Quel doit être le sort d'un ministre pénalement condamné ?
Par Michel Huyette
Le ministre de l'intérieur vient d'être condamné par le tribunal correctionnel de Paris, (jugement du 4 juin 2010) pour injure non publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine, à 750 euros d'amende. Il s'agit de la contravention de l'article R 624-4 du code pénal (1). On relèvera que s'agissant d'une contravention de 4ème classe, le ministre a été condamné à la peine maximale. Par ailleurs, le ministre a été condamné à verser des dommages-intérêts au MRAP.
Le jugement, comme les medias (qui en plus ont mis en ligne la vidéo des faits), rappelle que la phrase retenue contre le ministre comme constitutive d'injure est la suivante :
Après que l'une des personnes se trouvant à côté du ministre ait dit à propos d'un jeune homme d'origine moyenne-orientale "C'est notre petit arabe", le ministre a dit "Quand il y en a un ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes." (2)
A peine le jugement connu, les politiques ont tous joué leur rôle, sans surprise. L'opposition a exigé la démission du ministre, parfois sans beaucoup de nuances, et la majorité l'a soutenu en prenant grand soin de ne jamais faire référence à la phrase litigieuse.
On relèvera au passage trois petites stratégies d'évitement.
Certains proches du ministre ont insisté sur le fait qu'il n'est pas raciste. Ainsi, déplace-t-on le débat de la phrase au contenu éventuellement raciste à la personnalité de celui qui l'a prononcée. Et en employant le mot raciste à la forme négative et pour parler de l'homme, on donne ainsi l'impression de traiter du problème, tout en l'évitant.
D'autres ont, classiquement, tenté de déplacer la responsabilité. Le problème ne serait pas la phrase prononcée mais l'attitude de ceux qui ont diffusé le film à l'origine de la polémique. Demain peut-être dira-t-on que ce qui est insupportable dans certains accidents de la circulation ce n'est pas l'attitude des conducteurs à l'origine du drame mais celle du photographe qui a immortalisé les tôles froissées. C'est le traditionnel "c'est pas moi c'est les autres", tellement connu et pratiqué depuis la nuit des temps.
Et il a été soutenu que la polémique est artificielle puisque les propos ont été tenus certes lors d'une réunion d'un parti politique mais pas à la tribune, dans un jardin, entre quelques personnes qui s'étaient réunies, bref presque dans un environnement privé. Ainsi il serait permis même à un ministre de dire n'importe quoi à condition que rien ne filtre de ses déclarations. L'art serait non pas de se contraindre à une certaine rigueur intellectuelle, mais de faire en sorte que la façade reste respectable.
Chacun appréciera.
Au-delà et plus sérieusement, la question se pose une nouvelle fois du sort d'un membre du gouvernement pénalement condamné. Et la réponse n'est pas forcément simple à trouver. Plusieurs façons d'aborder cette problématique existent.
D'abord et avant tout, il faut avoir en tête que la décision n'est pas définitive. Le ministre a annoncé sa décision de faire appel et a même déjà déclaré que si nécessaire il irait devant la cour de cassation (3). L'analyse juridique du tribunal pouvant donc être infirmée par la cour d'appel, dont l'arrêt pourra être censuré par la cour de cassation, il peut sembler prématuré de s'interroger aujourd'hui sur ce que doit être le sort d'un ministre dont on ne sait pas si, au final, il sera jugé coupable d'avoir commis une infraction.
Nous avons connu dans le passé des ministres contraints de démissionner quand des poursuites pénales ont été engagées contre eux, et qui ont ensuite été déclarés non coupables. Il est malaisé de trouver des justificatifs à une telle méthode, qui peut avoir pour effet de priver le gouvernement, et par ricochet les citoyens, d'un ministre compétent et efficace auquel finalement rien ne sera reproché (4).
Supposons maintenant que l'infraction ait bien été commise et situons nous pour la suite du débat au moment ou la condamnation est juridiquement définitive. La question essentielle est alors celle du maintien ou du départ du gouvernement du ministre condamné. Plusieurs pistes peuvent être explorées.
La question peut se poser, d'abord, du caractère dérisoire de la situation et de l'attention qu'elle mérite..ou pas.
