

Chronique congolaise 1

Les plus anciens se souviendront peut-être que, au gré de mes affectations ou missions long terme dans des contrées exotiques, j’ai transmis régulièrement de petits récits : chroniques kosovares, chroniques malgaches, chroniques tchadiennes.

Voici une chronique congolaise, car je suis depuis quelques semaines à Kinshasa en qualité de chef de projet d’un programme européen d’appui à la réforme de la justice en République démocratique du Congo (précédemment Zaïre et plus précédemment encore Congo belge).

En RDC, tout est grand. Le pays fait la taille de l’Europe, Kinshasa est une ville tentaculaire qui compte 16 millions d’habitants, ce qui en fait la première ville francophone au monde. Le pays est à cheval sur l’équateur, il y fait toute l’année la même température entre 23° le matin et 36° l’après-midi, la seule différence entre les saisons étant l’arrivée des pluies pendant ce qui correspond à notre hiver.

Ce qui frappe le nouvel arrivant, et les autres aussi, c’est l’intensité des embouteillages quand on entreprend de circuler dans la ville. Les conducteurs y manifestent un sens de l’anarchie peu commun, circulant à gauche, roulant à contresens, roulant sur le trottoir, se mettant sur neuf rangées pour aborder une chaussée unique, s’engageant dans le carrefour pour le bloquer irrémédiablement.

Et tout le monde se retrouve immobilisé dans des nœuds inextricables.

Selon les heures de la journée, il faut anticiper largement pour tenter d’arriver à l’heure à un rendez-vous. Et pour se rendre au bureau et en revenir, il faut s’écarter des heures chargées. Comme dit un collègue ici, pour venir de chez moi c’est soit 18 minutes soit 2h30. J’ai vite compris et j’arrive au bureau à 6h45 pour en repartir à 16 heures, après avoir accompli mes huit heures contractuelles, et même un peu plus.

La première fois que j’ai pris le volant, j’ai eu à couper « le boulevard » comme on dit ici, une grande avenue à 2 × 4 voies qui traverse toute la ville. Le feu étant rouge, je me suis arrêté. Le concert de klaxons derrière moi m’a fait comprendre l’étendue de mon erreur. Je suis donc avancé en slalomant entre les bolides arrivant de gauche et de droite. À Kinshasa, le feu rouge n’est pas une suggestion, comme on dit en Italie du Sud, c’est un élément décoratif.

L’autre jour, en arrivant à un carrefour difficile, surprise : toutes les voitures sur une seule file, attendant sagement leur tour pour passer. L’explication arrive au carrefour, la circulation est assurée par des militaires en béret rouge, fusil d’assaut à la main. C’est la garde présidentielle, commente chauffeur, si on ne fait pas ce qu’ils disent, ils nous tapent, donc les gens obéissent.

Un autre événement espéré de tout conducteur est le passage d’un ministre. Le haut personnage ne se déplace jamais sans son camion chargé de policiers. Au moindre ralentissement, les policiers sautent sur le sol et dispersent efficacement l’embouteillage, pour la plus grande joie des malheureux englués dans le nœud depuis 20 minutes.

La monnaie est le franc congolais. Il en faut 2.500 pour faire un dollar. Dollar, parce que tout le monde ici paye utilisant la monnaie américaine, par carte ou en espèces. Les prix sont toujours indiqués dans les deux monnaies. Quand on paye en espèces en dollars, le commerçant rend la monnaie en francs congolais. On se retrouve avec une liasse de billets ayant beaucoup vécu qui dégagent une odeur puissante. On les écoule dans les petits commerces ou pour gratifier les gardiens de parking ou les vigiles à l’entrée des magasins.

La RDC a un système judiciaire et législatif de droit romano germanique, hérité du système belge avec des particularismes nationaux. Il y a des tribunaux de paix (tripaix de leur petit nom) qui jugent jusqu’à cinq ans de prison, et des tribunaux de grande instance qui jugent pour les peines au-delà, y compris en matière criminelle. Il est saisissant de voir lors d’une audience foraine (audience délocalisée dans des régions écartées) le tribunal condamner quelqu’un à perpétuité pour meurtre.

Il n’y a pas de juge d’instruction, les actes d’enquête sont faits par le procureur, qui peut décerner un mandat de dépôt valable cinq jours. À l’issue de ce délai, la détention préventive est confirmée ou non par la chambre du conseil composée de trois juges. Le système rencontre des difficultés notables de fonctionnement, révélées par un chiffre : le taux de détention préventive dans les prisons est de 78 %. Mon programme va réaliser un diagnostic de la chaîne pénale pour analyser ce qui se passe et proposer des améliorations.

En tout cas une raison est déjà connue, le nombre de magistrats. Il n’y en a que 3.000, ce qui est peu pour un pays de 102 millions d’habitants. Quand un tribunal de paix ne dispose plus que d’un seul magistrat, impossible de tenir des audiences de jugement et même des audiences de chambre du conseil pour valider la détention préventive. Le gouvernement, conscient du problème, a pris une décision spectaculaire : 5.000 magistrats vont être recrutés en deux ans. La première cohorte de 2.500 achève en ce moment sa formation théorique à l’institut de formation judiciaire et va partir en stage pour un an. Le second groupe arrivera l’année prochaine.

C’est bien de recruter massivement des magistrats, ai-je dit, mais a-t-on recruté en proportion les greffiers qui vont avec ? À défaut, la thrombose du système judiciaire va prendre des proportions impressionnantes. La question faussement naïve mettait le doigt sur un problème spécifique au pays : il n’y a pas de système organisé au niveau central pour recruter les greffiers et secrétaires de parquet et encore moins pour les former. Ils sont recrutés localement en fonction de critères indéterminés et doivent se former sur le tas.

Un rapport lu récemment précise que la majorité d’entre eux ne sont pas « mécanisés ». Ne connaissant pas le terme, j’ai cru que l’on voulait déplorer le fait qu’ils n’avaient pas de machine à écrire. Erreur, le mot signifie qu’ils ne sont ni titulaires ni contractuels, qu’ils ne perçoivent aucun salaire et qu’ils travaillent bénévolement. Les candidats pourtant ne manquent pas, ce qui laisse songeur.

Parallèlement à la justice civile, il existe un système de justice militaire, compétent pour juger les faits commis par des militaires mais qui peut également juger des civils dans les régions où a été décrété l’état d’urgence. C’est le cas dans les provinces du nord-est, là où sévit entre autres la rébellion du M 23. Mais c’est encore une autre histoire.

Patrice de Charette

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H
Merci beaucoup pour cette chronique exotique. Le nombre de recrutement de Magistrats laisse rêveur . Si seulement la France pouvait s engager dans une telle démarche pérenne de recrutement de Magistrat(e)s et de Greffier(e). On a bien le droit de rêver un peu.
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