Les coqs, les taureaux, le Conseil Constitutionnel, et un peu plus
Les juges sont saisis vraiment dans tous les domaines. Il en va ainsi du Conseil Constitutionnel (son site).
Celui-ci, on le sait (lire not. ici, ici, ici, et la rubrique QPC) reçoit les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) qui lui sont adressées par les autres juridictions, afin qu'il dise, notamment, si telle disposition contestée de notre législation est conforme à la constitution (texte ici).
Récemment, le Conseil Constitutionnel a été saisi, par la chambre criminelle de la cour de cassation, d'une problématique concernant les combats de coqs et plus précisément les gallodromes. (sur les pratiques lire ici)
Le problème est le suivant : L'article 521-1 du code pénal (texte ici) (circulaire d'application ci-dessous en fichier téléchargeable) est rédigé de la façon suivante :
"Le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle (1), ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. (2)
(...)
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Elles ne sont pas non plus applicables aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie.
Est punie des peines prévues au présent article toute création d'un nouveau gallodrome."
Une personne poursuivie sur le fondement de ce dernier alinéa, donc pour avoir ouvert un nouveau lieu destiné aux combats de coq, a demandé aux juridictions pénales qu'une QPC soit transmise au Conseil Constitutionnel.
La chambre criminelle de la cour de cassation a accepté la demande et statué en ces termes dans une décision du 2 juin 2015 (texte ici) :
"Attendu que la question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
"L'alinéa 8 de l'article 521-1 du code pénal porte-t-il atteinte aux droits et libertés, en l'espèce le principe d'égalité devant la loi garanti par la Constitution, au regard de l'alinéa 7 du même article ? " ; (..)
Attendu que la question posée présente un caractère sérieux, en ce que la disparité des situations entre les organisateurs de courses de taureaux et les personnes créant un gallodrome, ces derniers étant punissables même en présence d'une tradition locale ininterrompue, est susceptible de porter une atteinte injustifiée au principe d'égalité devant la loi."
Autrement dit, puisque les organisateurs de courses de taureaux et ceux qui organisent des combats de coq sont tous protégés contre les poursuites pénales sur le fondement des actes de cruauté envers les animaux, et semblent donc être traités de la même façon, pourquoi seuls les seconds n'ont pas le droit d'ouvrir de nouveaux lieux d'activité ?
Ce à quoi le Conseil Constitutionnel a répondu dans sa décision du 31 juillet 2015 (texte ici) :
"(...) Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi... doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
Considérant que si le législateur a entendu, tant pour les courses de taureaux que pour les combats de coqs, fonder l'exclusion de responsabilité pénale sur l'existence d'une tradition ininterrompue, il s'agit toutefois de pratiques distinctes par leur nature ; qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 8 juillet 1964 susvisée que le législateur a entendu encadrer plus strictement l'exclusion de responsabilité pénale pour les combats de coqs afin d'accompagner et de favoriser l'extinction de ces pratiques ; qu'en interdisant la création de nouveaux gallodromes, le législateur a traité différemment des situations différentes ; que la différence de traitement qui résulte de l'incrimination de toute création d'un nouveau gallodrome est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; que par suite, le grief tiré d'une atteinte au principe d'égalité devant la loi doit être écarté ;
Considérant que les dispositions contestées ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ; qu'elles doivent être déclarées conformes à la Constitution."
Les coqs semblent donc avoir un avenir un peu plus radieux que les taureaux. Ces derniers vont pouvoir continuer à servir de cible dans des sortes de jeux du cirque modernes pendant encore un bon moment. Et à être parfaitement légalement victimes d'actes de cruauté. Les premiers ne seront peut être plus utilisés dans des combats fratricides.
Le débat autour du sort de ces animaux est vif depuis des années. Ceux qui sont pour et ceux qui sont contre la tauromachie s'opposent parfois de façon très agressive. Ce débat va sans doute durer encore longtemps (cf. not. ici, ici) (et sur les aspects juridiques ici)
Il pourrait toutefois être de plus en plus influencé par une approche évolutive de l'animal. Longtemps assimilé à une simple chose, l'animal est progressivement regardé comme un être vivant capable de sensibilité et donc susceptible de souffrir dans des situations agressives.
C'est ainsi que la loi du 16 février 2015 (texte intégral ici), à travers son article 2, a ajouté un nouvel article 515-14 au code civil (texte ici), rédigé de la façon suivante :
"Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens."
Cet article est inséré dans une partie du code civil (livre 2, le livre 1 étant consacré aux "personnes") intitulée : "Des biens et des différentes modifications de la propriété." Cela traduit une certaine ambiguité de l'approche. Les animaux restent juridiquement assimilés à des objets, mais ce sont des objets particuliers puisque ce sont aussi des êtres vivants. Maintenant regardés comme sensibles.
Il n'empêche qu'ils ne font pas (encore ?) partie d'une nouvelle catégorie juridique autonome et intermédiaire entre les objets et les êtres humains. Et qu'il faudra se demander de quelle "sensibilité" il s'agit exactement.
On comprend assez bien ces hésitations. Si les animaux ne sont plus de simples objets mais des êtres vivants sensibles, comment pourra-t-on continuer à les tuer ou les massacrer ? D'autant plus quand cela ne présente aucune nécessité vitale pour nous les êtres humains.
C'est le cas de la chasse quand le seul plaisir du chasseur est celui de tuer un animal qu'il ne mangera pas. Et c'est tout autant le cas de la tauromachie et des combats de coqs quand ils se terminent par la mort ou les blessures graves d'un animal pour le seul plaisir (lequel ?) des spectateurs.