On le sait, le racisme est l'une des denrées les plus répandues sur la planète. Historiquement légitimation des conquêtes, de la domination, et de l'esclavagisme, c'est en plus aujourd'hui le support de la désignation du bouc-émissaire. Certains partis politiques en ont même fait leur fonds de commerce. S'il y a du chômage, c'est la faute des étrangers. S'il y a de la déliquance, c'est la faute des étrangers. Si la sécurité sociale est en déficit, c'est la faute des étrangers. Et s'il pleut aujourd'hui, c'est aussi la faute des étrangers. Cela présente l'avantage d'exclure toute interrogation pertinente sur nos responsabilités individuelles et collectives puisque tout est de la faute des autres.
Alors est-il vraiment nécessaire de s'appesantir sur des propos, même ministériels, qui plus ou moins correspondent à ce que pensent tant de gens ? Ne faudrait-il pas plutôt les traiter avec indifférence, pour ne pas leur donner plus d'importance qu'ils n'en ont ? Ne serait-il pas préférable de tout de suite tourner la page, quitte à regretter que la société française, en ce 21ème siècle, ait toujours autant de mal à progresser ?
Si l'on refuse cette première voie, on peut se demander si, par principe, n'importe quelle infraction doit être prise en compte. Si par exemple une violation délibérée au droit du travail (telle le non paiement des heures supplémentaires d'une employée de maison) décrédibilise le ministre des affaires sociales, il n'est pas certain qu'une infraction de faible gravité au code de la route rende impossible la mission du même ministre. Au demeurant, dans les entreprise privées et dans la fonction publique, toute entorse à la législation n'aboutit pas à un licenciement ni même à une quelconque sanction. La conséquence de la violation de la règle peut dépendre de la nature de cette règle et de l'ampleur de sa violation.
Il n'empêche, pour ce qui concerne notre affaire, qu'il semble quelque peu délicat d'imaginer que demain un ministre de l'intérieur condamné pour injure raciale puisse signer sans que cela pose question, d'un point de vue éthique, une circulaire enjoignant aux forces de police d'enquêter vigoureusement sur tout ce qui est en relation avec du racisme. Ou dans une réunion publique fustige toutes les formes de racisme. Ce ne serait pas seulement sa crédibilité qui serait écornée, ce serait celle de tout l'appareil l'Etat.
Il faut ensuite s'interroger, au-delà du strict cadre juridique et judiciaire, sur le sens même de gouvernance.
Les personnes choisies pour conduire les affaires du pays ont pour mission, au moins en théorie, de prendre les mesures susceptibles de favoriser le bien-être de la population et de permettre à ses différentes composantes de vivre de façon aussi harmonieuse que possible (5).
Or quand un ministre tient des propos racistes, non seulement il libère la parole raciste de ceux qui se retiennent un peu et qui peuvent se décomplexer en voyant qu'au sommet de l'Etat on ne s'impose plus de limite, mais en plus et surtout il attise la rancoeur voire la haine d'une partie de la communauté contre une autre. Autrement dit il jette de l'essence sur des braises toujours prêtes à se tranformer en feu destructeur.
C'est sans doute là l'enjeu fondamental de la problématique. Quand on connaît les tensions entre communautés, quand on sait à quel point les sensibilités sont exacerbées, est-il acceptable de dénigrer une fois encore toute une partie de la population (les "arabes", y compris les jeunes de nationalité française mais dont la famille est d'origine étrangère) ?
Plus largement, peut-on revendiquer le droit de participer à la conduite des affaires du pays quand on ressent au plus profond de soi même un profond mépris pour des milliers de citoyens ?
Ce qui se joue autour de cette phrase décortiquée par les tribunaux est probablement plus grave qu'il n'y paraît à première vue. Car il s'agit de bien autre chose que de quelques mots lâchés avec le sourire.
Alors que la société a tant de mal à aller de l'avant, chaque incident tel celui-ci nous ramène dix pas en arrière.
Mais puisqu'on nous dit que tout cela n'est rien....
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1. Et non de l'article R 624-5 comme mentionné par erreur dans le dispositif du jugement, ce texte ne prévoyant que les peines complémentaires.
2. La vidéo est visible, notamment, sur le site du journal Le Monde.
3. Cela veut dire, s'il sait qu'il a bien prononcé des mots à connotation raciste, qu'il va essayer de jouer la montre et retarder autant que possible le moment où il devra rendre des comptes. Il ne sera ni le premier ni le dernier à agir ainsi, cette méthode étant une pratique courante dans tous les domaines du droit, pas seulement pénal.
4. Ne souriez pas, il y en a quelquefois.
5. Je vous vois encore sourire. J'ai bien écrit "en théorie". Quant à la réalité...