Cette autre vision de l'animal explique aussi pourquoi sont réprimés dans l'article 521-1 du code pénal mentionné plus haut les actes de cruauté sur les animaux (texte ici). Le lecteur attentif relèvera, toutefois, que la protection légale ne s'applique pas aux animaux sauvages. Une pétition visant à élargir la protection à ces derniers (cf. ici), puis un amendement déposé en ce sens à l'assemblée nationale (cf. ici) n'ont finalement pas été suivis d'effet puisque l'amendement a été écarté (cf. ici).
Quoi qu'il en soit, il ne peut y avoir acte de cruauté répréhensible sur un animal que si l'on pose comme préalable que l'animal est susceptible d'en souffrir, de façon excessive et injuste, et par voie de conséquence inacceptable.
Et pourquoi certains dénoncent régulièrement, pour les animaux destinés à la consommation humaine, des modalités d'élevage et/ou d'abatage estimées excessivement dommageables et cruelles (lire ici). Récemment, des élus ont alerté le ministre de l'agriculture sur le broyage des poussins mâles juste après leur naissance (lire ici). Et on se souvient des polémiques régulières sur le gavage des oies.
Tout aussi délicate est la question de l'expérimentation médicale sur les animaux. Peut-on accepter que l'on inocule des maladies sur des êtres vivants "doués de sensibilité", et par voie de conséquence qu'on leur inflige délibérément des souffrances, des dégâts biologiques voire qu'on les fasse volontairement mourir ?
N'envisageant pas de supprimer tout cela d'un coup, certains prônent et recherchent un entre deux déculpabilisateur. On voit apparaître des normes semblant tenir compte de la nature vivante de l'animal. Il est va ainsi, par exemple, d'un règlement européen du 24 septembre 2009 (texte intégral ici), intitulé "Règlement sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort", dont l'objectif affiché est d'introduire de nouveaux modes opératoires lors de leur abattage.
Il y est écrit dans l'introduction :
"La mise à mort des animaux peut provoquer chez eux de la douleur, de la détresse, de la peur ou d’autres formes de souffrance, même dans les meilleures conditions techniques existantes. Certaines opérations liées à la mise à mort peuvent être génératrices de stress, et toute technique d’étourdissement présente des inconvénients. Les exploitants ou toute personne associée à la mise à mort des animaux devraient prendre les mesures nécessaires pour éviter la douleur et atténuer autant que possible la détresse et la souffrance des animaux pendant l’abattage ou la mise à mort, en tenant compte des meilleures pratiques en la matière et des méthodes autorisées par le présent règlement. Dès lors, il y a lieu de considérer que la douleur, la détresse ou la souffrance sont évitables lorsque les exploitants ou toute personne associée à la mise à mort des animaux enfreignent une des prescriptions du présent règlement ou utilisent des méthodes autorisées sans toutefois recourir à la plus moderne d’entre elles, infligeant ainsi, par négligence ou intentionnellement, de la douleur ou de la souffrance aux animaux, ou provoquant leur détresse." Tout en indiquant plus loin que le cas des poissons est moins préoccupant. (cf. aussi le site de l'autorité européenne de sécurité des aliments - page dédiée au bien être des animaux ici)
Allons un peu plus loin encore.
Depuis quelques années les spécialistes s'intéressent de plus en plus aux comportements sociaux des animaux. Nombreux sont les reportages qui nous montrent que contrairement à ce que nous pensons d'abord instinctivement, les animaux sont des êtres vivants intelligents, capables de nombreuses stratégies positives individuelles ou collectives (échanges, solidarité, liens affectifs...). Et qu'ils ressentent réellement les événements de leur vie en manifestant de manière observable leurs sentiments. Il est donc de moins en moins possible de ne les voir que comme des choses certes vivantes mais dépourvues de sensibilité.
Au demeurant c'est déjà le cas pour les chats et les chiens. Il existe avec leurs propriétaires un fort attachement affectif et ces derniers n'accepteraient sans doute pas qu'ils soient traités comme les animaux destinés à l'alimentation.
Alors faut-il continuer à fermer les yeux, à considérer les animaux comme des choses, de façon à pouvoir les utiliser selon notre seul bon vouloir ? Faut-il à l'inverse évoluer et admettre que ce sont des êtres vivants susceptibles de souffrir à cause de nos comportements, et dès lors que doivent être mises en place des barrières légales pour faire obstacle, au moins et pour commencer, aux agressions excessives et inutiles contre ces êtres sensibles ? Mais lesquelles ?
Le débat reste ouvert.
L'ajout dans le code civil de l'expression "doués de sensibilité" n'aura pas les effets attendus par les individus ou groupe protecteurs des animaux. C'est au mieux une étape intermédiaire, une transition, un encouragement à l'évolution des mentalités.
En tous cas, les choix fondamentaux ne relèvent pas du juge.
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1. La chambre criminelle de la cour de cassation a jugé en 2007 (arrêt intégral ici) que : "des actes de pénétration sexuelle commis par une personne sur un animal constituent des sévices de nature sexuelle au sens dudit texte.", ce qui réprime pénalement la zoophilie.
2. D'autres textes protègent les animaux :
L'article R 653-1 du code pénal sur les atteintes involontaires à la vie d'un animal (texte ici)
L'article R 654-1 sur les mauvais traitements sur les animaux domestiques ou captifs (texte ici)
L'article R 655-1 sur les atteintes volontaires à la vie d'un animal domestique ou captif (texte ici)
Circulaire du 16 mai 2005